samedi 06 mars 2021 12:30

Jérémy Frerot en interview : "Les hommes peuvent faire partie du combat féministe"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Jérémy Frerot s'affirme avec légèreté et poésie sur son deuxième album "Meilleure vie". Au micro de Pure Charts, le chanteur raconte la conception de ses nouvelles chansons en pleine crise sanitaire, l'importance de parler du féminisme, sa nouvelle vie de papa et évoque le retour à la musique de Flo Delavega, son ancien acolyte. Interview !
Crédits photo : 6 et 7
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Tu viens de sortir ton deuxième album solo "Meilleure vie". Comment tu as abordé cette étape qu'on dit souvent ''délicate'' du deuxième album ?
J'étais plutôt enthousiaste à l'idée d'en faire un deuxième. J'étais même content de me dire que j'allais pouvoir montrer qui j'étais et comment je voulais m'exprimer. Je n'avais pas du tout de pression. Le stress est venu plus tard, quand j'ai du patienter avant sa sortie. J'y ai mis tellement d'énergie. J'en suis fier. Je me suis vachement plus impliqué dans la conception et dans cette démarche musicale. Comme je change un peu de registre, ça peut effrayer les gens qui me suivent. Mais je suis convaincu que c'est un album qui va avant tout faire du bien. C'est de la musique hyper positive, où on a vraiment envie de partager, de danser, d'être ensemble.

« J'ai envie d'aller mieux, qu'on se retrouve dans la joie »
''Meilleure vie'', ''Le bonheur''... On sent effectivement un élan positif traverser l'album. Ça te tenait à coeur ?
C'était hyper important pour moi de pouvoir exprimer ça, surtout en ce moment. Je suis dans cet état d'esprit aujourd'hui, j'ai envie d'aller mieux, qu'on se retrouve dans la joie. Je ne me voyais pas arriver et remettre un coup de bâton derrière la nuque avec un album où je raconte mes malheurs. Ça aurait été malvenu, je trouve, et puis je ne me serais pas amusé. Là, je me suis régalé et j'espère que ça donnera le sourire aux gens.

A quoi ressemble la confection d'un album en 2020, dans un monde rythmé par la pandémie et le confinement ?
Je l'ai fait durant le premier confinement. Je recevais les compos de Romain Joutard et Julien Grenier, qui ont réalisé l'album, au fur et à mesure. Même si on n'avait pas été séparé, je pense qu'on aurait fonctionné de cette façon-là. J'avais besoin de bosser les chansons chez moi, à la maison, parce que je voulais aller ailleurs et toucher une autre musique, quelque chose de plus chaud, plus musical. On a fait rentrer une vraie batterie, une vraie basse, je me suis concentré sur la ligne mélodique. Je voulais des textes plus simples, plus chirurgicaux et précis aussi pour que ça touche les gens. Le travail de la voix a été vachement important. J'ai voulu en faire un instrument à part entière. Dans ces chansons-là, j'ai travaillé le placement des mots, plusieurs sons dans la voix. Vu la situation, on a été obligé d'avancer sur le projet à distance en organisant des réunions sur Zoom et Skype avec mes co-auteurs, Ben Mazué, Laurent Lamarca et Vincha. Ça nous a aidés à mieux vivre le confinement, c'était un peu notre échappatoire chaque matin. On s'est vus en vrai après, avant de repartir en studio, chez mon manager en Touraine pour finaliser et même ressortir quelques chansons encore. Ça m'a vraiment plu de bosser comme ça.

« Il y a eu une grosse période de doutes »
Tu as dit récemment avoir ''souffert du syndrome de l'imposteur'' après l'aventure Frero Delavega. Tu voulais dire quoi par là ?
C'est plus que je ne savais pas comment les gens allaient réagir au fait que je revienne tout seul. De quel droit j'ose le faire ? Alors j'en avais très envie, ça ils ne peuvent pas être contre ça, mais allaient-ils l'accepter ? On n'était pas du tout sur la même chose, on passe de deux voix à une voix. Gérer un projet seul, ce n'est pas pareil. J'ai eu le sentiment qu'il y allait avoir un moment de flottement. Et même moi, je me demandais : est-ce que je sais le faire ? Est-ce que je peux y arriver tout seul ? Défendre des chansons tout seul, en concert... Il y a eu une grosse période de doutes mais au fur et à mesure, j'ai découvert que oui, j'arrivais petit à petit à franchir des étapes et réussir à construire mon propre univers. Ça m'a aidé à arriver sur un deuxième album sans pression.

Regardez le clip "Un homme" de Jérémy Frerot :


Comment tu as vécu le joli succès de ton premier album "Matriochka" ? Ça aide à prendre confiance ? 
Carrément. Qu'un album soit certifié disque d'or et donc qu'il trouve son public, ça donne envie d'aller plus loin. On aurait pu se dire que puisque je sortais des Fréro Delavega j'allais exploser mais non, t'es un nouvel artiste, tu repars de zéro. Il faut recommencer à bosser. Et le bel accueil que l'album a reçu, le soutien des radios et des télés, le public qui répond présent aux concerts, ça a été génial et ça nous a vachement confortés.

Si le premier album s'illustrait avec des arrangements électro-folk plutôt froids, celui-ci tend vers des sonorités plus ensoleillées : il y a de la funk, de la soul avec des titres comme '' Je te veux'', ''Fais-le'', ''Le pestacle''... D'où vient cette couleur-là ?
Principalement des disques que j'ai écoutés. Mac Miller, Still Woozy, Jorja Smith aussi, des artistes qui ont développé chez moi une espèce d'éponge. Ils m'ont donné envie de m'exprimer dans ce style-là. Peu importe ce qu'ils racontent, la musique traverse et te transperce. Ça m'a permis d'écrire plus simplement, de manière plus chaleureuse.

L'album est plus ouvert, plus radiophonique aussi que le premier. Tu avais envie de parler au plus grand nombre ?
C'est vrai qu'on élargit un peu plus le spectre. Le premier était plus autocentré, plus intimiste. Là, on ouvre la compréhension puisqu'on joue de la musique, avec de vrais instruments. C'est plus libre. Sur scène, on sent qu'on va pouvoir faire durer les chansons et s'amuser.

« On a envie de redéfinir les règles »
Les paroles du single ''Un homme'' ont une résonance particulière aujourd'hui : tu y parles de la place de l'homme dans la société, tu questionnes le patriarcat, l'injonction à la virilité... Qu'est-ce qui t'a poussé à aborder ce sujet ?
On ne peut plus passer à côté. Il se passe tellement de choses autour de ça, des histoires de gars qui ont fait des horreurs ressortent tous les jours. C'est super que la parole se libère et qu'on voit de plus en plus sur les plateaux de télévision des féministes. Je me félicite de voir qu'en France il y a cette envie générale d'être plus égalitaire. On n'y est pas du tout, loin de là, mais je trouve qu'il y a un élan, un bon sens commun. Montrer que des hommes se posent des questions, en tout cas moi je le fais, ça montre qu'on a envie de redéfinir les règles.

C'est plutôt rare qu'un artiste masculin, hétérosexuel de surcroît, offre une vitrine à ce sujet.
J'ai eu l'impression, après le mouvement #MeToo, que nous, les hommes, nous sommes renfermés sur nous-mêmes. Parce qu'on ne savait pas, enfin, on se doutait qu'il y avait des trucs dégueulasses mais on n'imaginait pas l'ampleur du problème, ni que ça nous éclate à la figure comme ça. Je fais partie d'une génération qui a été éduquée dans l'idée que la femme est l'égale de l'homme, malgré des règles sociales qui restent encore assez archaïques. Donc quand c'est arrivé, je me suis demandé : comment a-t-on pu laisser passer ça ? Nous les hommes, on a tous baissé la tête. Cette chanson elle est arrivée avec les bons mots : je ne donne pas de leçons, je veux juste montrer qu'on se pose des questions. Et se poser des questions, ça montre qu'on veut aller dans le sens du féminisme. Nous aussi on peut faire partie de ce combat-là. Il faut que tout le monde soit ensemble pour se battre dans un but commun.

« Devenir père change ta façon de voir la vie »
Cette conscience féministe, elle te vient d'où ?
Je ne sais pas, j'ai simplement été éduqué comme ça. J'ai toujours vu mon père faire les machines à laver, faire la cuisine, s'occuper de nous, nous faire des câlins, nous dire "je t'aime"... J'ai vécu dans cet environnement. Donc je me suis jamais demandé si c'était juste ou non : la femme est l'égale de l'homme, point.

En l'espace de quelques semaines, tu as mis au monde deux bébés puisque tu as révélé être devenu papa pour la deuxième fois il y a peu. Devenir père, ça change sa façon d'écrire ses chansons ?
Ça change la manière de s'exprimer. De te dire que tes enfants vont écouter ce que tu fais, que tu leur enseignes des valeurs tous les jours... Ta façon de parler change, ta façon de voir la vie change. Tout se crée autour de l'éducation d'un enfant quand il arrive, alors c'est sûr que j'ai été influencé dans mon écriture et dans ma vision de voir les choses.

Justement, tu t'adresses à ton fils dans la superbe chanson ''J'ai la mer''. Ça te tenait à coeur de lui laisser quelque chose ?
Je ne l'ai pas vu comme ça. C'est venu naturellement. (Sourire) Ce sujet-là, transmettre à mon fils ce que je sais, m'a inspiré. C'était bien d'en faire une chanson mais je n'ai pas songé à la postérité. J'imagine qu'il sera fier, quelque part, mais ce n'était pas ma démarche.




« Je ne suis pas très bling-bling »
On hésite à mettre en musique des textes intimes comme celui-ci, qui parle de ta vie privée, quand on sait que son couple est très médiatisé ?
Non, pas du tout. Au contraire, je pense qu'on peut montrer qu'on est comme tout le monde. Enfin, entre guillemets. Si on enlève le côté médiatique, on a une vie tout ce qu'il y a de plus banale. Je sors les poubelles, je fais le ménage... (Rires) J'emmène mes enfants à l'école, je vais à des goûters. Je suis normal. On a une vie différente sur certains points, c'est sûr. Être payé à réfléchir sur la vie par exemple, c'est un cadeau et il ne faut pas le dénigrer. Avoir un talent quel qu'il soit, c'est bien de le développer aussi. Mais ce qui m'inspire c'est ma vie, et ma vie est comme les autres. Je ne suis pas très bling-bling, je suis pas quelqu'un qui flambe.

La célébrité, on apprend à l'apprivoiser ?
Je ne me sens pas tellement en danger, par rapport à ça. Justement parce que j'ai l'impression de faire partie des gens comme tout le monde. Je ne suis pas un Maître Gims qui montre qu'il prend des jets privés et s'achète des chaussures au prix d'un SMIC. Lui c'est son délire, il est comme ça. Moi ce que je montre sur les réseaux, ce que je montre dans la vie, en dehors, c'est ce que je suis naturellement. Quelqu'un de simple. Je ne prends pas tellement de risques à raconter ma vie personnelle.

« Avec Flo, on est liés à vie »
Flo Delavega, ton ancien acolyte de Fréro Delavega, sort son premier album solo. Son retour à la musique, alors qu'il avait initié la fin du groupe pour fuir la lumière, vous en avez discuté ensemble ?
Pas tellement mais j'étais hyper content qu'il puisse revenir, et surtout qu'il ait redéveloppé ce goût de la musique et cette envie de la partager. Parce qu'il est fait pour ça. Il revient en douceur, à son propre rythme, et puis c'est lui, ça lui ressemble. C'est quelqu'un qui fonctionne par cycles. Là, il a besoin de s'exprimer et j'en suis très heureux.

Tu n'as jamais caché avoir vécu de manière difficile la fin du groupe. Avec le recul, que retires-tu de positif dans cette séparation ?
Un épanouissement personnel que je n'avais pas tellement développé avec les Fréro, parce que je n'en avais pas le besoin. J'étais bien dans ma bulle, avec mon demi grand frère qui me montrait comment faire, qui me portait, ça me confortait. A partir du moment où je me suis lancé tout seul, j'ai du me prendre en main, comprendre comment faire tourner une boutique, et ça a été un gros développement intérieur.

Peut-on imaginer dans le futur un duo sur un de vos albums respectifs ?
Carrément ! Il m'a déjà rejoint trois fois sur scène lors de ma précédente tournée alors je serais évidemment ouvert à l'idée. On est liés à vie.

« C'est notre responsabilité de changer les choses »
Avec l'épidémie de COVID-19, les salles fermées, l’absence de concerts, comment vis-tu la situation en tant qu'artiste ?
J'étais assez content, pour être honnête, non pas de l'épidémie mais de son impact sur notre vision des choses. Elle nous a fait du bien, cette pause. On s'est tous retrouvés enfermés et on a pu essayer de comprendre pourquoi. On faisait n'importe quoi, on cassait tout sur notre passage mais on n'avait rien de concret. Là, on a un truc qui se passe et qui nous saute au visage. Ce n'est pas pour rien. Ça nous a permis de réfléchir. Le but aujourd'hui, c'est de revenir à la vie normale mais revenir avec des changements dans nos habitudes. C'est le point le plus important parce que si on recommence comme avant, on va droit dans le mur. Il faut qu'on se le dise. Il faut le faire. Rien que dans les tournées, on peut trouver des ajustements. On ne peut pas tout changer d'un coup mais si on s'implique davantage, il existe des solutions. Je me suis renseigné, on peut arriver à 90% d'éco-responsabilité dans une tournée. C'est énorme. Il y aura toujours des limites techniques, avec les camions, le matériel, et bien sûr il y a une considération économique qui rentre en compte, mais il y a beaucoup de choses qu'on peut changer. Les déchets à usage unique, ça ne sert plus à rien. On n'en a plus besoin. On voit encore des mecs boire dans des bouteilles d'eau en plastique dans des lives. C'est plus possible ! Rien que ça c'est aberrant. Ça devrait être interdit. J'ai appris il n'y a pas longtemps qu'on pouvait aussi changer la consommation électrique d'une salle de concert en énergie verte, juste en un clic sur internet. C'est notre responsabilité, en tant qu'artiste, de pousser en ce sens lorsqu'on prépare une tournée. Chacun dans son domaine, on pourrait regarder ce qu'il y a à faire pour changer les choses.

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