Amel BentVariete Francaise » Variété française
samedi 17 mai 2025 11:27
Amel Bent en interview : "A cause des chiffres, on ne juge plus la qualité"
De retour avec son nouvel album "Minuit une", Amel Bent se confie en interview sur Purecharts. A coeur ouvert, accessible comme toujours, la chanteuse se livre sur ce disque impacté par le décès de sa grand-mère, la guerre des chiffres, la chanson dédiée à sa maman ou encore l'Eurovision.
![]() Propos recueillis par Julien Gonçalves. Après le succès commercial et artistique de "Vivante", dans quel état d'esprit tu reviens avec ce nouvel album ? Je reviens à zéro. Comme à chaque projet, il faut avoir l'humilité de l'expérience en fait. L'expérience m'a prouvé que la star, c'est la chanson, et que tout se joue à chaque fois que tu balances une nouvelle chanson. C'est une nouvelle proposition, c'est une nouvelle énergie, c'est c'est un public qui a évolué aussi, parfois très vite, vers autre chose, vers d'autres tendances. Donc ce sont des cœurs à reconquérir ou à conquérir à chaque fois. Je sais que je recommence tout à zéro Tu n'es pas rassurée ?Bien sûr que j'ai une sensation de plénitude que j'avais peut-être pas en sortant de l'album qui précédait "Vivante", où je me sentais plus abîmée par des trucs qu'on m'avait dit ou des espèces de fausses croyances qu'on m'avait mis dans la tête, du genre "Tu ne streameras jamais" ou "La musique n'est qu'un prétexte pour des artistes de ton âge"... Donc oui, "Vivante" a fait mentir plein de trucs qu'on m'avait dit et ça fait vraiment du bien, ça redonne envie de rêver comme au premier jour où tu as rêvé d'être chanteuse. Mais à part ça, en plus je suis productrice, je sais à quel point on recommence tout à zéro. C'est pas qu'avec le public, c'est même avec les médias, les programmateurs de télé, de radio, tu dois à nouveau convaincre, expliquer ton nouveau projet, donner envie aux gens de le défendre avec toi. Même ta propre équipe. Il faut que tu aies une énergie de combattante, positive, pour que ton équipe ait la foi en ton projet, en toi. C'est intense ! Je sais que là je suis dans le vif, c'est ce qui coûte le plus là, tout de suite maintenant. C'est-à-dire qu'il faut que je motive mon équipe, il faut que je sois à chaque rendez-vous de live, de moment où je chante pour les gens, que ce soit la télé ou des showcases avec les radios. Il faut à chaque fois que mon plaisir, le nectar de ce qui m'a donné envie de faire ces chansons soit intact et présent, et que les gens puissent le ressentir. Il ne faut pas rater les rendez-vous. Tous les rendez-vous sont importants. Sur une sortie d'album, évidemment tu ne veux pas que les gens passent à côté parce que tu n'étais pas dedans, parce que tu avais autre chose en tête à ce moment-là. Là je suis concentrée sur tout l'amour, toute l'âme que j'ai mis dans ce disque. C'est maintenant que je dois le faire comprendre aux gens et que les gens doivent le recevoir. Personne n'écoutera jamais mes 11 chansons à la suite Et est-ce que tu as la pression de faire aussi bien, même en termes de ventes, de tubes ?Franchement non. J'ai pas la pression des chiffres. Ça fait longtemps que je ne l'ai plus parce que je viens d'un autre monde. Je viens d'un monde où on vendait des singles physiques par dizaines de milliers en fait. Tu savais que, physiquement, les gens étaient sortis de chez eux, avaient pris leur voiture ou un bus ou un métro pour aller choper ton disque. Cette démarche là, elle n'existe pratiquement plus. C'est plus exactement le même chemin pour arriver aux gens. C'est plus la même intention. Là, tu sais que tes chansons doivent attirer une forme de projecteur sur les plateformes, sur tes réseaux sociaux, les algorithmes. En fait, mon curseur s'est tellement déplacé avec les nouvelles technologies etc... que je ne peux plus me fier qu'à des chiffres. C'est à dire ? Ce que je veux là tout de suite maintenant, c'est qu'on juge artistiquement mon travail. En fait, on est tellement dans la guerre des chiffres, des streams que j'ai l'impression qu'on ne juge plus le travail. Je me suis pris la tête à faire une une tracklist d'album qui a du sens, et on m'a dit : "Mais plus personne n'écoute les albums". On n'écoute plus, c'est les chiffres, c'est les statistiques. Les gens n'écoutent pas les albums. Mais moi j'ai passé des nuits à me refaire l'intro de l'un avec l'outro de l'autre, il faut que le changement de tonalité ne soit pas violent, il faut que les sonorités coïncident. Mais personne n'écoutera jamais mes 11 chansons à la suite et tout le cheminement psychologique, l'histoire que je raconte. (Rires) Donc en fait, tu ne peux plus avoir la même approche, même toi en tant qu'artiste. Le player Dailymotion est en train de se charger...
J'ai déjà un deuxième album qui est prêt Mais ça reste important...Oui, j'ai envie que ça marche. Bien sûr, je vais pas dire le contraire, je ne le fais pas que pour la gloire. J'ai envie que ça marche, c'est aussi comme ça que je gagne ma vie. Mais je sais qu'aujourd'hui, on consomme plus la musique de la même manière. Avant, si tu ratais ta sortie d'album, si ton premier single ne prenait pas, ton album était mort. Tu avais très peu de chance de revenir sur un deuxième titre. Aujourd'hui, on pourrait ne même plus sortir d'album. On peut balancer des titres tous les jours. Si je veux, là je balance un titre. Moi, j'ai déjà un deuxième album qui est prêt. J'ai pas fait 11 chansons, j'ai fait 50 chansons. C'est peut-être ce qu'il y a de positif dans cette nouvelle façon d'aborder la musique et la façon de la commercialiser, c'est qu'en fait, tu sais que tu as une pépite, tu la sors. Là, même demain, je vais en studio, j'ai un titre de fou, il rentre dans "Minuit une". Je peux même modifier un titre si je veux ! Donc tu es plutôt sereine malgré tout ce contexte. Oui, ce n'est pas la même chose. Il n'y a pas ce côté "c'est maintenant ou jamais" et après tu passes ton tour. Donc je suis plutôt, au contraire, hyper enjouée, combative et j'ai hâte de proposer mon disque et toutes les chansons, les défendre une par une, s'il le faut pendant 5 ans, je m'en fous. Dans ton portrait dans "Libération", il est écrit que tu as perdu le goût de la musique pendant un an. Comment on fait pour retrouver ce goût là ? Parce que tu l'avais déjà perdu dans le passé... Oui, pour ma première grossesse. Là ce n'est pas vraiment la même chose... J'avais pas perdu le goût de la musique, j'avais juste pas envie en fait. On s'en parlait tout à l'heure hors caméra, mais c'était un peu comme pour mon deuxième album "A 20 ans". Après "Un jour d'été", mon premier disque, où tout à coup mon rêve se réalise, il se passe que des dingueries et tout... Tu fantasmes la manière dont tu vas aborder l'album d'après. Donc tu es pleine de joie, tu es pleine de tout, tu es dans le succès, tout s'est bien passé, tu sors d'une tournée etc... Et en fait la vie parfois elle te rattrape, et tu fais pas exactement ce que tu avais prévu. Je n'avais plus du tout envie de faire de la musique C'est ce qu'il s'est reproduit ici ?En fait, de "Vivante" à la création de "Minuit une", c'est un peu pareil. Je sors de la tournée de "Vivante" en me disant "Demain je rentre en studio". Je me rappelle, j'avais pourri mon équipe Indifférence Prod en leur disant "Vous me calez des séances studio", j'ai appelé Vitaa, je lui disais "Tu es où ? Il faut qu'on appelle Renaud Rebillaud". (Rires) Je suis bien, ma voix est chauffée, je viens de taper 80 concerts, je suis full power à tous les niveaux. Physiquement, vocalement. Et là j'ai eu un drame perso, j'ai perdu ma grand-mère et ça m'a vraiment vraiment plus du tout donné envie de faire cet album qu'en full power, où j'étais trop bien. J'étais juste trop mal et j'avais pas envie de faire de la musique à ce moment-là. Oui, forcément, l'album a été impacté... Oui, "Minuit une" c'est comment la musique revient tout doucement par la petite porte pour t'aider à affronter. Mais en fait, la musique elle revient tout le temps par là où elle est rentrée la première fois pour moi. C'est-à-dire dans des moments de solitude, dans des moments de chagrin, dans des moments d'ennui, dans des moments où je me sens un peu paumée, où j'ai besoin de dire ce que j'ai sur le cœur mais je sais pas comment, avec qui, pourquoi. Donc voilà, j'ai mon cahier, j'ai mon stylo et en quelques semaines j'ai tout, tous les thèmes que je veux aborder, des punchlines à droite à gauche. Je sais très bien qui je vais appeler pour tel titre. C'est pas les mêmes gens que j'appelle parce que c'est pas le même mood que je veux aller chercher avec telle ou telle chanson. Ça s'est refait naturellement, comme à chaque fois. (Sourire) Sur la chanson "Comme je veux", il est intéressant ce regard que tu portes sur la nouvelle génération, plus libre que tu l'étais... C'est venu quand je suis rentrée du tournage du film que j'ai tourné l'été dernier, "Ma frère". Avant de retrouver la musique, je me suis retrouvée sur cette aventure. Et il faut savoir que pendant qu'on jouait et en dehors, c'était moi l'adulte, la plus âgée. Là où j'ai l'habitude d'être un peu encore la petite quand je suis dans mon monde musical, j'ai mes anciens qui sont là, j'arrive sur les Enfoirés, on a nos tauliers, à "The Voice", j'ai mon Florent... Et là, c'est le contraire, les gamins et les jeunes acteurs et actrices m'ont donné une place que j'ai pas l'habitude d'avoir, celle à qui on demande des conseils. Parfois je me retrouvais à devoir les aider à maîtriser leurs émotions, leurs émois. J'ai vécu avec eux des moments que moi j'ai pas forcément beaucoup connus. Oui car tu as commencé très tôt... A 20 ans, j'étais déjà dans ma carrière, c'était le boulot, le boulot, le boulot, la musique, la musique. Donc j'ai pas vécu cette insouciance d'être juste une jeune fille qui voyage avec des copines, je connais pas. Je l'ai vécu avec avec mes co-actrices et mes co-acteurs. Je les ai vus s'amuser, danser, je les regardais. Et parfois ils m'invitaient à faire la fête avec eux à la fin d'une d'une journée de tournage, ça twerkait. Et moi j'étais en mode "J'ai trois enfants, je suis Amel Bent, je peux pas me retrouver à twerker là tout de suite, dans la Drôme". (Rires) Et je me retrouvais à me juger moi-même en fait, à me dire "Tu vas avoir 40 ans, tu es une maman, tu as pas le droit. On va te juger, on va te regarder genre "Elle veut quoi elle en fait ?"". Ça fait longtemps que je sors plus en boîte. Ça fait longtemps que je m'étais pas confrontée à des jeunes filles d'aujourd'hui, la jeune fille que j'étais moi il y a 20 ans. Je fais toujours valider les chansons à mes proches Mais avec des nouveaux codes !Oui avec des nouveaux codes, une autre façon de parler, une autre façon de danser. Par contre on écoute la même chose, c'est ça qui était ouf, c'est qu'on a la même culture musicale. Moi je suis très moderne, j'écoute tout. Donc elles me disaient "Ah Amel Bent on t'imaginait pas comme ça, on croyait trop tu étais genre en mode vieille et tout." (Elle éclate de rire) Les petites me disaient "Eh mais tu as quel âge ? Tu as pas 40 ans quand même ?" Je disais "Presque, j'ai 39 ans" "Ah ouais, tu es vieille en fait mais 39 ça va, tu es jeune encore". Là, je me suis confrontée à mon âge. Moi je me vois vraiment encore parfois comme une gamine, et en même temps là j'ai vu que j'étais plus une gamine. J'avais un regard attendri, je les voyais, je sais que j'ai pas leur âge. Et pour autant, les moments où j'ai dansé avec elles, j'ai eu des lâcher prise qui m'ont fait tellement du bien. La chanson est née de là ? Oui je suis rentrée en studio et et je me rappelle, j'ai appelé Moona, qui est une jeune artiste avec qui je voulais absolument écrire ça parce qu'on avait eu des discussions ensemble en amont. Je lui ai dit : "Je veux qu'on comprenne que moi, à l'aube de mes 40 ans, j'ai pas envie qu'on me regarde comme une nana qui a plus le droit de lâcher prise". Mais pas juste à cause du patriarcat ou autre, mais vraiment je ne veux pas qu'on remette en question la maman que je suis, la femme, la travailleuse que je suis, même la femme d'intérieur que je suis parce qu'on va me voir une soirée, danser sur une table et lâcher prise. Et ça a donné "Comme je veux". C'est vraiment sur le tournage que j'ai vécu ça. Et je leur ai dit : "Vous m'avez trop inspirée, vous allez voir, j'ai fait une chanson sur nous." Il y a le titre "Mauvais rôle" que je trouve sublime. Tu y évoques ta relation avec ta maman avec des mots parfois difficiles mais très justes. C'était comment de faire ce titre là ? Ça t'a fait du bien ? Ça vous a fait du bien ? Alors, ma mère est une communicante mais absolument pas sur ce genre de sujets. On a beaucoup de pudeur, elle et moi, à rentrer dans les sujets notamment du passé. Un matin, on se parlait de tout et n'importe quoi, de la météo, et là je lui balance. Il fallait que j'y aille cash sinon j'allais avoir du mal. J'aime bien faire valider les chansons, surtout quand elles s'adressent à des membres de ma famille. C'est normal... J'aborde des thèmes qui sont très persos et quand on se raconte, on raconte aussi les autres. Donc je lui dis "J'étais en studio avec Slimane, je voulais absolument aborder un thème, je te l'envoie et sache que tu as un droit, c'est ton histoire. Je peux changer des phrases, je peux me censurer si tu n'es pas à l'aise, c'est ton droit, et si rien ne te plait, la chanson n'existe pas". L'Eurovision, ce serait une pression que je ne vais pas supporter Alors, comment elle a réagi ?Dix minutes après, elle m'envoie un message trop beau, trop émouvant. J'ai envoyé toute la capture à ma petite soeur. Il a fallu que j'écrive une chanson, à presque 40 ans, pour avoir une forme d'acceptation de ce qu'a été ma réalité à moi. C'était vraiment très beau, très puissant. C'est là que tu te rappelles, même si je l'oublie très rarement, à quel point une chanson, elle bouscule. Je me disais que ma mère savait tout de moi depuis que je suis née, mais par chanson interposée, elle m'a dit des mots que j'ai attendu pendant des années. C'était très émouvant. Et elle a validé la chanson. En 2019, tu disais ne pas vouloir représenter la France à l'Eurovision. Depuis, Slimane et Louane ont participé... Grand bien leur fasse ! (Elle éclate de rire) Tu as changé d'avis ? Non toujours pas. Déjà, avec l'âge, je sais pas si c'est avec les enfants, les enjeux qui deviennent un peu différents, j'accorde encore plus d'importance à tout ce que je fais. Tout est devenu encore plus important. Il n'y a pas de petit rendez-vous, pas de petit sujet. Là, ce qu'on est en train de faire, ça compte, c'est important que je réponde vraiment à tes questions, quitte à ce qu'on dépasse sur le temps. J'ai plus de temps à perdre. Je vais rater la sortie d'école de mes enfants, ça m'emmerde, donc c'est pas pour te raconter n'importe quoi. Je veux que tout compte. J'abandonne des morceaux de ma vie qui comptent pour moi donc je ne veux pas faire semblant quand on se parle. Du coup, l'Eurovision, ce serait me mettre une espèce de pression que je ne vais pas supporter, qui va faire que je vais encore plus rater des trucs trop importants, chez moi, à la maison. Et des moments de ma vie de chanteuse avec mon disque qui me font trop du bien. Mais ça peut être un challenge aussi ! Je comprends tout ce que ça peut apporter. Céline Dion, Lara Fabian, Slimane... On a tellement d'exemples. On est rien à l'échelle planétaire et tout à coup, une émission comme ça, elle peut te faire basculer vers autre chose. Mais est-ce que j'ai envie ?Déjà, juste prendre un taxi-moto, faire un tour de périph', m'organiser avec mes enfants... C'est beaucoup pour moi ! Donc si là demain, ça doit être des avions parce qu'on veut me voir en Roumanie ou en Bulgarie... Je suis fatiguée ! Peut-être y a 20 ans, il y a 10 ans. Mais depuis mes enfants, je cherche plutôt à avoir quelque chose d'un peu plus tranquille. J'ai envie d'être posée. Même "The Voice" j'ai pas voulu le refaire, parce que même ça, ça me coûte. Tu as la vie des gens entre tes mains. Tu ne peux pas faire un disque et en même temps faire ça. Tout est important, tout demande que tu sois concentrée et bien là pour les gens. Et là j'avais envie d'être bien là pour mon projet. (Sourire) Podcast![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |