Patrick BruelVariete Francaise » Variété française
samedi 19 novembre 2022 12:28
Patrick Bruel en interview : "Le succès rassure, il est souvent synonyme d'affection"
Par
Théau BERTHELOT
| Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Patrick Bruel est de retour avec son nouvel album "Encore une fois". Au micro de Purecharts, l'artiste se confie sur ses chansons personnelles et sociales, sa collaboration avec Hoshi ou Mosimann et son rapport au succès. Interview !
Crédits photo : Fred de Pontacharra
Propos recueillis par Théau Berthelot. Vous êtes de retour avec l'album "Encore une fois". Il y a toujours du stress à la sortie d'un album ou ça devient une habitude ? Non, il n'y a aucune habitude. Il y a forcément le stress inhérent à toute nouvelle proposition, que ce soit un nouveau concert, un nouvel album, une nouvelle pièce de théâtre, un nouveau film. A chaque fois, on remet quelque chose en jeu. On remet pas forcément le titre en jeu, comme on dit en sport, car ce n'est pas pareil. Mais on remet quelque chose de très personnel sur la table, avec l'éternelle question : Est-ce que ça peut intéresser les gens ? Est-ce que les sujets que j'aborde sont importants aujourd'hui ? Est-ce que musicalement j'ai été au mieux ? Et surtout de se dire que le paysage ne cesse de se remplir de nouvelles propositions, de nouveaux talents. C'est toujours intéressant de savoir où on se situe, mais on y va avec humilité, détermination et heureux du travail fait. A chaque album, on remet quelque chose en jeu Vous vous entourez de "jeunes" artistes comme Mosimann, Skalpovitch ou Rouquine : qu'est-ce qui vous intéresse dans la nouvelle génération ?J'ai toujours collaboré avec des gens de toutes générations confondues, de tous horizons. Là, je trouve qu'il y a en effet une émergence significative de talents, de recherche de sons et d'exigence qui me touche beaucoup. J'ai eu la chance de croiser la route de certaines personnes et humainement, il s'est passé quelque chose de très fort qui a donné lieu à une collaboration, ce n'était pas dans l'autre sens. Le duo Rouquine, c'est parce qu'il y avait déjà eu la collaboration sur "Le fil", qui est une chanson très importante pour moi sur la discussion entre un père et son ado. Quand il a été question de travailler sur quelques chansons sur cet album, il y a eu "Encore une fois" qui est arrivé comme un petit bijou. Mosimann, je le connais depuis longtemps parce que je l'ai connu à la "Star Academy", j'avais chanté avec lui quand il avait 18 ans. Hoshi vous a écrit plusieurs chansons: comme est née cette collaboration ? Je l'ai rencontrée plusieurs fois, depuis quelques années. A chaque fois, c'était des rencontres très affectueuses, très tendres. On m'a proposé de faire un duo l'année dernière, j'avais choisi de chanter avec elle une de ses chansons, "Amour censure", que je trouve remarquable en tous points. Artistiquement et sociologiquement vu ce qu'elle évoque, un vrai sujet important. On s'est très très bien entendus et on s'est dit "Quelque chose peut naître de tout ça". Et voilà, il y a deux chansons sur cet album. Ça s'est presque fait en même temps. "Ça serait bien qu'on fasse quelque chose" et puis quelques jours plus tard "Ah au fait, j'ai avancé là-dessus". J'ai dit "Tu me connais bien en fait". Sur "J'avance", j'ai plutôt fait les refrains, Mark et elle ont plutôt fait les couplets, c'est extrêmement personnel. Je me suis dit que c'est une très belle rencontre. Le player Dailymotion est en train de se charger... Avec Hoshi, c'est une très belle rencontre C'est un album aux paroles assez humanistes et sociales. Quel a été déclic de cette prise de conscience ? Ça a toujours été là chez moi. (Sourire) Dans chaque album, il y a un regard que j'espère le plus aiguisé possible sur notre société. Il n'y a jamais eu dans ma carrière des étapes où il n'y a pas une dimension sociétale dans mon travail. Mais là, beaucoup d'éléments ont déclenché de l'interrogation, de la peine, de la tristesse, de la colère. On a traversé une période pas très simple, entre les grèves, les gilets jaunes, le Covid. Globalement, ce qui m'a frappé et guidé, c'est cet élan de solidarité formidable auquel on assiste à chaque fois qu'il se passe quelque chose d'important. Que ce soit tout un tas de réunions, où le peuple a besoin de se rassembler, mais aussitôt, derrière c'est suivi d'un élan d'individualisme forcené qui nous fait retomber dans les pires travers et qui nous fait oublier nos règles et nos responsabilités. C'est ce moment qui déclenche une envie d'un peu plus d'humanité. Vous vous voyez comme un porte-voix pour une nouvelle génération ? J'aime avoir un rôle de passeur ou de transmetteur. Le rôle de porte-voix est peut-être un peu exagéré... Je ne me sens pas être un porte-parole et surtout pas un donneur de leçons. Mais si je peux transmettre, oui ! Si je peux aider, influencer ou déclencher une envie ou quelqu'un qui a une vocation et qu'il ne le sait pas, oui bien sûr ! C'est très gratifiant pour l'un comme pour l'autre. Ce qui m'a frappé, c'est cet élan de solidarité auquel on assiste Il y a une chanson très parlante sur le sujet, c'est "On en parle". Vous vous inquiétez du monde qu'on va laisser à nos enfants...J'ai commencé à l'écrire il y a assez longtemps. Et au fil du temps, je l'ai aiguisé jusqu'à trouver quelques fulgurances à la toute fin, à la veille de rendre l'album. Je tenais à ce qu'elle y soit et qu'elle soit forte. Je peux paraphraser la chanson et énumérer mais chaque phrase est liée à un événement. Chaque phrase a sa résonnance et peut être interprétée par les gens qui écoutent comme un moment qui a pu les marquer, les interroger ou les mettre en colère. Donc on se dit que oui, on en parle. On ne peut pas laisser sous le tapis les choses qu'on a pu faire pendant 40 ans sur plein de sujets. Aujourd'hui, ce qui est très intéressant, c'est que je parle de quel monde on va laisser à nos enfants et surtout qu'est-ce qu'on va leur dire quand ils vont nous demander des comptes. Cette jeunesse aujourd'hui en a parfaitement conscience. C'est elle qui s'est prise en main, qui a pris en main des sujets très importants et qui les a mis sur le devant de la scène. Je ne pense pas qu'à l'écologie, il y a beaucoup d'autres sujets. Et c'est rassurant que dans cette urgence, cette jeunesse sache où elle est. La chanson dit ça aussi. Le monde est marqué aujourd'hui par les grèves, les manifestations, l'urgence écologique... Vous comprenez cette nouvelle génération en colère ? C'est bien que dans une société, on puisse mettre sur la table des choses aussi importantes que l'environnement, les rapports hommes femmes, l'avenir économique, de se poser des questions quand il y a des écarts phénoménaux de salaires, parfois une indécence... Enfin bref, ça va loin ! (Sourire) J'aime avoir un rôle de passeur Vous parlez aussi de vos insécurités sur "Je l'ai fait cent fois" : c'est important de parler de ses failles en tant que personnalité ?C'est une bonne question... Je ne pense pas qu'on y réfléchisse. Je pense qu'une chanson comme ça, quand elle se présente, c'est que c'est le moment de dire certaines choses. Ce qui m'intéresse chez les autres, ce sont leurs failles, c'est de savoir ce qui les a construit, ce qui peut se cacher derrière une apparence, parfois avec une carapace dure. Donc je me dis que ça doit être intéressant chez moi aussi. Très souvent, je pense qu'il peut y avoir une dichotomie entre l'image que je peux renvoyer et ce que je peux être fondamentalement. Je le ressens assez souvent. Je pense pas qu'il faille avoir peur de se dévoiler, je préfère me dévoiler dans une chanson que de me dévoiler dans un entretien par exemple. (Sourire) C'est très différent pour moi : je sais pas où je mets le curseur de la pudeur. Je sais pas pourquoi je vous ai dit ça mais peut-être que ça veut dire quelque chose, de dire que je préfère le mettre dans une chanson que d'en parler. Mais je trouve ça bien d'avoir mis ça dans l'album. Du coup, le succès, ça aide, ça réconforte ? Le succès rassure. Le succès est souvent synonyme d'affection. Quand on a fait ce métier pour être aimé, forcément on est heureux de cette réponse. Après, il y a le piège ultime de penser que le succès donne raison. Et là, il faut avoir de bons garde-fous, avoir les siens autour de vous pour vous faire comprendre que non, le succès ne donne pas raison. Au contraire, le succès vous permet le luxe de vous remettre en question, de travailler et d'essayer de constamment faire de votre mieux. Ce qui m'intéresse chez les autres, ce sont leurs failles C'est un album très personnel : vous parlez de votre carrière ("J'avance"), vos origines algériennes ("Je reviens") ou votre mère enseignante dans "L'instit"...Et du pouvoir du livre ! C'est plus un hommage à la lecture, à la transmission, à l'importance du livre et du savoir dans une société où on passe beaucoup par les raccourcis qui éloignent de la culture et qui sont dangereux. S'éloigner de la culture, c'est s'éloigner de la démocratie. J'ai toujours cette peur-là et j'avais envie de saluer le professeur. Pourquoi ce besoin d'introspection à travers ces chansons ? On dirait que c'est la première fois, mais ça a toujours été le cas. (Sourire) Je n'ai su écrire jusqu'à maintenant que des chansons où j'étais très concerné par le sujet ou le caractère autobiographique. Quand je fais une chanson comme "Les souvenirs que nous sommes" qui évoque le souvenir de nos résistants qui sont tombés pour notre liberté, j'ai besoin de rendre cet hommage. C'est important. Dans mes albums, il y a toujours un rapport au devoir de mémoire. Là je suis heureux qu'avec Paul Ecole, on ait mis l'accent sur ces deux garçons qui se parlent avant d'être fusillés et qui mettent avant la dignité. Le succès rassure, il est souvent synonyme d'affection Vous restez un artiste très populaire mais vous n'avez finalement pas été énormément récompensé aux Victoires de la Musique. Sur 13 nominations, vous n'en n'avez gagné que deux : ça vous déçoit ? Ça fait toujours plaisir d'avoir une récompense et d'être reconnu par ses pairs. Le fait d'être connu est une chose, le fait d'être reconnu en est une autre. J'ai toujours été très touché quand j'ai été nommé ou que j'ai eu une récompense, que ce soit aux César ou aux Victoires. Je vis sans ça et je peux vivre ça. Mais faire la fine bouche et dire que ça ne m'intéresse pas, c'est pas vrai ! Si c'est le cas ça fait plaisir, mais si ce n'est pas le cas, il faut pas que ce soit une fin en soi, que ça devienne une obsession ou une source de tristesse. Parce qu'il n'y a pas de raison. Je viens du sport de haut niveau, et ce sport de haut niveau c'est d'être le meilleur, de passer la balle derrière le filet, de courir plus vite, d'être le numéro un. L'art, non. Il ne doit pas y avoir en art cette notion de meilleur que l'autre, c'est pas possible. On peut avoir été plus touché par un artiste ou un film, mais vous allez être plus touché par un film que vous avez vu hier et moi j'en ai vu un autre qui m'a plus touché. Quel est le meilleur des deux films ou le meilleur acteur ? C'est très bizarre, cette notion est bizarre. Mais maintenant, il est vrai que c'est très agréable d'être mis en lumière et qu'on vous reconnaît comme un bon acteur ou un bon chanteur. Ça fait plaisir ! Vous avez dit que vous ne ferez pas de concerts avant 2024 : pourquoi ? En fait, avec les reports de Covid, j'ai fini ma tournée en septembre dernier, c'est-à-dire il y a un mois et demi. Donc je ne me sentais pas d'annoncer des spectacles aussi vite. D'autant plus que je tourne une série en 2023 et que je ne sais pas combien de temps elle va prendre. Je tourne une série franco-israélienne adaptée d'un bouquin formidable qui s'appelle "Unité 8200" avec une équipe extra, les gens qui ont fait "Fauda". Ça ne se refuse pas ! En revanche pour les dates, ça, rien n'est précis mais c'est en 2024.
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