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Eddy de Pretto en interview : "Je ne m'étais jamais autorisé le bonheur et l'amour"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Eddy de Pretto valse sur une note romantique avec son nouvel album "Crash coeur". Un projet intime, solaire aussi, qui marque une vraie prise de liberté, autant dans la forme et que dans le son. Interview !
Crédits photo : Jesus Leonardo
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Ce troisième album "Crash Coeur" est placé sous le signe de la liberté puisque tu évolues désormais en indépendant dans ta propre structure, Otterped. Comment en es-tu venu à faire ce choix risqué ?
C'est toujours un risque, c'est sûr. Déjà il y a un goût du risque, pour remettre un peu de sensations fortes sur moi. Ce n'est pas bon de trop s'asseoir sur un apaisement, sur une facilité. Il y avait une nouvelle dynamique que j'avais envie d'insuffler. J'arrivais à la fin de mes deux contrats chez Universal avec Initial Artist Services et j'ai toujours cherché avec une équipe - peu importe label, major ou pas - une façon de penser, de travailler les projets d'une manière différente des rouages ancestraux des maisons de disques, qui peuvent être parfois...

On trouve les solutions pour monter nos rêves
Limités ?
Pas vraiment mais il faut une vision neuve. Il y a parfois un côté "à la chaîne" dans les majors. J'avais justement trouvé quelque chose d'ultra visionnaire chez Initial, le premier label où j'ai commencé avec Angèle et Clara Luciani. Même si on était chez Universal, ils avaient cette liberté de faire en dehors des circuits habituels. C'était hyper agréable de travailler comme ça. Mais je n'ai pas retrouvé une offre aussi visionnaire que ça sur un troisième album. Donc j'ai fait le tour, j'ai rencontré d'autres majors avec sympathie et je n'ai pas trouvé de dynamique qui m'a fait dire : "Putain eux, ils ont une vision". Je tombais souvent sur les mêmes discours, alors je me suis dit : "Monte ton truc toi-même". Je travaille avec Grand Musique Management, un bureau de management avec une pensée indépendante. On parle d'abord de ce qu'on veut dire avant de parler réalité économique. On trouve les solutions pour monter nos rêves.

Pour toi, c'est un cap qui te permet plus de contrôle sur ton projet ?
Tu sais, sans trop de modestie, je suis quelqu'un qui a toujours dit ce qu'il voulait dire, même dans mes chansons et mon premier album. (Sourire) On ne m'a jamais dit "Tais ton homosexualité", "sois comme ça". J'ai toujours assumé mon côté un peu "à côté". Même si j'ai envie d'être entendu par beaucoup, j'ai envie de garder ma singularité et l'incarnation de ce que je suis. Il y a eu du coaching un peu limitant parfois mais j'ai toujours insisté pour être l'artiste que je voulais être. Je pense que c'est vraiment une question d'équipe, de dynamique et de possibilités.

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Si c'est un échec, je ne pourrais m'en tenir qu'à moi seul
Cela change quoi concrètement dans ton quotidien d'artiste ?
Bah je gère tout, je suis inquiet sur tout. (Rires) Tout est transparent. Il y a une réalité beaucoup plus claire et au moins, si c'est un énorme échec, si c'est une réussite, je ne pourrais m'en tenir qu'à moi seul. Je suis ok dans ce que j'ai décidé de mettre, de dire, d'investir. Ça m'a bougé pour la création de l'album. Je me suis dit, de manière inconsciente : "Mon petit gars, c'est toi et toi". Je pense que je n'ai pas suffisamment de recul pour l'analyser mais ça vient alimenter en moi quelque chose de plus pressurisant. Je compose et j'écris beaucoup dans la pression donc ça m'a fait du bien.

Le fait d'avoir un écosystème à faire tourner, ça te met une pression vis-à-vis des ventes de disques, des chiffres ?
Oui, forcément... On est malheureusement dans une industrie hyper-compétitive avec énormément de sorties toutes les semaines. Il y a plus d'offres. Donc oui, on a envie que ça marche. Je fais ce métier pour la scène à la base. Plus on aura du monde dans les salles, plus je serais heureux. Plus je tournerais avec cet album, mieux je serais. Là on a la chance, la première tournée du printemps est déjà complète, il y a 20 ou 25 concerts déjà sold out. Ensuite, on fait les festivals et derrière on a les nouvelles dates qu'on vient d'ajouter dont un Bercy. Cela part bien mais il faut persévérer ! C'est l'objectif. Les chiffres veulent dire aussi remplissage de salles.

Comment on fait pour se démarquer dans cette multitude de sorties, justement ?
Ce sont des questions que je me suis posées il y a très longtemps, ça. Je pense que mon écriture, personne ne l'a et personne ne l'aura, c'est sans doute ça qui me démarque le plus. C'est le plus important pour moi : le message et comment il est écrit, le point de vue, le regard. Là, c'est un album qui traite beaucoup plus les sentiments, la quête du bonheur, d'une autre façon que d'autres l'ont fait auparavant. Cette singularité-là m'est naturelle. Après, à la réception, il faut que ça touche quoi ! C'est l'émotion qui fait la différence.

J'ai toujours eu des obstacles à surmonter
"Crash Coeur" est un album beaucoup plus solaire que les précédents, à l'image du single ''Love'n'Tendresse''. Question très premier degré et fleur bleue, est-ce que c'est l'amour qui est la source d'inspiration première ?
C'est mon album le plus romantique, ça c'est sûr. (Sourire) Mon intime a parlé. Je sortais du Covid, une période qui nous a tous un peu minés. On est dans une époque qui est de plus en plus anxiogène et divisée. Je n'avais pas les épaules et le recul nécessaire pour venir décortiquer de la manière la plus juste possible la société actuelle, j'y arrivais pas. Il y a tellement de commentaires, tellement d'analyses partout, que ce soit sur les réseaux, sur BFM TV... On est écroulé sous les critiques. Je n'avais pas la force pour en rajouter une couche, alors j'ai décidé de faire un pas de côté, de tenter de m'octroyer le bonheur et l'amour que je ne me suis jamais permis. Et ça a donné cet album. Il y a quand même de la noirceur et du sombre parce que je crois que je suis au plus profond de moi une âme assez lourde à porter psychologiquement, mais j'ai essayé de jouer le fil de l'optimisme. En tout cas de me dire : qu'est-ce qui me ferait du bien ? Comment je peux créer un souffle de vie, une parenthèse sur la merde actuelle ? J'en ai eu besoin le premier et j'espère que beaucoup vont le prendre dans cette direction-là. C'est une espèce de bulle.

Dans le titre, tu chantes "Fermé sans sentiments / Tu as tenu longtemps comme ça / A faire des petits bâtons d'sang / Sur les murs de ton célibat". En fait, tu t'adresses à toi-même...
Ouais ! Je me parle à moi. J'ai été élevé en opposition avec beaucoup parce que ma sexualité, le métier que je voulais faire, les rêves que j'avais, ma tête... Tout ça ne rentrait dans aucun code. J'étais toujours moqué. Au lycée, je devais raser les murs parce que je n'avais pas de potes. Ma mère ne voulait pas que je sois gay, elle ne voulait pas que j'exerce ce métier. J'ai toujours eu des obstacles à surmonter, je n'ai jamais trop connu l'amour et la tendresse, ni le côté allié. Je me suis toujours dit : "Mon gars, c'est toi et toi, il va falloir avancer comme ça. Ne fais plus confiance, avance, pas d'amour, t'es dur comme un roc". Et ça a été vraiment mon éducation personnelle... Aujourd'hui, "Crash Coeur" a été pour moi une espèce de travail, un effort. "Love Factory", un spectacle que j'avais fait pour Radio France, a été la première ouverture et ça m'a fait du bien. Plus le temps passe, plus je m'accepte et plus j'accepte de recevoir de l'amour, d'en donner. Je travaille beaucoup en thérapie pour ça ! Il me faut encore du temps. Je trouve que cet album va dans cette direction.




Cette couleur arc-en-ciel est beaucoup plus présente que sur tes disques précédents. C'est le reflet de ton cheminement personnel ?
À chaque album, on me dit que c'est un album LGBT. (Rires) Sur le premier, "vous êtes gay ?", le deuxième "Alors vous assumez d'être gay ?"...

Plus les albums passent, plus j'ai l'impression d'ouvrir des brèches
Non mais prenons des exemples concrets : tu utilises des codes queers sur ''PApA $ucre'', les affiches de la tournée sont très "Tom of Finland" avec ce culte du corps mis en avant et on voit des hommes qui s'embrassent dans le clip de "Love'n'Tendresse". Ce n'est pas anodin...
C'est vrai. Plus tu grandis, plus tu es ok avec toi-même et avec le regard des gens. Quand on est adulte, on est de moins en moins épié par une espèce de consensus du "cool". En faisant ma carrière et en m'autorisant de plus en plus à être ce que je suis, tout bêtement, ça me fait du bien. En 2017, quand j'ai commencé, j'aurais été incapable de faire ça. On se rend compte qu'on se conditionne beaucoup dans la société. Par exemple sur "R+V", on voit mon corps et plein de personnes ont commenté : "Ça y est, il nous fait le Sam Smith français", "Please Eddy reste comme tu étais, hétéro-looking"... Mais ! Déjà il y a six ans, j'étais peut-être beaucoup trop conditionné pour être totalement moi. S'il y a une émancipation quelque part, elle est aussi influencée par le monde qui nous entoure. Forcément, plus il y a des gens qui vont s'octroyer une liberté, plus potentiellement tu vas toi te l'octroyer. Mais je ne suis pas en train de jouer un autre rôle que celui que j'ai envie d'être. Je crois que c'est en moi. Effectivement, plus les albums passent, plus j'ai l'impression d'ouvrir des brèches. Et tant mieux ! Ça nourrit mon écriture.

Dans "R+V" justement, tu rends hommage aux figures qui ont compté dans ta vie, des artistes avant-gardistes et des personnes homosexuelles comme Arthur Rimbaud, Elton John, Andy Warhol ou RuPaul. C'est la première chanson du disque et j'ai l'impression qu'elle donne le ton, presque comme un "statement".
Je voulais mettre en avant des gens qui ont créé des voies de liberté qui n'existaient pas auparavant. Quand je suis arrivé en 2017, le discours sur la virilité masculine n'existait pas dans notre société. On ne parlait pas des masculinités, on ne disait pas curseur binaire ou non-binaire, on ne dissertait pas sur le genre. Ça fait un peu de moi le vieux tonton ! On m'a souvent dit : "C'est une nouvelle voie qui s'annonce". Pour moi, le plus important, c'est de créer en tant qu'humain et artiste des choses qui n'ont jamais été dites dans la chanson. Ces hommes représentent des voix libres qui se sont inventées et suffit à elles-mêmes. Elles ont réussi à avaler tout ça et à le ressortir d'une manière si singulière qu'elles ont enclenché un mouvement. Moi, c'est ce que je me tue à garder : un texte, une singularité de penser, une singularité de propos. Même s'il y a de la musique plus dansante - et on dira peut-être plus ouverte et radiophonique - dans cet album, quand bien même, l'aspérité de la poésie du texte reste fidèle.

Avant, le discours de la virilité masculine n'existait pas
Curieusement, je vois plein d'exemples d'artistes féminines ouvertement bisexuelles ou lesbiennes sur la scène musicale française mais assez peu de chanteurs qui en parlent frontalement. Est-ce la conséquence d'un manque de représentativité ? Une peur d'être moins désirable auprès des gens ?
En tout cas, il y en a qui le cachent pour cette raison-là. Pour le désir de plaire au plus grand nombre de gens. Moi écoute je n'ai jamais ressenti ça personnellement, je ne suis jamais dit que ça pouvait me rendre non désirable. Je m'en suis assez foutu, en vrai. Je pense que c'est plus un rapport avec l'image virile qui persiste encore en France, en Europe même. Et pour un Lil Nas X ou un Sam Smith, ce n'est sans doute pas tout rose tous les jours non plus ! Je crois que c'est mondial aussi. Au ratio des stars dans la musique américaine, il n'y a pas tant de personnalités gays qui ont autant de lumière qu'une Lady Gaga ou un Drake par exemple. Je ne sais pas s'il faut plus de représentation ou moins, mais elles se font rares. Je ne sais pas pourquoi. Et dans les textes des chansons, c'est encore plus rare. C'est drôle parce l'utilisation des pronoms masculins ou féminins devient un sujet alors que, pour ma part, j'ai toujours écrit comme je le vivais. J'ai baigné dans une éducation hétérosexuelle, j'ai écouté des oeuvres ou regardé des films réalisés par des hétérosexuels et ça ne m'a pas fait hétérosexuel pour autant. (Sourire) Je pense que la crainte, c'est de croire qu'on ne sera pas touché par nos histoires. Il faut relier à l'émotion. Le pronom utilisé doit être un détail. "Titanic" ça m'a touché, j'ai chialé alors que ça parle d'un homme et d'une femme. Peu importe le genre, le plus important, c'est l'humain. Mais c'est beaucoup moins accepté quand, bizarrement, on parle de pronoms masculins. Tout ça, ce sont des peurs. Heureusement, ça évolue !




Revenons à l'album. Il y a une vibe très années 2000 qui plane sur les morceaux et sur les visuels. Tu avais d'ailleurs sorti un teaser avec un CD gravé de ton album joué dans un autoradio. Tu avais cette vision en tête dès le départ ?
Non. Tout part d'abord des chansons que je crée en piano-voix. Une fois que j'ai les bonnes chansons, je cherche une attitude. J'essaie avec plusieurs producteurs et là on travaillé avec Sacha Rudy, qui a bossé avec Laylow, et Marlon B, qui a collaboré avec Juliette Armanet, Matthieu Chedid ou Vanessa Paradis. J'ai trouvé un binôme avec un accent futuriste et un côté plus traditionnel. C'est un peu ce que je cherche sur chaque album : être futur avec des textures d'aujourd'hui faites par ordinateur avec, quand bien même, une énergie qu'on pourrait représenter comme un héritage de la chanson française. Moi pendant toute mon adolescence, j'ai écouté du R&B. J'avais 14-15 ans, j'étais au lycée, je me passais du Leslie, Timbaland, Justin Timberlake, Britney Spears, les Neptunes, Jalane, K-Reen... J'avais beaucoup envie de danser sur cet album, j'avais envie d'oser l'évasion et c'était important à mes yeux d'avoir une musique qui respire ça. C'est sur "Urgence 911" qu'on a commencé à amener cette énergie, cette vibe, que j'ai trouvé trop cool. J'ai lu un livre de Rhoda Tchokokam sur le R&B qui s'appelle "Sensibles" et elle explique qu'à l'époque, le R&B était un moyen de s'évader à côté du rap conscient, avec beaucoup de mélodies qui parlaient d'amour un peu légères. Même s'il y a de l'écriture et de la poésie, il y a quand même une envie de faire bouger avec cet album. Et à l'image, ce que je voulais faire ressentir c'est le côté crash de l'amour. C'est un amour dans lequel on se prend des murs, et peu importe le nombre d'accidents, on se relève le lendemain. C'est une boucle infinie que l'on se permet tous de vivre.

Juliette et moi, on est assoiffés d'amour
Tu partages le très beau duo ''Eau de vie'' avec Juliette Armanet. C'est une rencontre évidente ?
On s'est rencontré au festival de Cannes. C'était chic ! Avec Juliette, je crois qu'on est assoiffés d'amour au même moment. J'ai écrit cette chanson et quand j'ai fini de l'écrire, il y a des mots qui me faisaient penser à elle : "zeste de mélo", "je sens ton business"... J'étais là : "Ce n'est pas moi qui ai écrit ça, c'est Juliette ! Il faut que je lui rende sa chanson !" (Rires) Alors je l'ai contactée pour lui dire "J'ai écrit une chanson en pensant à toi, il faut que je te la fasse écouter" et dix jours après, elle m'a renvoyé un message en me disant : "Eddy, je l'écoute en boucle depuis des jours". Allez let's go, on rentre en studio ! Tu sais les duos ça doit se passer comme ça. C'était simple.

Tu donneras l'année prochaine ton tout premier concert à l'Accor Arena. Tu t'y projettes déjà ?
Je m'y projette mais avant, il y a énormément de dates. On prépare tout, tout, tout. J'ai hâte parce que je passe cette étape-là pour la première fois et pour moi ce n'est pas rien qu'un artiste qui parle aussi ouvertement d'homosexualité joue là-bas. Sur la scéno, j'ai vraiment envie de faire sentir l'aspect "montagnes russes" de l'émotion, c'est-à-dire qu'on ne sera pas toujours sur le seuil plat et horizontal d'un long fleuve tranquille. Les émotions sont très mouvantes et je veux faire ressentir cette sensation. Ce sera un show assez équilibriste.
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