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Zaz en interview : "Je me mettais une pression énorme, je voulais sauver le monde"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
De retour après plusieurs années d'absence avec l'album "Isa", Zaz se confie en interview à Pure Charts. Sa longue pause, sa remise en question, la pression, la notoriété, ses chansons intimes et politiques... La chanteuse se livre, sans fard.
Crédits photo : Alexandre Moulard
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Ce nouvel album "Isa" est né d'une véritable remise en question...
Avant le confinement, j'avais choisi de m'arrêter. Je pense que j'étais arrivée à un moment où je n'étais plus dans un équilibre. Zaz prenait toute la place. Je faisais même une saturation de Zaz. Après, au-delà de ça, j'avais besoin de m'occuper de moi, de construire ma vie personnelle, car j'ai rencontré quelqu'un. J'avais envie de construire.

Il fallait que j'affronte des choses pour pouvoir m'ouvrir
Ce qui était impossible avant avec ton rythme ?
C'est pas que ça aurait été impossible mais vu ce que j'avais à travailler à l'intérieur pour pouvoir accepter de m'ouvrir, je ne pouvais pas. Je me protégeais en permanence. Ça n'allait pas, il fallait que j'affronte des choses pour pouvoir m'ouvrir. Je crois que c'était le bon moment, en fait. Je l'ai senti... Je devais repartir en tournée et j'ai dit : "Non, il faut que je m'arrête, je ne me suis jamais arrêtée, il faut que je m'occupe de moi".

L'envie était partie ?
Non, je pense que j'étais juste fatiguée. J'avais cette opportunité, ce privilège, cet incroyable succès, où d'un coup je faisais ce que j'aimais mais beaucoup quoi. Il y a le succès en France et à l'international aussi, donc ça s'est multiplié par plus de pays, plus de concerts. A chaque fois, il y avait des propositions dingues. Et moi je suis un peu boulimique donc je pense à des projets, je propose plein de trucs. On faisait même des projets dans les projets. L'album "Paris" est né en pleine tournée, tu imagines ? Mais c'était Quincy Jones ! Moi j'avais balancé ça, on m'avait dit : "Ouais t'es gentille...". Et finalement il a dit oui, tout le monde a halluciné donc on a saisi l'opportunité.

Je me mettais une pression énorme
Tout ça, c'était aussi pour combler quelque chose tu penses ?
Non, je crois que je suis quelqu'un d'intense. Même quand je fais rien, je suis très intense. La vie est toujours très intense. Là, les trois ans que j'ai passés, je n'étais plus Zaz, je n'étais plus sur le devant à mettre de l'énergie. Avant, je me mettais une pression énorme, je voulais presque sauver le monde quoi... Sauf que je ne suis pas un super-héros, et même si tu fais les plus belles choses du monde, ce ne sera jamais suffisant. Tu ne peux pas en fait, ce n'est pas sain. J'ai transformé des choses en moi, il y avait des bases qui n'étaient pas bonnes, alors j'ai été me mettre des bonnes bases. J'ai affronté tout un tas de choses. C'était le moment. Je travaille sur moi depuis près de 20 ans mais ce n'est jamais pareil. Et puis je ne suis pas à la même saison de ma vie. J'ai trouvé plus de nuances, plus de recul, je suis moins en fight, je suis moins en revendication, je veux moins convaincre.

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C'est vrai, même si l'album a un côté politique aussi...
Il est politique parce qu'il est vivant, il est sociétal. Je fais partie de la société. La société, c'est le reflet de l'individu. Si chacun s'occupe de soi et construit ce truc-là, par rayonnement, on pourra changer le monde. Mais c'est déjà en train de se faire...

En tout cas, on sent qu'il y a quelque chose d'apaisé...
Je ne suis pas apaisée non plus, il ne faut pas s'enflammer ! (Rires)

Non mais même dans les chansons politiques, dans la voix, on sent que quelque chose s'est posé.
En fait, ça ne sert à rien d'aller dans le mur. Il y a ce paradoxe dans la vie : "Ce à quoi tu résistes persiste". Et en même temps, il faut résister à des choses pour ne pas perdre sa nature. C'est juste de dire les choses mais sans... Surtout dans ce climat où il a beaucoup de clivages. C'est bien, c'est mal, c'est noir, c'est blanc. La chanson "De couleurs vives", écrite par Julie Prouha, la compagne de Sylvain de Boulevard des airs, c'est son premier texte qu'elle file à quelqu'un et ça me parlait vraiment. Je me disais que je n'avais pas pris la parole. Ça me faisait exprimer quelque chose que je ressentais mais sans rentrer dans des trucs d'opposition.

La notoriété, c'est une grande perte de liberté
A un moment, tu as eu l'impression d'être enfermée dans un personnage de l'artiste toujours souriante, qui partage, qui donne beaucoup ?
C'est pas que tu es enfermé dans un personnage, c'est que quand ça va pas, tu ne vas pas sur scène en faisant la gueule. Tu dois prendre sur toi, sauf que ça s'enchaîne chaque jour. Et moi quand je suis fatiguée, je suis un peu "autiste" dans le sens où tout est sensible, tout est extra-sensoriel. Un petit truc peut déclencher une angoisse. En plus, je sens les gens... Si quelqu'un me prend en photo sans me demander, s'il y a un truc pas très respectueux, je peux vite partir sauf que je ne peux pas partir en cacahuètes, parce que ce serait disproportionné. Mais moi ça me renvoie à un truc... C'est difficile... Parfois, mes perceptions sont très excessives, très sensibles.




Ce métier, la notoriété, c'est difficile à apprivoiser ?
Oui, le projecteur est toujours sur toi. Même quand tu es dans ta vie normale, les gens peuvent te reconnaître et venir vers toi. Ce qui n'est pas désagréable, si les gens t'aiment. Bon, si les gens t'aiment pas, on s'en fout. Mais c'est juste que c'est tout le temps présent. D'un coup, tu as envie d'être un peu dans l'anonymat. Mais en même temps, je ne vais pas me plaindre parce que j'ai ce privilège. Mais il y a tout ça dedans, et j'ai le droit de ressentir ce que je ressens. J'avais l'impression que Zaz n'avait pas le droit de ressentir ça, de l'exprimer. En tout cas, ce n'était pas équilibré. Ce n'est pas évident... La notoriété, c'est quand même une grande perte de liberté, d'une certaine manière, dans certains endroits de ta vie.

Je suis quelqu'un de sans filtre, c'est ma qualité et mon défaut
Tu as réussi à prendre ce recul là ?
Le problème ce n'est pas l'extérieur, c'est ton attitude face à ces choses, comment tu réagis face à ça. Sauf que quand tu es fatigué, dans l'excès, plus dans l'écoute et le respect de toi-même, ça ne marche plus. Le problème ce n'est pas l'extérieur, c'est toi. Quand tu es bien, tu sais ne pas mettre l'énergie dans des choses qui ne sont pas importantes.

Proposer un album délicat, plus intime, tu n'as pas eu peur que ça déroute les gens ?
Non... Le seul truc, c'est que je trouve que c'est très intime en effet. Mais non parce que c'est l'énergie dans laquelle je suis. Tant pis si ça déroute les gens. De toute façon, je ne pouvais pas faire autre chose, sinon ça n'aurait pas été moi. Je l'aurais fait pour la bien-pensance et en général, ça ne marche pas. A part l'album "Paris"... C'est pas que c'était pour la bien-pensance mais c'était une commande des fans qui voulaient m'entendre là-dessus. Mais j'avais envie de le faire ! Le plus important c'est de kiffer ce que tu fais. Là, je voulais un album organique, avec des textures, des matières, et j'ai rencontré Reyn, un réalisateur-compositeur hollandais. C'est très beau ce qu'il fait, je fais de la méditation et du yoga avec ses chansons, ça me fait beaucoup de bien. Achetez ses albums ! Il a fait plein d'instruments, il a samplé des bruits de mon corps. Il a fait un gros travail d'arrangements. On a aussi travaillé avec des orchestres. Ça a été un album très intérieur... Il est proche. Et on n'a pas mis d'autotune, on n'a pas trafiqué les voix principales. C'était un désir, de proposer quelque chose de brut. Ce n'est pas comme sur d'autres albums, où il y a des choses très rondes... Il est plein de fragilités.




L'album s'appelle "Isa". C'est parce que tu avais la sensation que les gens ne te connaissaient pas vraiment ?
C'est l'idée que j'avais mais les gens autour me disaient : "Bah non Isa, on sait très bien qui tu es". Dans tous les albums, j'ai fait "Ma valse", "Ma part d'ombre". Les gens ressentent très bien... Mais peut-être que moi, je ne m'autorisais pas quelque chose. On dit souvent "les gens" mais c'est ton attitude qui définit les choses. Je me mettais une pression de quelque chose de beaucoup trop parfait. Je suis quelqu'un de sans filtre, c'est ma qualité et mon défaut, mais il y avait des choses qui étaient encore trop sensibles, et je n'étais pas capable d'aller fouiner. Là, j'ai choisi. J'ai enlevé toutes mes béquilles, j'ai été embrasser mes peurs, c'était assez terrifiant mais libérateur. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Quand tu as fonctionné d'une certaine manière pendant 40 ans... Mais après, c'est toujours moi. Ce sont des phases de vie.

Je sais dire non, quitte à décevoir et à déplaire
Et là, de revenir dans un cycle avec album, promo intensive et tournée mondiale, tu ne redoutes pas trop ?
Je vais essayer d'appliquer ça. La promo, on le sait, ça fait partie du jeu, ce n'est pas le moment où tu te reposes et où tu prends soin de toi. Il faut faire très attention... Là, je ne fais pas tout ce qu'on me propose. Il y a dix ans, je faisais un peu tout, je me laissais guider, maintenant je sais dire non, quitte à décevoir et à déplaire. Je fais ce qui me semble juste. Je ne peux pas tout faire. Mais ça va très vite... Ça allait ces dix dernières années, mais les 2-3 dernières, j'aurais dû m'arrêter. Mais je ne regrette pas car je n'étais pas capable de le faire, je ne le voyais pas.

Sur ce disque, tu évoques donc avoir trouvé l'amour, tu révèles être belle maman, tu parles de ton père. Ce sont des sujets très personnels. Tu n'as pas hésité avant de te confier là-dessus ?
Si si si. Mais en même temps, je me suis dit que c'est ce que je vis... Je ne peux pas être plus honnête que ça. Et ça va parler à un grand nombre. On a tous une relation qui n'a pas d'étiquette par exemple. Et le rapport à nos parents, ça parle à tout le monde. Si je suis moi, que j'exprime ça, c'est ça qui touche chez un artiste aussi, quand il livre des choses. Regarde l'album de Ben Mazué, qui est incroyable, il faut être courageux. C'est une bonne thérapie dans le sens d'accepter ce qui est et d'embrasser les choses, et dire : "Je suis juste un humain". Finalement, on se ressemble tous. Ce sont comme des chansons de reconnaissance.

Comment ton père a réagi en écoutant "Comme tu voudras", où tu t'adresses à lui avec beaucoup d'amour et de nostalgie ?
Je n'ai pas eu l'occasion de lui faire écouter. (Sourire) Je me dis juste que nos parents ce sont des êtres humains, et parfois on l'oublie, on aimerait qu'ils soient parfaits. Mais nous-mêmes, on ne fait pas tout parfait, on fait des choix, mais en même temps, cette reconnaissance, c'est à nous-mêmes de se l'apporter. On ne peut pas se plaindre du monde et se plaindre des gens qui ne nous apportent pas ce qu'on voudrait. Les choses viennent vraiment de l'intérieur. Mais c'est dur parce que tu as beau le savoir, entre la théorie et la pratique, il y a un monde.




Ma personnalité s'est construite en opposition à la société
Sur l'album, l'enfance revient beaucoup. Tu as dû régler beaucoup de choses du passé ?
Je chante ce que je suis. Ma voix, elle est mon histoire. Il y a quelque chose dans l'air du temps, et heureusement, il y en a qui ont ouvert des voies avant nous mais là on arrive à un moment où la parole se délie, les mémoires se libèrent. Il y a un regard sur notre lignée, les racines, les questions d'identités, les mouvements Me Too, féministes... Tous les mouvements qu'il y a, c'est vraiment un regard de "Qui je suis ? Où je suis ? Et comment je peux être pleinement moi-même ? Et tant pis si je suis jugé face aux codes et les critères de la société". Tous ces trucs-là, ils sont en moi. Ma personnalité s'est construite en opposition souvent à la société parce que je ne me retrouvais pas dedans et je trouvais les choses très injustes. Ou dans ma lignée où pareil il y avait des choses injustes, mais aussi plein de belles choses. C'est juste de dire : "Stop, ça je ne veux plus le faire, je ne ferai plus ça par filiation et je vous abandonne pas pour autant c'est juste que ça ne me correspond pas et je ne suis pas épanouie là dedans". Donc arrêter de faire ça et en même temps de me servir de tous les bagages très beaux, de reconnaître ça aussi. C'est juste faire la part des choses. Ce n'est pas ou négatif ou positif. Il y a vraiment tout ça. C'est ce que je chante dans "De couleurs vives" ou "Exister" : je suis ce que je suis, et j'ai le droit d'être qui je suis.

Dans "Ce que tu es dans ma vie", tu chantes "Et si c'était ça la famille ?". Ça m'a fait penser aux familles qui ont des enfants nés de la PMA. Il y a des gens, avec des parcours très différents, qui vont sans doute se reconnaître...
Oui, c'est ça que j'adore avec les chansons, chacun peut se les approprier d'une manière différente. "Si jamais j'oublie", certains pensent que c'est sur Alzheimer alors que pour moi non. C'est génial quand d'un coup, tu écoutes et la chanson, c'est la tienne, c'est tes mots, ton sentiment. Il n'y a rien de mieux.

Tu penses en les faisant que ça peut aider les gens qui les écouteront ?
Oui, j'y pense vraiment aux gens mais j'essaie toujours d'être moi-même.

C'est facile de chanter des chansons comme ça ?
Il y a des jours où c'est facile, d'autres où ça le sera moins. Là, c'est le début, je les ai chantées un peu et ça va... Là, où j'en suis, ça va. Bon, après, je suis toujours hypersensible... On verra !

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