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MC Solaar en interview : "Bâtir une oeuvre intemporelle, c'était une volonté"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
Enfin, tous les albums de MC Solaar sont désormais disponibles en streaming et dans les magasins après la résolution d'une querelle juridique autour de "Qui sème le vent récolte le tempo", "Prose combat" et "Paradisiaque/MC Solaar". A cette occasion, le rappeur se confie à Pure Charts sur cette réconciliation, l'intemporalité de ses chansons, son regard sur la nouvelle génération de rappeurs et son prochain album attendu en 2022.
Crédits photo : Pochette de Paradisiaque
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Qu'est-ce que tu ressens alors que tes premiers albums sont désormais tous disponibles en physique et sur les plateformes, 30 ans plus tard ?
Ça me fait plaisir. J'ai souvent rencontré des musiciens âgés de la vingtaine qui pensaient que j'avais commencé en 2001. Ils connaissaient, mais pour eux MC Solaar c'était les années 2000. Depuis que c'est sorti, les gens me disent qu'ils découvrent plein de choses qu'ils ne connaissaient pas. A moi, personnellement, ça m'a mis l'équilibre. Avant ça, j'étais sur une patte. Là, je me sens bien. Là, je peux en parler à quelqu'un et tout de suite la personne peut streamer ou s'acheter le vinyle. C'est super simple.

Oui ça change tout, à l'heure actuelle où la musique est consommée différemment...
Oui, et puis même moi, pendant des années, si je voulais écouter un truc, t'imagines, je devais aller sur YouTube, je tapais le truc... Donc là ça fait plaisir.

Je n'étais pas dans l'histoire du rap en fait
J'imagine que le fait que ce soit tes premiers albums, ça a une saveur particulière...
Oui, il y a cette valeur sentimentale. C'est la première fois que j'allais en studio, on avait voulu se donner un certain niveau. J'ai pu faire de la musique grâce à ces albums. Je ne sais pas comment le dire mais il manquait une pièce, il me manquait mes racines, et maintenant elles sont là. Je reçois beaucoup de messages de gens super contents, et moi aussi je le suis, c'est quand même quelque chose d'avoir son oeuvre complète disponible, qui existe. Aussi, il y a parfois des gens à qui je disais non car ils voulaient me remettre une médaille de la ville ou des trucs comme ça, et c'était impossible pour moi, car une partie de moi n'existait pas. Ça bloquait quelque chose...

Et le fait que la jeune génération puisse aujourd'hui, à travers ces albums, découvrir le début du rap français, c'était important aussi j'imagine ?
Oui car, avec ce manque, je n'étais pas dans l'histoire du rap en fait. Il y a plein de gens qui sont musiciens aujourd'hui mais qui ne connaissaient pas comme je te le disais. Ça me fait plaisir que les jeunes puissent avoir accès à ça... Après, il faut les atteindre car ils ne connaissent pas, il faut aller les chercher. Mais, à quelques moments, ça m'a fait plaisir de voir Angèle reprendre "Victime de la mode". En faisant les concerts, je voyais que certaines générations chantaient ce truc-là alors qu'ils n'auraient pas dû connaitre. Il y a eu Vianney qui a repris "Caroline", et ça a fait le même effet sur les 16-25 ans qui le chantaient avec entrain. Ça nous a poussés à accélérer les discussions positives autour de ces sorties. Et on s'est rendu compte que ça n'avait pas spécialement vieilli.

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Je peux chanter sans la moindre honte mes chansons de l'époque
C'était justement une de mes questions à venir. Tu avais envie dès le départ d'avoir une oeuvre intemporelle ? Car comme tu le dis, en réécoutant tes albums, je me suis rendu compte qu'ils n'ont pas vieilli...
C'était une volonté. Sur aucun des albums, on ne voulait être dans le parfum du mois ou le rap du moment. On a voulu faire des choses artistiques. Au niveau du son, Hubert (Blanc-Francard) et (Philippe) Zdar ont fait des choses dans la modernité de l'époque, c'est-à-dire des influences comme la house. A l'époque, il y avait les raves, ce qui a donné la french touch. Et moi mes paroles ressemblaient plus à de la chanson française qu'à de la variété française, donc c'était un peu intemporel. Et on lisait beaucoup donc on a eu des sujets qui sont valables encore aujourd'hui. Sur le premier album, ça parlait d'écologie, de la proximité, de la vie des gens. On n'a pas fait du rap américain avec du super ego trip, et on se rend compte avec le temps que c'est intemporel. Et je m'en suis rendu compte en concert, je peux chanter sans la moindre honte mes chansons de l'époque, et ça c'est un signal.

Si tes premiers albums n'étaient pas disponibles jusqu'ici, c'est qu'à l'époque tu avais cassé ton contrat quand "Paradisiaque" et "MC Solaar" ont été commercialisés séparément, sans ton accord. Toi tu avais la vision d'un double album. Comment tu l'as vécu ?
Je l'ai mal vécu... Je me disais : "Qu'est-ce que j'ai fait ?". Je pensais retourner à la fac, j'aurais fait langues étrangères ou alors je serais allé en ethnologie qui avait l'air intéressant aussi. C'était désagréable mais je n'étais pas revanchard envers quelqu'un en particulier. En fait, des équipes ont changé. Les gens avec qui on parlait, où tout se passait bien, sont partis... Et c'est devenu extrêmement directif. Il n'y a eu strictement aucun dialogue. J'étais prêt à faire autre chose mais quelques années après finalement, j'ai fait un autre album et ça s'est enchaîné.

C'est à ce moment-là que tu as compris qu'il pouvait y avoir deux visions différentes : l'art vs le commerce ?
Exactement. Toutes les premières années où j'ai fait de la musique, je ne me suis jamais intéressé à strictement rien. Là, ça m'a ouvert les yeux. Comme on disait, il y a le show et le business. L'art et les décisions. Mais je trouve ça extrêmement salutaire. C'est-à-dire que j'aurais continué à faire de la musique sans rien savoir de tout ça... Et les déceptions auraient été décalées. Là ça va, j'avais à peu près 24 ans. En fait, je suis souvent content des choses qui m'arrivent, parce que ça m'arrive tôt. (Rires) Et des années après, de nouvelles personnes sont arrivées et le dialogue était comme à l'époque du premier et deuxième album. Ça faisait depuis 2014 qu'il y avait des échanges...

C'est un soulagement mais pas une revanche
C'est une victoire pour toi de les voir aujourd'hui réunis; "Paradisiaque" et "MC Solaar" ?
C'est un soulagement mais pas une victoire contre quelqu'un. Oui, on l'avait fait comme ça, on a voulu faire un double. Bon, là, il manque peut-être les edits. (Rires) Non mais je ne peux pas appeler ça une revanche parce qu'avec 97% des gens que j'ai croisés chez Polydor, ça se passait bien.

Est-ce que tu penses que cette décision de ne pas respecter ta vision vient aussi du fait que tu es un rappeur ? Est-ce qu'on considérait moins bien le rap à l'époque ?
Je ne crois que non. Quand je trainais, j'entendais souvent des gens qui avaient des histoires similaires. C'était vraiment une histoire d'hommes. Le discours c'était "C'est comme ça et pas autrement" donc on avait aussi envie de partir. Alors qu'on était dans une dynamique extraordinaire, sans avoir rien demandé à personne, on a fait deux albums qu'on aimait bien. Et puis il y a eu un nuage...




Après le succès des deux premiers albums, tu avais la pression pour le troisième ?
Oui j'avais la pression. On avait la pression ! Notamment à cause de ces rapports tendus. Ce qu'on a voulu faire, c'est mettre un maximum de joie avec le titre "Paradisiaque", et à l'intérieur de l'album il y avait mon vécu de cette année auparavant. C'est un album où il y a pas mal de conseils, comme une lettre à un jeune rappeur, à un jeune poète. Il y a deux trois choses qui sont un peu testament. On dit souvent que le troisième album c'est souvent ça, mais là on avait une pression supplémentaire, on travaillait sans savoir ce qui allait se passer.

Honnêtement, je suis vraiment très fier de mes albums
Quand tu écoutes ces premiers albums, qu'est-ce que tu te ressens ?
Honnêtement, j'en suis vraiment très fier. En les écoutant à mon âge, je me suis dit : "Wow, qu'est-ce qu'on était ouverts d'esprits !". On a tapé des thèmes dans tous les sens : de la nostalgie positive, des choses sur la mode, des séries noires avec "ces vers sont pour ton corps", des courts-métrages avec "Armand est mort", des films à plusieurs dimensions avec "Nouveau western", "Caroline" évidemment, la vision de la société à deux niveaux avec "Paradisiaque", des choses intérieures... La musique était totalement vierge pour nous, on faisait un truc nouveau. Quand j'ai réécouté, je me suis dit : "Mais quel âge on avait ?!". En réalité, je prenais des conseils des uns et des autres. Si Picasso avait ses périodes de couleurs, moi j'appellerais ça la période 1, la base. Je la trouve très très bien.

Il y avait beaucoup de liberté, dans les paroles et dans les sonorités...
Il n'y avait que de la liberté. Au moment où on enregistrait, la veille on ne savait pas ce qu'on allait écrire et la musique n'était pas terminée, on faisait les choses sur place. Ceux qui faisaient la musique autour avaient des échantillons mais eux-mêmes ne savaient pas jusqu'au jour J ce qu'ils allaient créer, ils se laissaient guider par les sons. Un DJ s'échange avec le beatmaker... Hubert va terminer le morceau de Jimmy Jay, Jimmy Jay va faire une rythmique sur le truc d'Hubert. La chance extraordinaire, c'est qu'on n'avait pas d'exemple. C'étaient des pionniers les mecs.

La nouvelle génération de rappeurs ? Ils sont forts
Le rap est multiple aujourd'hui, de Sopico à SCH, Jul et PNL, mais aussi PLK, Soso Maness, Orelsan ou Zkr pour ne citer qu'eux. C'est une motivation dans ton art aujourd'hui de voir la vivacité et la richesse du rap, et tous ces jeunes qui débarquent chaque semaine ?
Oui ça a une influence, et ça en aura toujours. A chaque fois que je les entends, ceux que tu as cités et d'autres, je me dis : "Punaise !". Je sais ce que c'est, et ce n'est pas facile. Je suis extrêmement fier et toujours fan parce que je vois la dimension de travail. Parfois, j'entre dans des univers entiers, comme les deux derniers albums de Soso Maness. Je dis bravo ! Il mêle l'ancienne école et la nouveauté, et même des sonorités électro. Franchement, ils sont forts. Ce sont des maitres dans leur domaine. Bien sûr que j'écoute et je vais certainement m'en influencer, musicalement, sur l'énergie, le ton. Ce qui est bien dans la musique urbaine c'est qu'il n'y a pas de distance. J'ai mis une semaine à écouter Orelsan, et c'est très fort ! Quand je croise un rappeur je lui parle de son travail, alors que lui il me regarde comme ça, il est content. (Rires) Je n'ai jamais été dans la compétition en disant : "C'était mieux avant". En fait, c'est toujours aussi bien. Depuis le début du rap, à chaque génération, c'est aussi bien.



Est-ce que tu travailles sur un nouvel album ?
Oui, là ça y est, je suis parti. A partir du mois de janvier, pour la première fois de ma vie, je vais être organisé. Il me faudra au moins deux sessions studio par semaine. Globalement, s'il n'y a pas un chef... J'aime qu'il y ait quelqu'un qui organise tout ça, qui me coache, sinon en chemin si je rencontre quelqu'un, je pars faire autre chose ! (Rires)

Mon nouvel album sortira en 2022
Tu écris tout le temps ?
Non, j'écris sur le moment quand je suis au studio. Je peux le faire la veille ou l'avant-veille, mais globalement non. Enfin, là j'en ai 7 et un huitième que j'ai fait il y a deux jours, mais sinon non. Je ne sais pas pourquoi. Au départ c'était pour que, quand tu sors quelque chose, ce ne soit pas périmé. Une fois, j'avais fait un truc qui rimait avec 1992, et en fait c'était sorti en 1993... Pour l'instant, je suis dans cette méthode où c'est au studio qu'on finalise les trucs, si possible dans la lancée d'un album. Mais ça peut changer, j'ai vu qu'il y a des pays en Afrique où il sortent des gros titres tous les quatre mois, sans sortir d'album. Alors peut-être que je vais changer !

Tes textes ont souvent parlé de la société. En cette période électorale, tu vas être inspiré par la politique ?
Bien sûr ! Mais c'est pour ça que je prenais du recul car si j'écris sur l'actualité et que quand ça sort, ce n'est plus en phase... Bon, aujourd'hui il y a le streaming, ça peut être direct. Mais oui il y aura le contexte j'imagine, je ne peux pas trop le dire en avance. Avant, je voyais ça comme un quatre quart, il y avait les aventures que je captais, c'est ça qui était politico-sociétal, il y avait énormément de rigolade, de la poésie et des choses un peu entertainment. Je vais essayer d'avoir tout ça dans ma création.

Sortie en 2022 ?
Oui pour moi, 2022, si je suis régulier. Mais oui, oui. J'espère !
Ecoutez et/ou téléchargez la discographie de MC Solaar sur Pure Charts !

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