We Love Green : avec Charli xcx et Clara Luciani, le festival signe sa meilleure édition
Entre deux gouttes de pluie, We Love Green a créé l'événement ce week-end au Bois de Vincennes. De Charli xcx à Air en passant par Beach House ou Vald, revivez les trois jours de festival avec la sélection des meilleurs concerts vus par la rédaction.

Maxime Chermat
Balayons le sujet d'entrée : non, We Love Green n'a une fois encore pas échappé à la pluie. Mais celle-ci a été plus clémente que les années précédentes ! Un beau soleil a même pointé dans le ciel le vendredi soir pour l'ouverture et sur la journée de dimanche, preuve que les prières des 100.000 festivaliers et des artistes - Clara Luciani en tête - n'ont pas été vaines. Pour lancer les hostilités d'un week-end éclectique, Tiakola accueille dans la joie et la bonne humeur des milliers de mélomanes à la Prairie, la scène principale, après une mise en jambe pour rallier le coeur du Bois de Vincennes. Vêtu d'un maillot de foot célébrant le grand Jay-Jay Okocha du Nigeria 1998, le triple lauréat des Flammes 2025 vise dans le mille avec un set ludique et généreux. De "Meuda" à "Gasolina" en passant par "Mami Wata" et "Manon B", tous ses tubes populaires sont scandés en osmose avec la foule. Une entrée en matière royale !

Vald déchaîne les enfers

Nos pas se portent ensuite vers la Clairière, tente géante à la configuration adéquate pour profiter pleinement d'un système sonore qualitatif - même si, à ce petit jeu, la scène Lalaland, composée de plusieurs rangées d'enceintes disséminées tout au long d'une halle transparente, aura fait le bonheur des puristes. À 20h30, dans un panache de fumée blanche, Yseult signe une arrivée digne d'une rockstar sous les acclamations. Son dernier projet "MENTAL" marque un virage rock assumé et la chanteuse française n'est pas venue faire de la figuration ! Body en cuir, elle rampe sur le sol, lève son poing et son micro comme Freddie Mercury (« Si vous n'avez pas la rèf, étouffez-vous »), se déhanche et fait rouler sur les riffs sa voix puissante, sauvage presque, sur les déments "Suicide" et "Bitch You Could Never", offrant même au public la primeur d'un inédit. Dommage que la scénographie, inexistante, ne soit pas à la hauteur du tempérament volcanique de la diva, dont on aurait aimé voir le talent et l'ambition s'aligner.

Vald, lui, ne rechigne pas sur les effets pour matérialiser le "Pandemonium" qui donne son nom à son cinquième album. Flammes infernales, troupe de danseurs et punchlines dont il a le secret (« Avant, j'étais pauvre donc j'étais de gauche / Maintenant, j'paye des impôts ») sont conviés pendant sa performance solide sur la grande scène, rythmée par des déflagrations de gabber transformant We Love Green en rave techno hardcore. Sous des airs de trublion désinvolte, un vrai showman et un technicien des bons mots !


La "boss lady" Theodora s'offre Juliette Armanet

Le lendemain, en se galvanisant d'énergie sur l'électro-punk délurée du duo Snow Strippers, on se dirige comme bon nombre de festivaliers vers la Canopée où est attendue la révélation Theodora. En programmant la jeune artiste incendiaire il y un an, les organisateurs de We Love Green étaient bien loin d'imaginer qu'elle exploserait entre temps sur TikTok grâce à "Kongolese sous BBL". Résultat, une marée humaine s'étendant à perte de vue trépigne d'impatience pour applaudir la star en devenir, qui aurait mérité plus d'envergure. Qu'à cela ne tienne, entourée de son frère Jeez Suave, d'un DJ et de quatre danseurs, la "boss lady" fait grimper la température d'un cran avec son show chaloupé, à la croisée des chemins entre shatta, hyperpop et bouyou. Clou du spectacle ? La venue de trois invités de prestige : le rappeur Luidji pour donner le "Go!", le pianiste Chilly Gonzales sur une version acoustique du superbe "Ils me rient tous au nez" et Juliette Armanet, qui fait s'envoler "Les oiseaux rares" avec Theodora. Qui pourrait freiner cette irrésistible ascension ?

Même heure, même surprise mais lieu différent. Sous la tente de la Clairière, le public se presse pour applaudir Air, en tournée depuis 18 mois pour célébrer les désormais 27 ans de "Moon Safari", album français le plus vendu dans le monde en 2024. Si on était circonspects à l'idée d'admirer ce show intimiste dans un si grand lieu, les Versaillais mettent immédiatement les spectateurs dans leur poche. Tout de blanc vêtus devant leur gigantesque rectangle transparent, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel nous emmènent dans l'espace au son des classiques "Sexy Boy" ou "Kelly Watch the Stars"... avant d'accueillir par surprise Charli xcx pour "Cherry Blossom Girl". Ou plutôt "Charli Blossom Girl". Le premier grand frisson du week-end.

Brat forever

Autant que Charli xcx, notre grande attente du soir concerne Parcels, toujours capable de transcender un festival en quelques minutes. En prévision de leur superbe troisième album "Loved", attendu le 12 septembre, les Australiens livrent à leur habitude un set de haute volée. Essuyant les seuls véritables épisodes pluvieux de la soirée, le quintet déboule tambour battant sur "Overnight", avant de tenir les festivaliers en haleine durant les 70 minutes suivantes. Maîtrisant comme personne l'art du concert festif et parfait, Parcels réussit à faire oublier la pluie s'abattant sur un public jamais rassasié par les effluves électro-funk de "Somethinggreater", "Tieduprightnow", "Gamesofluck" ou du récent "Yougotmefeeling", déjà un incontournable, avant un final en forme de gros jam vivifiant sous une averse diluvienne. Tout simplement les meilleurs ! On a vibré au moins aussi fort lors du set d'Amelie Lens, prodige belge des platines dont les pulsations techno ont électrisé les clubbers rassemblés à Lalaland. Une démonstration de force !

Responsable à elle seule d'une razzia en billetterie, la véritable vedette de cette deuxième journée fait son apparition à 23h45 devant une nuée de smartphones. En vraie fêtarde anglaise, Charli xcx débarque en culotte et crop top lilas avec des lunettes noires visées sur les yeux, devant une immense banderole aux couleurs de "BRAT". À l'exception d'un décor penché, tout le show repose sur l'intégralité sur la personnalité de la popstar de 32 ans, quintessence du cool et du "whatever", dont la voix est abondamment arrosée d'autotune. Un défaut ? Pas vraiment. Toute la folie autour du "Brat Summer", dont les t-shirts verdâtres ont envahi l'espace, se concentre dans cette heure de fête frénétique, portée par une artiste qui maitrise son énergie, ses défilés, ses déhanchés, ses roulades et ses angles de vue comme personne, s'assurant - exemple parmi d'autres - un maximum de viralité en léchant le sol, pendant que le public exulte et s'époumone sur "360", "Von Dutch", "Apple" et autres "Guess". Un concert que l'on regarde sur grand écran, c'est une première mais qui d'autre qu'elle pour briser les codes de la pop ? Seul regret, ne pas avoir profiter du premier anniversaire de "BRAT" pour marquer l'événement avec un invité (on espérait Billie Eilish ou Lorde, tandis que le Primavera Sound de Barcelone a eu le droit à Chappell Roan) et d'avoir écourté le set d'une dizaine de minutes.


We Love Green respire encore

Dimanche, sous un soleil radieux donc, Claude s'offre son premier bain de foule à We Love Green à 17h15. Injustement boudé par les Victoires de la Musique, son premier album "In extrémis", confectionné avec Alexis Delong, le compositeur de Zaho de Sagazan, prend vie pendant 45 minutes sous dopamine, durant lesquelles l'artiste de 25 ans, entouré de deux musiciens, s'amuse à blaguer sur son hypocondrie entre deux dissections des tourments amoureux. Le chanteur, qui ne n'économise pas et saute à tout va sur scène, sait allier avec la précision d'un funambule belle variété française et électro agitée. On en redemande ! Après l'électro-soul minimaliste et chaleureuse de Sampha, dont la voix divine résonne sous la Clairière, certains rêvaient (encore) d'une apparition surprise de Charli xcx au concert de The Dare. Il n'en fût rien mais le New-Yorkais a largement gagné la partie. Programmé sur la Canopée, Harrison Patrick Smith, de son vrai nom, a retourné Vincennes avec un set électro-pop bouillant comme jamais. Certes, ça ressemble à s'y méprendre à du LCD Soundsystem mais l'énergie est là, les chansons aussi, surtout lors de la doublette finale "All Night" et "Girls" qui nous laisse à genoux.

En terrain conquis, Clara Luciani rappelle dès les premières minutes de son concert donné au soleil couchant qu'elle devait participer à l'édition 2022 maudite du festival, qui s'est terminée dans les larmes et dans la boue. Cette fois-ci, elle est bien là, le public aussi, et sa fraîcheur spontanée fait des merveilles. Comme sur son actuelle tournée, on sent la chanteuse plus à son aise, hyper souriante et même mutine dans son approche du contact avec la foule, ondulant sur les sonorités rock et disco de son répertoire, resserré en format court pour mieux gagner en efficacité. "Courage", "La grenade", le génial "Comme toi" (dédié à Françoise Hardy), "Respire encore"... C'est un sans faute, et la promesse d'un rendez-vous plein d'entrain est honoré.


Beach House et FKA Twigs frôlent la perfection

« Et maintenant, le soleil se couche » lance Victoria Legrand dans un français parfait. Car quel meilleur moment que cette fin de journée pour accueillir Beach House, les meilleurs ambassadeurs de la dreampop ? Sous un chapiteau bondé et transformé en rêverie collective, le duo américain (trio sur scène avec un batteur) livre une heure de best-of où les moments de grâce se multiplient. "Lazuli", "PPP", "Master of None", "Dark Spring", "Wildflower"... Autant de chefs d'oeuvre oniriques qui font planer le public jusqu'à l'apothéose "Space Song", devenue virale sur TikTok, probablement les cinq minutes les plus inoubliables du week-end. En jouant dans la pénombre et sans grandes interactions, Beach House laisse parler sa musique et fait couler les larmes des festivaliers. Attendre désormais 2026 pour les retrouver sur disque et sur scène nous semble interminable.

Une claque. Si l'on devait résumer en quelques mots la performance de FKA Twigs, il faudrait parler d'un électro-opéra d'art contemporain où s'entremêlent dans un même élan danse, mode, musique et voltige. Avec "Eusexua", son dernier projet paru en janvier, l'artiste britannique atteint en quelque sorte l'apothéose de sa proposition artistique, et toute sa maitrise de perfectionniste laissera les festivaliers de We Love Green sans voix. Qui d'autre se contorsionne dans une grande cage de métal, exécute un numéro de pole dance, manie le katana et finit par rendre muet un festival tout entier avec un chant a cappella à la pureté cristalline ? Personne, à part elle. Sans conteste le show le plus abouti de cette édition.

Vous en voulez encore ? Le trio new-yorkais Fcukers met le feu aux poudres avec "Bon Bon" ou "Homie Don't Shake", avant l'épiphanie LCD Soundsystem. Décidemment habituée aux clôtures parisiennes, la formation de James Murphy revient jouer la belle, un an après Rock en Seine. Comme d'habitude, LCD c'est du grand niveau. Ouverture crescendo avec "Oh Baby", énergie dévastatrice sur "Tribulation" et "Tonite", explosion de joie sur l'hymnique "Dance Yrself Clean" et vive émotion sur "New York, I Love You but You're Bringing Me Down" puis "All My Friends". Un finish monstrueux même si on a trouvé le groupe plus en retrait qu'à Saint-Cloud, probablement fatigué par son concert donné la vieille au festival barcelonais Primavera Sound sur les coups de deux heures du matin. C'est avec moins de difficulté que la veille qu'on ressort du festival, les jambes lourdes mais des étoiles plein les yeux. Avec une affiche alliant pop, rock, rap et électro, We Love Green a su rassembler tous les publics pour une édition plus "brat" que jamais et qui a multiplié les moments de grâce. Et en faisant même ramener le soleil !

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.