Benjamin Biolay en interview : "Mon image de mauvais garçon, je ne sais pas d'où ça vient"
Benjamin Biolay sort "Le disque bleu", inspiré par les sonorités sud-américaines. En interview pour Purecharts, l'artiste se livre sur son amour des doubles albums, son image de "mauvais garçon", la classe politique ou encore sa chanson pour Florent Pagny.

Marie Rouge
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Après deux albums aux couleurs pop-rock, là, vous revenez à des sonorités sud-américaines sur "Le disque bleu"...
À la base, c'est la façon d'écrire les chansons qui est très différente. Les deux derniers albums, les chansons étaient plus écrites en studio avec évidemment des bribes sur mon dictaphone, mais c'était plus comme un groupe. Là ce sont des chansons que j'ai vraiment composées tout seul, avec une guitare et un cahier.

Je ne suis jamais trop passé à la radio
En Amérique du Sud donc ?
J'en ai fait pas mal en Argentine où j'ai une vie aussi. J'en ai écrit quelques-unes au Brésil où j'étais dans un état plus fébrile. En revanche, quand je suis à Buenos Aires, j'écris assez normalement. Sauf que j'écris peut-être un peu plus français que quand je suis à Paris. Enfin, c'est normal, c'est pas le mal du pays mais j'ai tendance à écrire des trucs peut-être qui sont, sur les textes, un peu plus classiques que ce que j'écris ici. C'est différent.

Et au Brésil, en quoi vous étiez plus fébrile ?
C'était d'être en train de faire un album et d'écrire des chansons qui n'étaient pas nécessaires parce que j'avais déjà mon quota. Donc c'est la nuit, être devant cette vue incroyable et d'écrire des chansons peut-être plus intimes aussi. On était dans un studio qui s'appelait Chez Georges en hommage à Georges Brassens.

D'où la reprise sur le disque !
Pas seulement mais ça y a contribué ! Après, j'étais content d'enregistrer une chanson de Georges Brassens chez Georges. Ce n'était jamais arrivé.

Sur les deux précédents albums, il y avait peut-être une volonté de renouer avec les radios...
Non c'est arrivé, j'étais le plus heureux, mais c'est vraiment pas une volonté. Et renouer, ce serait un peu une relecture parce que je ne suis jamais trop passé à la radio finalement avant "Comment est ta peine ?" et tout ça. Les radios, je suis comme tout le monde, je les écoute, certaines depuis que je suis petit, d'autres moins. Mais surtout grâce à la radio, on peut remplir des salles. Ou on peut réussir à s'installer dans un plateau multi-artistes sur un festival parce que les gens reconnaissent un truc qu'ils ont entendu à la radio et immédiatement, ça fait démarrer le truc. Donc c'est quand même difficile de s'en passer.

Un double album ça permet d'avoir de l'espace
Vous semblez aimer les double albums. Est-ce qu'il y a une raison particulière ?
Déjà dans les albums que j'aime, il y a plusieurs double albums. Il y a l'album des Beatles, l'album blanc, il y a bien sûr le "Songs in the Key of Life" de Stevie Wonder, il y a même un triple album des Clash mais avec des chansons pas forcément toutes nécessaires. Mais oui, ça permet d'écrire et de faire de la musique. D'avoir de l'espace. Je pourrais écrire des chansons, 14 couplets et aucun instrumental, mais je ne peux pas, et j'ai pas envie. J'ai besoin aussi d'un moment de musique pure.

Et ça change quoi de sortir un double album sur ce projet ?
C'est trop bien ! Dès le début, j'en avais envie avant même d'avoir le "matériel". Au bout de trois chansons, je me suis dit : "Ça va pas marcher sur un seul album". Il faut que ce soit vraiment comme le jour et la nuit, comme le sud et le nord... Et qu'il y ait une face acoustique parce qu'il y avait des chansons très acoustiques, très latines, et des trucs qui bombardaient, dont l'hommage un peu à Serge Gainsbourg. Je me suis dit que ça risquait d'être compliqué si c'était un album simple.

C'est bien passé auprès de votre label ?
J'ai fait mon lobbying habituel de casse-couilles interplanétaire qui répète le même truc tous les jours : "Ce serait bien que..." Jusqu'à ce qu'ils disent : "Bon ok". (Sourire)

J'ai été horriblement casse-couilles
Oui parce que pour "Palermo Hollywood", le label n'avait pas voulu le sortir en double album...
Je leur ai dit : "Rappelez-vous de la connerie de "Palermo Hollywood", de sortir l'autre album un an après". Il n'y avait plus d'effet de surprise, plus rien. C'était aussi une cohérence. Tout le monde a reconnu que ce sont deux albums qui ont bien marché mais ça se trouve ce double album aurait été un très gros succès. Et donc, j'ai été horriblement casse-couilles. (Rires)

C'est important pour vous d'imposer vos idées ?
Je n'essaie jamais trop d'imposer mes idées parce que j'aime pas trop quand on m'impose des idées. J'aime pas trop donner des ordres parce que j'aime pas en recevoir. C'était vraiment un travail de fond parce que ce n'est pas une blague, j'en avais vraiment besoin. Assez vite, j'ai été capable de leur faire une simulation, de leur dire : "Vous voyez, ça va être un peu comme ça et comme ça".

Il y a donc deux faces sur ce disque, "Résidents" et "Visiteurs" : ça signifie quoi pour vous ?
Alors ça, ça signifie un truc assez précis dans ma tête, au-delà du côté transcontinental de l'album, c'est que les chansons de l'album "Résidents", c'est typiquement le genre de chansons que je me suis écrites pour moi. Et sur "Visiteurs", ça ressemble pas mal à ce que j'ai écrit pour Coralie (Clément), pour Henri Salvador, pour Vanessa (Paradis). C'est moins orchestré, ça va moins chercher la noirceur dans la musique, dans les accords...

Les oiseaux, les arbres, les écureuils, ça me rend dingue
Vous vous amusez plus en écrivant pour vous ou pour les autres ?
Non, je m'amuse tout le temps. C'est le même plaisir ludique. Après, parfois, il peut y avoir des regrets où je me dis : "Cette chanson-là untel ou unetelle l'aurait tellement bien chantée". Et parfois, c'est très rare, je me dis : "Putain, celle-ci j'aurais mieux fait de me la garder". (Sourire) Mais c'est le jeu ! J'ai jamais joué à la poupée avec les interprètes. J'ai vraiment, en accord avec eux, essayer de retranscrire ce qu'ils voulaient chanter avec mon langage. Je suis pas arrivé avec des concepts propres.

La nature est très présente sur le disque. Il y a le ciel, la mer, la pluie, le conifère, le soleil, la marée... Vous vous êtes rendu compte de ça ?
J'écris pas mal à Sète aussi, où j'essaie de vivre le plus possible. Et là où je suis, je vois vraiment les temps, la mer, les arbres, c'est très inspirant. Je suis pas un amoureux des fleurs mais les arbres et tout, ça me fascine. Les oiseaux qui se posent dessus, ça me fascine. Un écureuil, ça me rend dingue. C'est vrai que je suis dans un endroit assez apaisant.

Ça se ressent. Il y a beaucoup de titres presque abstraits, vaporeux...
Oui, un peu éthérés. Je suis d'accord, il y a des moments quasiment engagés mais d'autres très éthérés. Ce genre de paradoxes, ça doit faire ce que je suis comme musicien.

J'ai noté aussi que les textes de l'album sont très... coquins.
Oh ça a toujours été le cas. Si vous relisez les anciens titres, j'ai même vraiment baissé le curseur. J'ai mis le frein !

Vous trouvez ?
Oui, après c'est que peut-être parce que c'est moins orchestré ici, c'est moins dissimulé. Peut-être que c'est plus assumé aussi. Mais ça a toujours été le cas. Je me suis dit très vite que si je faisais vraiment la musique que j'aime et surtout les textes que j'aime, mes parents allaient détester. Il a fallu que je m'y fasse ! (Rires) Parce que je sais que je dois pas faire de la musique pour satisfaire des gens extérieurs.

J'ai fait ce métier pour lutter contre ma solitude
Et vos parents, ils en pensent quoi ?
Ils viennent me voir sur mes concerts et chaque fois quand je sais que je vais balancer une insanité, je les regarde... (Rires) Ça fait partie de la chanson quoi. Je vais pas le zapper parce qu'ils sont là ! Après, si je sais que ma mère est là, je chante ma reprise "C'est magnifique"... Je la connais bien quand même ! (Sourire)

Ça me fait un bon enchainement avec la chanson "Mauvais garçon".
C'est un pied de nez ça !

Ça vous amuse cette image de mauvais garçon que vous avez ?
C'est d'ailleurs aussi mon image en Espagne et dans les pays latino-américains, vraiment tout le temps. Dans chaque article, j'avais le même chapô : "L'enfant terrible de la chanson française". Je savais pas trop pourquoi mais ça m'est resté. En tout cas, je suis pas un bad boy mais un mauvais élève. Mais j'ai mis "Mauvais garçon" parce que ça sonne mieux que "Mauvais élève", il y a quand même "garçon" qui est un peu juvénile comme terme, qui renvoie à un état permanent. Moi j'ai 16 ans quand j'ai ma guitare, j'ai pas mon âge.

Qu'est-ce qu'il reste aujourd'hui du jeune artiste qui débutait ?
Tout est intact, je dois l'avouer.

C'est rare !
Je sais pas... Mais non, ça n'a pas bougé. Même parfois la fièvre des débuts peut être dépassée en intensité, en envie. Même si je pensais qu'à ça tout le temps, j'arrivais quand même à décrocher, j'avais une fiancée etc. Et là je me rends compte que soit ça me rend de plus en plus ermite, alors que j'avais fait ça pour lutter contre ma solitude quelque part, soit ça me déconnecte encore plus du monde...

On dit souvent que c'est un métier qui isole. Vous êtes d'accord avec ça ?
Ah oui, écrire des chansons, complètement. C'est entre vous et vous. Il se passe tellement de temps entre le moment où la chanson a commencé à jaillir et quand elle vit sur scène, souvent c'est 2 ans minimum. C'est extrêmement solitaire. C'est aussi pour ça que j'ai toujours aimé être acteur de cinéma. Pour vivre des aventures collectives et partager des choses. Et même, d'un point de vue de la responsabilité, elle est limitée.

J'aimerais faire des projets autour de Brassens, Gainsbourg, Brel
On a parlé de Brassens tout à l'heure. Vous faites une reprise des "Passantes" sur ce disque. Qu'est-ce qu'elle représente cette chanson ? Pourquoi avoir choisi celle-ci ?
Pour plein de raisons. J'aimerais tenter de prouver que Brassens, c'est bien plus qu'un grand musicien... Je m'intéresse beaucoup à son cas en ce moment. C'est un tel parolier, c'est un tel poète qu'il est rentré dans les poètes aujourd'hui. C'est le meilleur quasiment. Sa musique est incroyable. "Les passantes", c'est pas son texte. Il a mis ça en musique. Quand vous voyez la fin du film d'Audiard, "Emilia Perez", à la fin c'est la musique de Georges qui prend tout le monde aux tripes.

Vous avez fait d'autres reprises de Brassens ?
Oui j'en ai fait plein que j'ai pas mis sur l'album. Je voulais voir la tête des musiciens : "Mais qui a composé ça ?" On a essayé "Je suis un voyou" aussi...

Pourquoi avoir gardé celle-ci en particulier ?
C'est celle qui allait le mieux avec l'album, je trouve. Des guitares, des cordes et puis le texte d'un poète.

Le fait d'avoir enregistré plusieurs chansons de Brassens, ça vous a donné envie de faire un projet sur lui ?
Ouais peut-être un documentaire... Je l'aime beaucoup. Ça concernera surtout les gens qui aiment écrire des chansons ou les écouter. C'est comme si on décortiquait l'oeuvre de Bob Dylan ou Jean-Sébastien Bach. Brassens, c'est un peu le Jean-Sébastien Bach de la chanson française. En tout cas, j'ai déjà fait un album sur Trenet. J'aimerais bien faire Brassens, Gainsbourg, Brel... J'aimerais bien faire des albums hommage par exemple. C'est quand même grâce à eux si je fais ça dans la vie. Et puis ça a rendu heureux des millions et des millions de personnes leur musique, leurs chansons... Et ça continue.

J'ai un dégoût profond de la classe politique
Et vous n'avez pas la pression de vous attaquer à des monstres comme ça ?
Non, il faut toujours partir du principe que ça va être moins bien. (Rires) Brassens, sa voix fait partie de son oeuvre aussi. Mais quand même, je crois qu'il faut que je le fasse.

Sur "Testament", vous dites : "Je voudrais que de moi presque rien ne subsiste." Vous pensez à ce qu'on gardera de vous une fois que vous ne serez plus là ?
Ah non, non, je pense en termes immobiliers. Je veux au moins laisser une baraque à mes descendants, c'est tout. C'est ça que ça raconte vraiment. Sinon je m'en fous. La postérité franchement... Quand on est mort, je ne vois pas l'intérêt.

Il y a un titre que j'aime beaucoup, rien que pour son titre, c'est "Pauline partout, Justine nulle part", en écho au slogan "Police partout, justice nulle part". Vous avez quand même réussi à injecter un peu de politique alors que sur vos albums, vous n'en parlez pas...
Non, ça m'inspire plutôt un rejet, un dégoût profond de la classe politique dans sa quasi totalité. Je pense que leur responsabilité est immense, et ils la nient en permanence en blâmant toujours les autres. En fait, la classe politique souvent ment. Ils mentent comme des arracheurs de dents en prétendant savoir ce que veulent les Français. Mes parents, on ne leur a jamais demandé ce qu'ils pensaient. C'est une espèce de caste qui accuse les autres de leurs propres turpitudes en permanence. Dans la vie, c'est tout ce qu'on déteste en fait. Si on vivait en copropriété et qu'il y avait des gens comme ça, on aurait envie de les dégager quoi. Ça se passerait très mal en tout cas.

Et ce titre "Pauline partout, Justine nulle part", c'est venu comment ?
C'était il y a hyper longtemps, en Suisse, j'ai vu ça dans un chiotte. Et ça m'a fait rire, ça m'est revenu...

Florent Pagny, c'est vraiment un mec bien
Vous sortez donc ce double album, vous avez réalisé les albums de Jeanne Cherhal et Julien Clerc cette année... Est-ce que vous êtes un boulimique de travail ?
Non, c'est juste des timings. Et puis ce sont des amis et on ne dit pas non aux amis. Là, je me suis surtout occupé de mon cas. J'ai passé beaucoup de temps à écrire. Pour garder 24 chansons, il faut que j'en fasse au moins le double. Je jette beaucoup et c'est sans état d'âme aucun. Au pire, je rate de l'argent parce que je jette un tube... Mais souvent ça revient. Une chanson qu'on n'a pas gardée, qui avait un petit charme mais dont on ne savait pas trop quoi faire, le cerveau et le coeur analysent ce qui était bien et le mettent dans une autre compo. Et on se dit : "Tiens, c'était ça..."

Dernière question. Dans un spécial "Taratata" de Florent Pagny, vous avez chanté ensemble un titre que vous lui avez écrit. C'est la première fois que vous collaborez ensemble. Comment ça s'est fait ?
C'est quelqu'un que j'ai toujours bien aimé. Il n'y a pas si longtemps, on était dans une promo ensemble, on a bien rigolé. Après, il m'a demandé une chanson, j'étais trop content, donc je lui en fait une. Il m'a dit vraiment : "Fais-moi une chanson à la toi". On a pas mal de choses en commun, l'Amérique latine entre autres. Quand on se voit, on parle quasiment que de ça quoi... J'ai une fille, il a des grands enfants. Mais c'était cool de lui faire cette chanson, et ça m'a ému de l'entendre la chanter. Parce que j'imaginais vraiment en la faisant que c'était lui qui la chantait. Quand on fait les compos, c'est plus abstrait. Mais le moment où on décide de mettre le texte, c'était vraiment pour lui. Je l'aime beaucoup, c'est vraiment un mec bien.

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
A propos de Benjamin Biolay
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