Zaz en interview : "Tous ces gens qui me détestent, je m'en fous"
Zaz sort son nouvel album "Sains et saufs", où elle apparait plus apaisée. En interview sur Purecharts, la chanteuse se confie sur ce nouveau départ, la perte de son père, son cheminement personnel, les critiques ou encore notre impuissance face à la guerre dans le monde.

Jan Welters
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Ce nouvel album "Sains et saufs" sort sur un nouveau label, Tôt ou tard. Qu'est-ce que ça a changé pour toi ?
Ça a tout changé. Je pense qu'il y a eu tellement de changements en moi... Quand les choses changent en nous, les gens qui nous accompagnent changent souvent aussi. J'ai toujours été très bien accompagnée, mais là, par rapport à qui je suis, ça a vraiment une cohérence. Je me sens vraiment à ma place.

Je suis quelqu'un d'hyper intense
Comment ça s'est fait ?
Vincent Frèrebeau et moi, on s'est rencontrés et ça a tout de suite été un "rentre-dedans". On est deux caractères forts, on n'a pas de filtre, on dit clairement ce qu'on ressent, ce qu'on pense. En plus, Vincent est comme moi, il se fait des fusées, c'est à dire qu'il a plein d'idées, il a envie de faire plein de choses, il est créatif, passionné. Toute son équipe lui ressemble aussi : ce sont des humains qui sont à leur bonne place, qui font les choses pour les bonnes raisons, et c'est hyper agréable. Je suis hyper contente qu'on m'ait proposé de venir et très heureuse d'avoir décidé de le faire.

L'arrivée de Puggy dans ton univers, c'est une idée du label ?
Oui, ils m'ont fait rencontrer les Puggy avec qui j'ai finalisé l'album. C'est vraiment une rencontre artistique et humaine qui m'a rassurée, qui m'a fait du bien. Ils m'ont accompagnée, stimulée. Ils ont été très accueillants et bienveillants. J'ai vraiment de plus en plus besoin de ça : de gens qui comprennent, qui sont attentifs, à l'écoute, qui respectent. Je pense que toutes ces choses que je commence à intégrer en moi, je les vois à l'extérieur, et c'est hyper cool.

Ce que je raconte dans mes chansons, c'est mon histoire
On ne peut pas parler de cet album sans évoquer le drame personnel qui l'entoure : le décès de ton papa.
Évidemment, tout ce que l'on vit a un impact. Je suis quelqu'un d'hyper intense. L'album d'avant aussi a eu un impact. Il y a eu le Covid, j'ai dû m'arrêter, j'avais choisi de m'arrêter avant. J'ai eu 40 ans, j'ai arrêté de boire, de fumer, de boire du café, de manger des animaux. J'ai fait un jeûne de 3 jours, puis de 10 jours. Il y a eu d'énormes changements, de prises de conscience. J'ai aussi rencontré quelqu'un en 2018 avec qui je me suis mariée... D'abord, on a mis notre père en EHPAD, et trois ans après, il est décédé en tombant, comme ça. Ce que je raconte dans mes chansons, dans mes albums, c'est ce que je suis, c'est mon histoire, ce que je traverse. Pour cet album, j'avais besoin de raconter ces choses personnelles. C'est mon album ! Si je ne raconte pas ce que je suis et ce que je vis, je vois pas ce que je vais raconter...

Il faut aussi être personnellement en mesure de le faire...
Là, j'étais prête, j'avais digéré et incarné certaines choses. J'ai pris conscience de beaucoup de choses. On a beaucoup discuté avec les auteurs-compositeurs. J'ai été impliquée comme jamais, même dans les arrangements, les textures de sons. Je pense que, comme je suis plus dans le respect de moi-même et plus à l'écoute de moi-même, je suis plus à l'écoute des autres. Du coup, tous nos échanges ont été hyper riches. Tout le travail que je fais sur moi depuis mes 20 ans, pour comprendre d'où je viens, pourquoi je suis comme ça, de me libérer de choses qui m'emprisonnent, du regard des autres, de la société... Je pense que l'album parle de tout ça. C'est comme les bouquins : tu lis un bouquin à 20 ans, tu le relis à 30 ou 40 ans, c'est le même bouquin, mais tu n'as pas la même compréhension. Tu accèdes à d'autres choses parce que tu as grandi, tu es plus conscient, tu as digéré, tu as vécu. Cet album, c'est toujours moi, comme tous mes albums, mais c'est aussi l'intégration de plein de choses vécues, d'expériences.

Ces thèmes aussi intimes doivent avoir une charge émotionnelle particulière...
Oui je pense par exemple à la chanson "Que des liens" de Noé Preszow. On a beaucoup discuté de ce que je ressentais pendant l'incinération... Enfin tout le parcours, ce moment où tu ne comprends rien, l'avant, l'après, les gens qui nous accompagnent. Je lui ai raconté tout ce que je ressentais, et c'est un incroyable médium. Il a réussi à mettre les mots, à en créer une chanson, et ce sont mes mots quoi. Au début, elle était beaucoup plus longue, il y avait beaucoup plus de mots, et on a failli ne pas la faire, elle était trop forte. Puis, quand les Puggy sont arrivés, ils ont écouté plein de choses et ont dit : "Isa, on a une idée là-dessus. Peut-être qu'elle ne sera pas sur l'album, mais on aimerait bien aller au bout de notre idée." Ils ont enlevé tout un tas de trucs, ils ont mis les choeurs à la fin...

Les critiques, ça fait partie du jeu
C'est une de mes préférées. Cette chanson était trop importante pour ne pas y être, non ?
Ce que je trouvais incroyable dans cette chanson, et c'est pour ça que je ne l'ai pas lâchée, c'est la phrase : "On n'est rien, on n'est rien, que des liens." Cette phrase en elle-même fait toute la chanson. Il n'y a pas besoin d'en dire plus. Ça m'émeut encore...

Il y a un sujet qui revient ici et là sur l'album, ce sont les critiques. Est-ce qu'on s'en remet un jour de cette vague qu'on a reçue et qu'on reçoit encore ? Comment on fait pour s'en remettre ?
La chanson "Je pardonne" parle de ça, de mon histoire. Au-delà d'avoir été connue, car j'ai été connue à 30 ans, je me suis mangé beaucoup d'amour, mais aussi beaucoup de haine. Mais bon tu es médiatisée, tu es vue par un plus grand nombre, ça fait partie du jeu. Je pense que j'attisais de la passion, en tout cas ça ne laissait pas les gens indifférents. Et c'est venu révéler des choses en moi aussi. Comme je le dis dans "Je pardonne", tout ce qu'on a vécu d'horrible, de difficile, d'être mis sur la place publique... Ce sont des choses que j'ai pu vivre même avant d'être connue. Toutes ces choses font partie de mon histoire. Je pense qu'à un moment, on peut être victime, mais on peut aussi choisir de ne plus l'être et être responsable de son bonheur. C'est vraiment le chemin que je prends.

Si on veut la paix dans le monde, elle doit passer par nous
Oui, on avance chaque jour...
Tout le travail de compréhension que je fais, depuis mes 20 ans à 45 ans aujourd'hui, est en train de porter ses fruits. Je suis en train d'incarner tout ce que j'avais analysé et compris avec ma tête. Il faut ensuite que ça passe par le corps. Donc, quelque part, tous ces gens qui ont pu me détester, et il y en aura encore... En fait, on s'en fout. Pourquoi remettre mon pouvoir à l'extérieur ? Pourquoi donner de l'importance à des gens qui ne me valorisent pas ? Tout ça vient de moi, c'est ma responsabilité.

C'est ce qu'on en fait, c'est ça ?
Oui ! Évidemment, c'est horrible et difficile, c'est pas sympa, mais c'est la vie, c'est le monde. Comme je le raconte sur scène, si on veut cette fameuse paix dans le monde, on a tout intérêt à aller chercher cette paix à l'intérieur de nous. On ne peut pas sauver le monde, on ne peut pas changer le monde, mais on peut y contribuer, évidemment, on peut faire plein de choses. Mais je pense que pour vraiment aider le monde, il faut qu'on apprenne à se respecter soi-même, à s'aimer, à s'accompagner, à être son propre parent, à être la personne la plus bienveillante avec nous-mêmes. Parce que parfois, on est tellement exigeant, intransigeant, dur, on veut toujours bien faire... Pour ma part, j'étais dans une exigence de toujours devoir être parfaite, de bien faire, de ne pas avoir le droit à l'erreur. C'est pas cool ! En fait, je suis mon premier bourreau.

Il y a une superbe chanson qui s'appelle "Mon sourire" où tu évoques l'état du monde. Parfois, tu te sens impuissante ?
Cette chanson vient d'une expérience. J'avais accepté d'être marraine pour les Restos du Coeur à Tours. J'y suis allée avec Guichto, mon guitariste, qui est là depuis toujours. On a passé une journée incroyable à rencontrer les gens et à partager. Ça avait du sens car je suis originaire de là-bas, mon histoire a commencé là-bas. C'était très fort pour moi. J'avais posté des choses sur les réseaux, et je me suis fait avoiner par des gens qui vivaient une catastrophe, un tremblement de terre, il y avait des morts. Des gens m'envoyaient des messages, se désabonnaient, en disant : "Comment tu peux être heureuse alors que nous vivons l'horreur ? Comment tu peux chanter comme ça ?". Ils m'en voulaient. Et il y en avait beaucoup, ou en tout cas suffisamment pour que ça me touche.

Ma joie c'est mon arme, ma réponse au monde
Comment tu as réagi ?
Je me suis dit : "Ce n'est pas possible." Souvent, on m'a reprochée d'être naïve, d'être toujours de bonne humeur. Mais c'est pas vrai ! Si je suis appelée à faire quelque chose et que ça me procure de la joie, je vais le faire, peu importe les qu'en-dira-t-on. Parfois, les gens ne vont pas comprendre... Ma joie ça a toujours été mon arme, c'est ma réponse au monde. C'est un acte politique, la joie, en vrai. Je suis hyper consciente, très empathique, je ressens tout extrêmement fort tout le temps, et l'injustice me rend dingue. Tout est là ! J'ai choisi de focaliser sur ce qui me fait du bien, de prendre soin de moi, de porter ma lumière. Évidemment qu'il y a des colères saines, mais se nourrir constamment de colère et que la colère devienne ton identité, c'est cramant. Il ne faut pas la nourrir constamment, il faut en sortir. Sinon, on est encore victime et on n'aidera pas plus le monde en étant victime.

Et la musique te permet de répandre cette joie aussi...
Quand je fais des concerts et que je chante "Je veux", je sais que j'ai un interrupteur de joie, je le sens. C'est partout dans le monde ! Ça veut dire qu'on se ressemble, on se reconnaît, on est pareils. J'ai commencé ma tournée là, en Pologne, c'était blindé, les gens sont là, ils dansent, ils sont heureux. Je me dis qu'on est ensemble à ce moment-là, que je suis à ma place, je chante, je partage mes idées. Et ça a un impact. Quand ils sortent du concert, ou quand ils écoutent ma musique, certains me racontent que ça leur a donné envie de se bouger, de se faire confiance. Des histoires comme ça, il y en a plein.

Garder cette joie dans ce monde fou, j'imagine que c'est un travail au quotidien...
Oui ma joie, je la travaille. Il y a des matins où c'est difficile, j'essaie de ne pas regarder les réseaux, parfois je me coupe, car on est pris en otage. Il y a une chanson qui s'appelle "Mon Dieu" sur l'album. C'est pareil, j'ai envoyé des sous, j'ai essayé de poster des choses, mais je ne sais pas quoi faire de plus. Même quand tu envoies de sous, on ne sait même pas s'il arrive. En plus, il y a des injustices partout dans le monde, des choses horribles. J'essaie de faire ma part, de créer un maximum de choses pour qu'on se fasse du bien, à travers mon festival que j'ai créé il y a 7 ans, tout ce que j'avais mis en place avec les associations partout dans le monde. Aujourd'hui, j'ai beaucoup investi mes propres fonds, donc il faut regagner de l'argent. Mais je suis hyper heureuse de ça.

On peut aussi essayer de changer le monde en off
Les reproches dont tu parlais, tu arrives à les balayer ?
C'est difficile. Car on peut aussi essayer de changer le monde, en off, avec nos proches, pas forcément en étant tout le temps au premier plan. Il y a des moments où je ne peux pas être devant, car je travaille sur moi et je ne me sens pas bien. Je ne peux pas avoir l'énergie nécessaire tout le temps. Parfois on m'accuse, on me dit : "Pourquoi tu ne prends pas parti là ?" Mais il y a des moments où je ne peux pas, je n'ai pas l'énergie, ce n'est pas le bon moment pour moi.

Oui, ça demande de se mobiliser entièrement et d'être disponible...
Oui et j'ai remarqué que quand tu ne fais pas les choses pour les bonnes raisons, ça te retombe sur la gueule. Par contre, si tu te respectes... À un moment, j'avais une tournée et je ne voulais pas me faire vacciner. Mais au Québec, on m'a dit : "Il faut être vacciné". Je ne voulais pas faire de faux, c'était hors de question. Eh bien, j'ai annulé la tournée, même si une semaine après, tout a ouvert. J'ai dû assumer, j'ai payé les équipes, les salles, et tant pis. Et je ne me suis pas fait attaquer. J'étais bien avec moi-même. J'ai expliqué que je respectais le choix de chacun, mais que moi, avec qui je suis, je ne pouvais pas. J'étais désolée, car toutes les salles étaient remplies là-bas. Je me suis excusée mais je devais me respecter. Et parfois, c'est difficile, car se respecter, c'est se confronter à des gens qui ne vont pas comprendre.

Les guerres, on se demande quand ça va s'arrêter
Dernière question. Vianney a écrit le titre "Mon Dieu" dont tu parlais juste avant. Comment s'est faite la connexion ?
Il y avait Vianney et Tristan Salvati. On s'est retrouvés en studio. On avait envie de travailler ensemble. On parlait de plein de choses et on ne savait pas quel thème aborder. On a essayé quelques pistes. À ce moment-là, il y avait la guerre, des gens qui meurent, des enfants qui paient... Vianney a tout de suite capté ça. J'ai commencé à chanter la chanson, elle me plaisait, j'avais envie de l'incarner, mais quand j'étais à la maison, en réécoutant, il y avait quelque chose qui ne passait pas, un truc qui me dérangeait. On a beaucoup discuté et j'ai changé un peu la tournure parce qu'il faut que ça me parle, que je sois en accord total, sinon je ne peux pas. Donc c'est la Terre qui parle à Dieu, mais ce n'est plus la Terre qui dit "Tu m'as abandonnée", c'est la Terre qui dit "Ils m'ont abandonnée, eux".

Et c'était le bon angle ?
D'un coup, je pouvais l'incarner. C'était la Terre qui disait : "Donne-leur la paix. Apprends-leur à aimer." Car nous ne pouvons rien faire. Ces gens qui détruisent sont dans un ego tout-puissant où il n'y a pas d'amour, pas d'empathie, pas de compréhension. L'idée même est faussée par le pouvoir, et pas le bon pouvoir. Là, ce sont des gens qui sont dans des réactions, et pour qu'il y ait la paix, il faut bien que quelqu'un commence. Mais si l'histoire est constamment construite ainsi, et que les nouvelles générations arrivent là-dessus, comment on fait ? On s'en sort jamais. L'histoire se reproduit d'un côté comme de l'autre, c'est terrifiant. On se demande quand ça va s'arrêter. En même temps, je trouve qu'il y a énormément de citoyens, d'humains qui osent parler, qui osent se mettre en avant, qui agissent, qui font. Il y a aussi énormément de beauté là-dedans. Ça révèle aussi des choses merveilleuses chez l'être humain dans toute cette horreur.

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
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