Mert Alas & Marcus Piggot
Une sortie de Taylor Swift est-elle toujours un événement ? Assurer que non serait mentir, mais la superstar américaine semble susciter une lassitude générale. Déjà, sur son précédent album "The Tortured Poets Department", dévoilé en plein milieu de sa tournée mondiale courant 2024, avait été accueilli très tièdement par la critique et de nombreux fans, y voyant là un projet beaucoup trop copieux (31 titres) et homogène. Avec "The Life of a Showgirl", elle opère un virage à 180 degrés plus qu'assumé. Taylor Swift n'est plus entourée de Jack Antonoff, et ça s'entend ! Finies les productions sages de "The Tortured Poets Department", Tay-Tay revient à la pop pure et dure, celle qui a fait le succès de ses bestsellers "1989" et "Red". Mais sa livraison de douze chansons est-elle à la hauteur des classiques "We Are Never Ever Getting Back Together", "Shake it Off" ou "Blank Space", pour lesquelles elle a rappelé les producteurs Max Martin et Shellback ? Autant le dire d'emblée, la réponse est non.
Taylor Swift règle ses comptes
Pourtant, tout commence bien. Logiquement choisi comme lead single du projet, "The Fate of Ophelia" est un petit tube pop évident, facile mais à la rythmique ultra efficace, qui devrait sans aucun doute exploser les compteurs dans le monde entier. Mais dès le deuxième titre "Elizabeth Taylor", Taylor Swift retrouve le côté dark de "Reputation", avec ses percussions puissantes. « Hollywood hates me » y chante-t-elle désabusée. La première piste d'un disque moins lumineux qu'il n'y paraît. Comme son nom d'album l'indique, Taylor Swift se glisse dans la peau d'une showgirl dont on demande parfois trop et dont le quotidien en coulisses est bien moins glamour que sur scène.
Comme d'habitude, les Swifties auront à loisir d'éplucher les paroles et les multiples niveaux de lectures des 12 chansons. Ici, on se rapproche souvent de "Reputation", tant la chanteuse semble avoir envie de régler ses comptes. Dans "Actually Romantic", elle s'adresse à une artiste qui « [l'appelait] "Barbie ch*ante" quand la coke [lui] montait au cerveau ». Pour les fans, cela ne fait aucun mystère que la principale visée se nomme Charli xcx. Plus tard, le bien-nommé "Cancelled" dénonce la "cancel culture" dont elle a été la cible à plusieurs reprises durant sa carrière. Idem sur "Eldest Daughter", seule véritable ballade du disque, où elle se livre sur les critiques à son encontre. « But I'm not a bad b*tch » s'y défend-t-elle.
Un nouvel album pas si show...
De l'aigreur mais aussi un peu d'amour, pour son fiancé Travis Kelce, dans ce disque où quelques sublimes textes côtoient le pire. On pense au très beau "Ruin the Friendship", où Taylor Swift évoque un ancien camarade décédé qu'elle aurait aimé mieux connaître intimement : « J'ai murmuré sur ta tombe "J'aurais dû t'embrasser" ». De l'autre, il y a "Wood" et ses références graveleuses à la « baguette magique » de Travis Kelce. On a connu Taylor Swift bien plus inspirée...
Un constat plutôt amer, alors même que Taylor Swift a vendu "The Life of a Showgirl" comme résolument lumineux, joyeux et entraînant. Certes, il y a de la pop mais jamais celle-ci n'atteint le niveau de ses prédécesseurs. Ici, elle semble s'inspirer davantage de ses contemporaines, comme Olivia Rodrigo ("Actually Romantic", plus rock) ou Sabrina Carpenter (inévitable sur "Opalite", qui ressemble à "Manchild"). Son duo assez anecdotique avec cette dernière sur le morceau-titre de l'album sonne donc comme une évidence. Même le très curieux "Father Figure" n'a finalement rien à voir avec le tube éponyme de George Michael, pourtant crédité à titre posthume sur le morceau.
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Alors, "The Life of a Showgirl" est-il un ratage en règle ? Non, car quelques titres se démarquent clairement du lot : bien que trop proche de l'univers de Sabrina Carpenter, "Opalite" brille d'un bel éclat tout comme le romantique "Honey", et "Eldest Daughter" rejoint la liste des superbes ballades dont Taylor Swift a le secret. L'autre tube évident du disque, c'est ce "Wood" qui la voit user de la cocotte funky à la Nile Rodgers, une direction plutôt inédite pour elle.
"The Life of a Showgirl" se termine sur un message de remerciements, comme à la fin d'un de ses concerts. Une bonne idée en soi, même s'il s'agit là de la seule véritable occurrence musicale de l'univers "showgirl" dans le disque. Car encore une fois, comme sur les derniers Dua Lipa ou Ed Sheeran, le contrat n'est pas vraiment respecté. On s'attendait, au vu de l'imagerie, à un opus clinquant, baroque et bling-bling. On se retrouve avec un album pop finalement sans surprise, loin de l'esprit spectaculaire de Las Vegas. Loin de la claque musicale d'un "Folklore". Loin de l'insolente efficacité d'un "1989". Rideau.