lundi 20 mai 2024 12:00
Piche en interview : "Faire du rap en drag, c'est me créer une nouvelle liberté"
Révélée dans "Drag Race France" saison 2, Piche monte sur le ring et casse la baraque avec son premier EP "Festin". La drag queen compte bien bousculer les codes en se frottant à l'univers du rap, un genre où les personnes queer sont peu représentées. Rencontre !
Crédits photo : Pochette de l'EP
Propos recueillis par Yohann Ruelle... en pleine session habillage avec la drag queen Vespi ! Tu mènes une vie à cent à l'heure depuis la diffusion de "Drag Race France" saison 2 l'été dernier. Quel bilan fais-tu de ces huit mois ? Un bilan très, très positif ! Il y a des événements qui ont changé ma vie et "Drag Race" en fait partie. Ça fait sept mois que je vis une dinguerie, je cours de partout. J'ai pu sortir un single avec Lorie ["Ta meilleure amie", j'ai accompagné LEJ sur scène pour leur concert au Trianon, j'ai joué dans un clip de Jenifer... Il y a plein de gens qui sont là et qui ont envie d'avoir de la Piche ! C'est très cool. Ça me permet de travailler à côté sur mes projets à moi, la musique. Mon nouveau single est là, l'EP aussi... Il y a tout qui s'emballe et c'est génial de se rendre compte qu'après une émission pareille, les gens sont réceptifs. Ça met un peu la pression ! Et en même temps, ça donne envie de se dépasser pour les autres. Je n'aurais pas fait un programme diffusé tout l'été sur le service public si je n'avais pas envie de ce type de stress-là. Le tremplin et la visibilité que m'apporte "Drag Race" donnent vie de manière concrète à des projets. On me disait que le rap, ce n'était pas fait pour moi C'est le drag qui t'a amené à la musique ou la musique qui t'a amené au drag ?Je suis danseur de profession. Autant te dire que la musique, c'est tout depuis que je suis tout petit ! Mais c'est le drag qui m'a amené au rap. J'ai toujours aimé le rap, l'esthétique du rap, quand j'étais jeune mais j'ai très vite arrêté d'en écouter parce que des personnes ne me trouvaient pas légitime de le faire. On me disait que ce n'était pas fait pour moi. En me redécouvrant, en créant cette nouvelle liberté, j'ai trouvé que ça faisait tellement sens de faire du rap en drag, de me réapproprier ces codes ! À la base, le rap est un mouvement protestataire de musique, qui parle de personnes qui sont opprimées, issues des minorités. Cette facette s'est un peu perdue et c'est ok, ce n'est pas obligé d'être toujours à ce propos. Du coup, ça légitime encore plus de ce que je fais. J'ai l'impression de représenter des gens qui sont exclus et le rap sera peut-être une manière de mainstreamiser encore un peu plus notre culture, en touchant un public différent. Ce sont ces gens-là que j'ai envie d'aller toucher, même si je suis pas la première drag queen à faire de la musique urbaine. En France, sans doute que si ! A cette échelle, peut-être. Je ne suis pas pionnière je pense à Pabllo Vitar ou Bilal Hassani, qui est une des premières personnes queer sur les dernières décennies à s'être fait une place dans l'espace médiatique mais puisque je suis passé dans une émission à grosse audience et que j'ai assumé cet ADN, les gens me connaissent pour ça. Si ce n'était pas moi, je suis sûr que quelqu'un d'autre aurait fini par le faire car dans la musique, tout se mélange aujourd'hui. Par exemple SCH, s'il avait commencé il y a quelques années en portant les tenues qu'il a maintenant, soyons honnêtes ! C'est l'un des seuls rappeurs qui se présente avec des habits très guindés, très mode, qui pourraient être associés à une forme de queerness, et on ne lui dit rien. Parce qu'il a prouvé que musicalement, il était présent. Le reste, le visuel, la direction artistique, ce sont des outils. De la même manière que moi, je le fais avec le drag. Je me dis que si ça évolue dans certains cercles, ça finira par évoluer jusqu'au point où une drag queen gagnera peut-être une Victoire de la Musique. (Sourire) Le player Dailymotion est en train de se charger...
Je déteste laisser indifférent Ce que j'aime sur ton nouveau single "Oh ma Piche", c'est que tu te réappropries les codes du rap viril : egotrip, grosses punchlines... C'est ça l'idée ?Je rappe avec une voix dite grave et dite masculine. C'est ça qui crée la dissonance dans la tête des gens : c'est un son qui pourrait être de n'importe quel rappeur mais quand on shazame le truc, on tombe sur ma barbe et mon maquillage, et ça fait bugger. (Rires) C'est ça que je veux provoquer. Sans provoquer pour provoquer, j'ai toujours aimé titiller. On m'a appris que l'art doit susciter des émotions et des réactions. Bonnes ou mauvaises, ce n'est pas important ! Il y a des tableaux qui ont suscité du dégoût pendant des dizaines d'années, jusqu'à ce qu'ils deviennent des oeuvres majeures de leur courant respectif. Ce que je déteste le plus, c'est de laisser indifférent. Le clip prolonge cette inversion des attentes : c'est toi qui danse avec des mecs que tu séduis, on te trouve avec un gun dans un bar à chicha... C'est la recherche de l'inédit. On est dans une époque où on a eu énormément de propositions artistiques. Maintenant, les vidéos doivent durer une seconde, il faut catcher le spectateur tout de suite, les musiques sont soumises au format court imposé par TikTok... Ce n'est pas facile ! Comme j'ai un message à délivrer, je cherchais une idée qui me fasse marrer. Et quel est le dernier endroit dans lequel tu penserais voir une drag queen ? Je me suis dit : les chichas et les PMU. Ça parait tellement évident ! Les personnes queer ne rentrent pas énormément dans ce genre de lieux. Ni les femmes ! J'avais en lointain écho le clip "Industry Baby" de Lil Nas X, dans lequel il avait pris un emblème américain très masculiniste, la prison, et l'avait retourné à sa façon. Je trouvais ça drôle, parce qu'on n'a jamais vu une drag queen à côté d'un narguilé. L'idée est nimp ! J'ai envie qu'on se dise que je ne me prends pas au sérieux, mais que je prends au sérieux ce que je propose. Je ne suis pas Beyoncé. (Rires) Je suis une gow du Sud ! Une drag queen, c'est forcément une diva dans l'âme !Oui mais justement ! Mon branding à moi, c'est de déconstruire cette image de diva. Quand je suis dans un meet-and-greet, tu vas me voir au loin tirée à quatre épingles comme si j'allais au Met Gala, tu vas arriver, je vais te faire un check ! Parfois les personnes sont impressionnées parce qu'elles t'ont vue à la télé, mais moi je suis tellement accessible ! Je suis incapable de prendre la grosse tête. Je ne sais pas faire. (Elle s'interrompt soudainement) Mais tout le monde voit mon sein ?! Vespi : C'est exactement ce qu'il vient de se passer, je t'ai déshabillée en parlant. Qu'est-ce qui t'embêterait le moins pendant l'interview ? Piche : Ah, on peut tout enlever en même temps ! On en était où ? On parlait de ton côté terre-à-terre... La proximité, ça fait partie de mon drag, ça fait partie d'où je viens. Je suis une gow du Sud, en fait ! On n'est pas comme ça. C'est important que les gens sentent que je suis humaine, de la même manière qu'Angèle quand elle poste les photos du shooting qu'elle vient de faire avec Chanel et le slide d'après, ce sont des baguettes chinoises dans son nez. Ça, j'adore ! Je ne veux pas choisir entre le rap et la chanson Je t'ai vue chanter sur la tournée "Drag Race" où tu reprenais du Frank Sinatra a cappella. Tu as une vraie puissance vocale ! Pourquoi avoir choisi le rap et pas la chanson ?Dans l'EP, il y a deux chansons où il y a de la voix, même si cela reste majoritairement urbain. Oui j'aurais pu ne faire "que du chant"... mais j'aime le rap ! Je n'ai pas envie de me cantonner. Je ne vois pas pourquoi je devrais choisir entre le rap et la chanson : je vais faire les deux. Si les deux me plaisent et si les deux plaisent aux gens, why not ? Je suis quelqu'un de la scène, c'est ça qui me fait vibrer. Je voulais des chansons à textes, des moments suspendus avec les gens. Parce que c'est cool, on va s'enjailler, on va faire la fête mais j'ai aussi besoin de ça. D'ailleurs, lorsque je débute mon talent show dans un épisode de "Drag Race", avant de rapper sur "Confess", je fais deux vibes parce que je voulais aussi montrer que je sais chanter. Je n'ai pas envie d'avoir à choisir, ça me gonfle ! C'est pour ça que je fais du drag : je veux juste kiffer. Ta culture rap, elle s'est faite avec quels artistes, quelles oeuvres ? Quand j'étais plus jeune, il y a eu beaucoup de Diam's, il y avait du Keny Arkana... Un peu plus tard, j'ai été matrixée par Nicki Minaj, Cardi B, Megan Thee Stallion, tout le côté anglo-saxon de cette scène. Récemment j'ai découvert une artiste américaine absolument dingue et inspirante, qui s'appelle Qveen Herby. Elle a la coupe de Mireille Mathieu et elle te kicke le truc... ! Ah mais c'est d'une violence infinie ! J'ai pas mal écouté Orelsan, "La fête est finie"... Soprano aussi ! En fait à l'époque, j'écoutais les artistes mainstream. Au final maintenant, je commence à me recréer une culture rap plus élargie. Je n'aurais jamais pensé écouter "4MOTION" de Maes et PLK. Quand le Uber me voit en lady, je ne pense pas qu'il imagine que j'écoute « Y'a quatre pots dans l'4Motion, la Kalash' va t'amocher ». (Rires) Dans mes oreilles c'est hyper drôle. Je n'ai pas attendu qui que ce soit pour m'assumer et être heureux Le rap, c'est un milieu qui n'est souvent pas très ouvert sur les questions queer... Où tu te places par rapport à ça ? Tu espères une forme de validation ?J'ai attendu une validation d'absolument aucune personne dans ma vie, donc je ne vais pas commencer maintenant ! Après, évidemment, ça fait plaisir de voir que des personnes valident la musique. Je n'ai pas besoin qu'ils valident ce que je suis - je n'ai pas attendu qui que ce soit pour m'assumer et être heureux avec moi-même. Par contre je ne vais pas te mentir : demain, Skyrock décide passer un de mes sons en disant à l'antenne que je suis une drag queen, c'est une fierté ! Mais c'est une fierté parce que ce n'est pas forcément un média dont le public est centré sur des personnes comme moi. Par exemple, j'ai réalisé une interview avec Booska-P et je trouve assez dingue d'avoir des médias spécialisés dans le hip-hop qui veulent aider des personnes comme moi dans leur chemin artistique. Je pense qu'il y a une vraie volonté aujourd'hui, dans certaines grosses institutions, de faire bouger certaines choses. Parfois, certains en ont envie mais ont peur de la réaction de leur public, de perdre des gens en route. La vérité c'est que les gens, on les éduque aussi à travers la musique. Moi demain je fais une vidéo pour Skyrock, je me prends des centaines d'insultes. Mais c'est ok ! Moi je vais m'en prendre 500, la personne d'après ce sera 400 et puis un jour on s'en prendra plus que 50. Si ça peut ouvrir la voie à d'autres artistes qui viendront ensuite, of course i'm gonna do it. Le titre "Atmosphère" aborde frontalement ce sujet de l'homophobie de la société, de la haine qui sévit sur les réseaux. Tu dis avoir reçu des menaces de mort. Tu t'étais préparée à ça, en t'inscrivant à "Drag Race" ? Pour le coup, quand je parle des menaces de mort, c'est plus un vécu d'avant "Drag Race". Malheureusement, je n'ai pas eu besoin d'être connu en tant que queer assumé pour recevoir des messages de haine. Ça, j'en recevais juste parce que j'étais moi. Et ça suffisait amplement... Quand tu fais une émission comme "Drag Race", tu te dis qu'il y a forcément la possibilité que ça arrive. La production te le dit. On a tous les réseaux sociaux, on sait très bien : à partir du moment où on est exposé, forcément, on risque de s'en manger. Mais franchement, je m'en carre le c.. de ce que pensent les gens. Mais c'est dur de prendre ce recul-là, non ? Tu sais, tu ne peux pas être plus blessé dans la vie que par les gens que tu es censé aimer le plus et qui sont censés t'aimer... Un inconnu ne me fera jamais rien. Il peut dire ce qu'il veut ! Je ne suis pas quelqu'un qui est dans la colère, dans la haine de l'autre. Je suis dans la compassion. Je me dis plutôt : "C'est dommage parce qu'en pensant comme ça, tu vas passer à côté de plein de gens qui sont extraordinaires. Et tant pis pour toi". Je ne perds pas de temps pour ça. Et puis sincèrement, mon emploi du temps ne me le permet pas. (Rires) On sent bien les influences de la musique gitane sur "Atmosphère". C'est une façon de célébrer tes origines, malgré ce que tu as pu vivre ? Oui ! Sur "Atmosphère", on a rajouté des guitares dans la production. On avait envie de mélodies qui rappellent les influences gipsy. We never know, peut-être qu'un jour je ferai un EP entier sur mes racines en édition collector ! En attendant, j'avais envie de donner un peu de moi, sans brandir un écriteau. Ce sont des influences, subtiles je l'espère. On le sent aussi dans d'autres musiques sur des choeurs ou la façon de chanter, un peu raï dans la voix. C'était important de le mettre en avant, évidemment, pour la représentation. C'est la chanson qui parle le plus de moi. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, même si j'ai parlé de mes traumas à la télé, ce n'est pas du tout mon genre, je ne fais jamais ça. C'est pour ça que cette chanson m'est difficile à chanter... Mais je sais maintenant, pour paraphraser "Spiderman", qu'un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Je fais aussi de la musique pour ça, pour transmettre aux gens. Comment tu veux te retrouver à Bercy si déjà toi-même, tu n'y crois pas ? Justement tu apportes une touche d'espoir avec le titre "Respire", dans lequel tu chantes : « Y'aura de la place pour moi aussi ». Pour toi, c'est le rôle d'une drag queen de porter une parole ? Complètement. Cette chanson a une histoire assez particulière parce que je compose avec mon frère jumeau, Morgan. Et c'est lui qui l'a écrite. C'est drôle parce que c'est un texte qui parle du suicide, de la détresse qu'on peut ressentir en tant que personne queer. Elle me touche particulièrement parce que je trouve ça fou qu'il ait réussi à raconter, d'une certaine manière, ce qui m'est arrivé, les pensées qui m'ont traversé l'esprit, sans en avoir trop parler. J'ai trouvé très touchant qu'il soit capable de le ressentir et de mettre des mots dessus. À chaque fois que je la chanterai, j'aurai la fierté de me dire qu'elle vient de mon frère. J'aurais aimé connaître une chanson qui aborde ce sujet, quand j'avais 13 ans. Parce que des personnes qui sont queer et qui n'écoutent que du rap, il y en a forcément. Tu fais comment après une rupture avec ton mec ? Tu n'écoutes que des rappeurs qui te parlent de leurs copines qui les ont abandonnés ? C'est pas toi, ça ne te ressemble pas, et je trouve ça dommage. Pourquoi tu devrais te priver d'un style de musique que tu aimes parce qu'il n'y a pas une personne qui représente ce que tu es ? Si, maintenant il y en a une. (Sourire) Qui est le plus exigeant entre ton frère et toi ? Vous fonctionnez comment ? Les trois quarts du temps, on s'en fout plein la gueule. (Rires) En général, on n'écrit pas ensemble, c'est chacun de son côté. Moi je suis très dans ma tête et lui aussi ! Il m'aide beaucoup en studio parce qu'il rappe depuis plus longtemps que moi. Quand il y a une phrase que je n'arrive pas à sortir, il m'aide à la poser. En vrai, on est vachement dans l'écoute et la communication. La chance qu'on a, c'est qu'on tous les deux très exigeants, avec nous-mêmes et avec l'autre. On ne fait pas partie des gens qui se caressent dans le sens du poil. Mon frère s'il n'aime pas un truc, il va me le dire cash ! On se bat pour nos idées mais on se fait surtout confiance. « Demain l'Olympia un jour, qui sait, peut-être que j'me ferai un Bercy » : ça, tu en rêves ? Je suis quelqu'un qui manifeste beaucoup les choses. Quand je veux un truc, je me dis : ça va m'arriver. Comment tu veux te retrouver à Bercy si déjà toi-même, tu n'y crois pas ? Il faut distiller cette idée dans la tête de tout le monde, pour que tout le monde finisse par se dire : "Mais putain, il va y finir cette conne à Bercy !" (Rires) C'est un peu ma philosophie de vie, et mon plan de carrière. Rien n'est trop beau, rien n'est trop grand pour les rêves. Je me suis jamais répété que c'était impossible. J'ai fait des tournées que je pensais ne jamais faire autour du monde, j'ai dansé pour l'un des plus grands noms de la mode [le "Fassion Freak Show" de Jean-Paul Gaultier, ndlr], je me suis toujours battu, j'ai travaillé comme une folle pour obtenir tout ce que j'ai dans la vie. Ça prendra le temps que ça prendra, au début il y aura peut-être des oui, peut-être des non, on s'y reprendra et un jour, ça marchera comme ça doit marcher. Avec des gens qui kiffent. L'important pour moi, c'est de connecter avec un public et de le fidéliser. L'album, c'est pour quand ? Holà, ma douce ! (Rires) Bien sûr que j'y pense. J'ai déjà des clips dans ma tête, j'ai des new eras... Bien sûr que j'y pense ! Le nom de mon EP, "Festin", est corrélé à un potentiel album par exemple. Je me fais beaucoup de plans sur la comète, j'aimerais trop glisser des easter eggs partout comme Taylor Swift ! Mais il faut d'abord que tous les projets se concrétisent. Je suis hyper contente de ce qui arrive, comme de pouvoir performer cet EP sur scène... Ce sera pour bientôt ! Podcast
03/08/2024
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