Crédits photo : Emma Cortijo
Jour après jour, la parole se libère dans le milieu de la musique. Alors que le compte Instagram #MusicToo entend défendre les victimes de « violences sexistes et sexuelles », de plus en plus d'artistes sortent du silence pour raconter leur calvaire. C'est ainsi que le parolier Yohann Malory a été notamment accusé d'agressions sexuelles par plusieurs témoignages. C'est désormais au tour de Pomme de prendre la parole. Nommée dans la catégorie Artiste féminine aux Victoires de la Musique, après le joli succès de son premier album "Les failles", la chanteuse partage aujourd'hui une lettre ouverte sur le blog de Mediapart pour raconter son expérience et écrire noir sur blanc qu'elle a été harcelée « moralement et sexuellement » dès ses débuts dans l'industrie.

"J'ai été l'objet de quelqu'un"

« Je suis quelque part entre la colère, le repos, la révolte et le lâcher prise. De là où je suis, j'ai décidé de dire les choses. De ne plus laisser régner la peur, la peur de quoi, je sais même pas » débute l'interprète de "Je sais pas danser", qui a enfin décidé de prendre la parole sur ce sujet afin de faire bouger les choses : « J’en ai déjà parlé il y a quelques années, mais à l'époque, je n'avais pas la place que j'occupe aujourd’hui, c'était plus facile, ça faisait moins de bruit. Je vais redire les choses. Que ça fasse plus de bruit aujourd'hui, tant mieux ». Parlant de son arrivée dans la musique comme d'une expérience « traumatisante », Pomme, de son vrai nom Claire Pommet, explique avoir été « victime d'un système d'oppression dangereux », notamment pour les « femmes queer, handicapées, racisées ».

Pomme chante "Anxiété"


« De mes 15 à mes 17 ans, j'ai été manipulée, harcelée moralement et sexuellement, sans en avoir conscience à cette époque évidemment » poursuit la chanteuse, qui fait part de son témoignage glaçant : « J'ai été l'objet de quelqu'un, façonnée selon ses fantasmes et déviances psychologiques. Je ne choisissais rien de ma vie (comportements, fréquentations), ni de mon apparence (vêtements, maquillage, épilation), ni de la direction artistique de mon propre projet musical naissant à l'époque. J'ai été manipulée jusqu'à en perdre totalement confiance en moi, confiance si fébrile à cet âge là ». Si elle ne révèle pas le nom de son agresseur, Pomme précise que celui-ci avait 30 ans lorsqu'elle n'en n'avait que 16 : « Réussir à lui faire croire qu'elle est le problème, en la sexualisant, en la rabaissant, en la contrôlant. Partir en marchant à pieds joints sur les débris d'une santé mentale détruite ».

"J’ai été harcelée sexuellement"

Pomme évoque « la stratégie d'un nombre effrayant d'hommes » via des phrases telles que « Sois plus sexy, moins enfant » ou « J'aurais dû te baiser », et explique n'avoir pas pris conscience, à l'époque, de ce qu'il se passait. « Quand j'ai sorti mes premières chansons, autour de 2015/2016, j'étais encore piégée dans l'idée que j'étais coupable de cette situation. L'artiste des débuts que certain.e.s ont connu était enfermée dans une cage. Cage qui s'est un peu agrandie à la sortie d'un premier album, mais qui n'en restait pas moins une cage. J'ai mis des années à retrouver une confiance en moi qui puisse me porter et m'autoriser à être celle que je suis aujourd'hui » continue-t-elle.

"Je suis pas la seule, je suis pas une exception"

A travers ce témoignage, l'interprète de "Grandiose" veut parler au nom de toutes les victimes car elle sait ne pas être « un cas isolé » : « J'écris cette lettre pour toutes les personnes qui n'ont pas encore trouvé cet espace dans lequel se reconstruire, qui n'en ont pas la chance, pas l'opportunité, j'écris pour espérer que quelques unes se sentiront moins seules, pourront demander de l'aide, et pour que les autres réalisent et agissent, devant l'ampleur des violences quotidiennes perpétrées dans nos professions ». Saluant le travail du compte #MusicToo, qui a recueilli plus de 300 témoignages, elle encourage les lecteurs de sa lettre mais aussi les professionnels de la musique à prendre conscience de la situation : « Il y a donc un grand nombre d'hommes qui évoluent dans cette industrie en étant des harceleurs, des agresseurs, des violeurs. Un nombre que personne ne peut imaginer (...) Parfois, je suis dans les mêmes loges, dans les mêmes salles, sur les mêmes scènes qu'eux. Ils sont libres. Ils sont exempts de la justice ».

« Alors voilà, j'ai été harcelée sexuellement, et par la suite, mansplainée à d'innombrables reprises, et puis diminuée et réduite dans mes compétences, et puis et puis. Je suis pas la seule, je suis pas une exception et je suis pas à plaindre. Je n'ai pas l'intention de me faire plus petite. Je n'ai pas l'intention de la fermer (...) Ça suffit. C'est assez. Parlons-nous. Avec douceur ou avec hargne. Pour que la vérité et la justice se fassent entendre » conclut Pomme, espérant que sa prise de parole sera entendue par le plus grand nombre et fera bouger les choses.