Julien Benhamou
1. Une histoire mythique
Sur le pont transbordeur, l'effervescence règne. Une troupe de forains et artistes débarque dans un joyeux brouhaha avec toute l'insouciance de la jeunesse. Les éclats de rire fusent, les embrassades aussi, les collants bariolés bondissent comme des éclairs et une certaine allégresse flotte dans l'air. Bienvenue à Rochefort ! La comédie musicale de Michel Legrand et Jacques Demy revit depuis le 2 octobre sur la scène mythique du Théâtre du Lido, sur l'avenue des Champs-Elysées. Près de 60 ans après le film culte qui mettait en vedette Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, toute la féerie de cette fresque musicale au doux parfum romantique, presque naïf, imprègne cette adaptation des plus délicieuses.
Delphine et Solange, les « soeurs jumelles nées sous le signe des gémeaux », sont des âmes sensibles qui enseignent la danse et la musique. Leur quête de l'amour, le vrai, celui qui soulève des montages et donne le vertige, va les mener à rencontrer une galerie de personnalités hautes en couleur : Maxence, le militaire rêveur et peintre, Simon, le gérant d'un magasin d'instruments au nom peu commun, Étienne et Bill, les inséparables et facétieux coureurs de jupons, Josette, la jeune femme timide qui sert les marins dans le café d'Yvonne, leur mère qui cache un secret... Dans "Les Demoiselles de Rochefort", les destins se croisent et se décroisent, les rimes et les sentiments ricochent, et ce souffle grisant nous emporte jusqu'au baisser de rideau !
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2. Une mise en scène aux mille couleurs pastel
Tout le brio de la mise en scène de Gilles Rico consiste à avoir transposé la fougue du film de Jacques Demy dans l'écrin du Théâtre du Lido, sans en perdre l'audace. Avec un ingénieux jeu de décors pivotants couplé à des projections en 3 dimensions qui décuplent l'espace, les lieux où les protagonistes s'amourachent se matérialisent comme par magie, sans rompre le fil narratif et parfois même les discussions des personnages. Les couleurs pastel si chères à l'univers du cinéaste se reflètent sur les robes structurées des jumelles - jouées en alternance par deux duos, Juliette Tacchino et Marine Chagnon d'un côté, Maïlys Arbaoui-Westphal et Sophia Stern de l'autre - ou les chemises d'Andy, le célèbre compositeur américain de passage pour rendre visite à un ami. Sous nos yeux émerveillés, c'est un véritable défilé de mode et une certaine idée du chic à la française qui se dessinent.
Et l'énergie de la troupe, incandescente et composée de 36 artistes au total, ne ralentit jamais d'un cran. Les numéros de danse et de claquettes nous emportent dans un tourbillon virevoltant auquel il est bien difficile de résister depuis son siège, la proximité de la scène avec le public donnant véritablement l'impression de faire partie du récit.
3. Des chansons incontournables
Plus que les personnages, les musiques de Michel Legrand sont les véritables héroïnes des "Demoiselles de Rochefort". De la fameuse "Chanson des jumelles" fredonnée par tant de générations à la "Chanson de Delphine" qui se décline en miroir avec celle de Maxence, les compositions du regretté musicien sont le coeur battant de ce spectacle pleine de panache et de swing, rythmant les élans, émois et émotions de Delphine et de Solange comme un guide. Sans partitions ni archives disponibles, l'orchestration du spectacle a été intégralement recréée à l'oreille par le directeur musical Patrice Peyriéras, proche de Michel Legrand, pour 14 musiciens. Ils seront 42 à se succéder dans l'ombre pour illuminer les visites des spectateurs sur la fameuse place Colbert de Rochefort. Après "Les Parapluies de Cherbourg" au Théâtre du Châtelet et "Peau d'Âne" au Théâtre Marigny, cette dernière pièce du triptyque de Jean-Luc Choplin consacré à Jacques Demy est le rendez-vous incontournable de l'automne.
