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Kyo en interview pour ses 20 ans de carrière : "Il n'y a pas d'école de la célébrité"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Kyo célèbre les 20 ans de son album culte "Le chemin" avec une réédition collector. L'occasion rêvée de se plonger deux décennies en arrière avec le groupe de rock, et de ressortir quelques dossiers des tiroirs, en compagnie du chanteur Benoît Poher et du guitariste Nicolas Chassagne.
Crédits photo : Purecharts
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

20 ans après, l'album ''Le chemin'' ressort dans une nouvelle édition. Cet anniversaire, ce cap des 20 ans, ça vous fait quoi ?
Benoît Poher : On se dit souvent que c'est passé très vite et à la fois, quand on se remémore tout ce qu'on a construit, le nombre de clips qu'on a tournés et toutes les émotions qu'on a traversées, on se dit qu'il s'est passé pas mal de trucs !
Nicolas Chassagne : Ce sont 20 années bien remplies quand même ! Et qu'on ne regrette pas. Je crois qu'on a beaucoup d'émotion d'avoir la chance de vivre ce genre d'anniversaire. De voir que les chansons impactent toujours les gens 20 ans après, ce n'est pas donné à beaucoup d'artistes. On est vachement heureux et on profite.

Ces 20 années bien remplies sont passées très vite
Comment tout a commencé pour Kyo ?
Benoît : Vraiment à l'ancienne, pour le coup ! Souvent moi je dis qu'on était une bande de potes qui a fait de la musique mais en fait, souvent vous me rappelez à juste titre qu'on a fait de la musique et qu'on est devenus potes après. Ce sont eux qui ont raison ! On s'est rencontrés au lycée, enfin pour moi.
Nicolas : Avec les autres, on était déjà à l'école ensemble depuis un bon moment. On se connaissait mais on n'était pas forcément amis, et un jour on a décidé de faire de la musique ensemble parce qu'on jouait des instruments différents. Quand Ben nous a rejoints, on cherchait un bassiste. (Sourire) Le fait de former un groupe, ça nous a sortis de cette situation où tu joues seul chez toi pour aller vers quelque chose de plus concret, vers des scènes où se produire.
Benoît : Et gagner quelques points de charisme !

Qu'est-ce qui vous réunissait ?
Benoît : D'être complémentaire et d'écouter les mêmes artistes. Quand on a commencé c'était les Guns'N'Roses, Metallica, et après on a rapidement été impacté par toute la scène de Seattle, donc Pearl Jam, Nirvana, Alice in Chains, Soundgarden... On parle souvent de l'année 1991, où tous les albums cultes sont sortis, des disques de dingue ! C'est comme ça qu'on s'est réunis. Quand tu es au collège ou au lycée, tu te rapproches aussi vachement des gens qui écoutent la même musique que toi. C'est important la musique quand tu es ado. Tu t'influences les uns les autres.
Nicolas : Au début on répétait certains après-midis et puis très rapidement, on s'est retrouvés à passer tout notre temps libre à l'école ensemble également...

Crédits photo : Sony
Dans le coffret, il y a de magnifiques images d'archives. Je ne résiste pas à l'envie de vous faire commenter cette photographie...
Benoît : Oh la la... Je pense que cette photo parle d'elle-même ! On y voit quatre jeunes...
Nicolas : Je ne sais pas si j'aurais misé sur eux. (Rires)
Benoît : Moi non plus ! Quel âge on avait là tu crois ?
Nicolas : Je dirais 14 ou 15 ans.
Benoît : C'est le problème des longues carrières, tu as de gros dossiers quand tu remontes loin ! Tu n'étais pas content mon Nico sur cette photo...
Nicolas : Je pense que j'essayais de prendre la pose des gars que je voyais sur les pochettes d'albums ou les magazines. (Rires)
Benoît : Moi je crois que j'ai vraiment le syndrome des bras trop longs, le corps qui va pas. Je suis Paul Mirabel mais en petit ! (Rires) Très Kurt aussi... On voulait ressembler aux posters.

On rêvait d'être des rockstars, comme nos groupes préférés
À cette époque, vous rêviez de gloire ?
Benoît : Je pense qu'on rêvait d'être les groupes qu'on adorait. D'être des rockstars.
Nicolas : On rêvait de faire de la musique, des concerts, pour en vivre. On faisait déjà plein de répétitions et la scène, c'était l'objectif. Tout le reste, ça ne nous branchait pas beaucoup... Je crois qu'on aurait presque pu ne faire que ça. En tout cas on se disait : ça peut vraiment être notre porte de sortie. On est bons là-dedans, on aime ça, faut y aller !
Benoît : Assez rapidement, c'est passé d'un truc pour le fun à quelque chose de très sérieux. On prenait du plaisir mais on travaillait beaucoup, on commençait à écrire. Très tôt, le but est devenu assez clair.

On l'oublie souvent mais avant ''Le chemin'', un premier album a vu le jour...
Benoît : On en parle rarement parce que déjà, il y a 90% des gens qui pensent que le premier album c'est "Le chemin". (Sourire) Je sais parfois qu'il y a des fans qui sont fâchés, parce que moi je ne l'assume pas totalement... C'est l'album où on découvre vraiment le métier, on apprend comment fonctionne un studio, comment ça marche. Particulièrement en tant qu'auteur, je trouve qu'il y a des textes qui ne sont pas oufs ! Mais il y a quelques chansons que les fans hardcore nous demandent souvent de jouer sur scène, et donc on le fera peut-être un jour.

On s'est fait virer trois fois !
Le fait qu'il n'ait pas rencontré son public, ça a été une source de motivation pour la suite ?
Benoît : C'est paradoxal parce qu'on était assez jeunes, on a signé très vite chez un éditeur et on a signé très vite sur une maison de disques. Bon, après on s'est quand même fait virer trois fois avant de sortir le premier album !
Nicolas : On n'avait pas conscience qu'une fois signé, on pouvait te rendre ton contrat. (Rires)
Benoît : Quand tu es gamin et que tu signes en major, tu te dis : "Bah c'est bon, ça y est c'est parti". Il y a eu pas mal de déconvenues, dont cet album sorti un peu dans l'anonymat... Et à la fois, on savait qu'on avait une marge de progression énorme, que ce soit au niveau des textes ou des arrangements. Je pense qu'on n'était pas prêt, tout simplement. Donc une source de motivation, oui quelque part. En tout cas, on n'a pas eu peur et on ne s'est pas dit : "C'est foutu, c'est trop dur". Au contraire, on va bosser plus et ça va le faire !
Nicolas : Et puis on vivait encore chez nos parents, on avait un toit, on ne se faisait pas trop de souci. On voyait bien les erreurs qu'on avait faites et tout ce qu'on avait envie de faire différemment. Ça nous a motivés à l'idée d'en refaire un.

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L'album ''Le chemin'' a été un raz-de-marée. A quoi ça ressemblait vu de l'intérieur ?
Benoît : C'est pas facile de se remémorer cette frénésie. Pour le public, c'était une explosion assez rapide mais nous, on a vécu ça de façon plus progressive, étape par étape. D'abord il y a "Le chemin" qui commence à passer en radio, ce qui incroyable, puis "Dernière danse" fait exploser le groupe. C'est notre plus gros succès, encore aujourd'hui ! Les singles s'enchaînent, on sort "Je cours", "Je saigne encore", "Tout envoyer en l'air"... Tous les titres sont joués à la radio. On aurait pu faire tout l'album comme ça ! C'est là que tu sens que le truc dépasse un peu tout ce qu'on avait imaginé. Même si on avait la naïveté et l'ambition de vivre cette vie-là, on ne s'attendait pas à ce que ça prenne cette ampleur.
Nicolas : Et en même temps quand c'est arrivé, je crois qu'on est vite partis en tournée pour faire beaucoup beaucoup de dates, et quelque part ça a créé une sorte de zone hermétique entre nous. On voyait bien que ça explosait mais il y avait comme une sorte de séparation qui fait qu'on s'en est davantage rendu compte après que sur le coup.

C'était difficile de sortir dans la rue
Ça a pu être intense parfois, trop peut-être ?
Benoît : Il n'y a pas d'école de la célébrité, on ne peut pas se préparer à ça. Quand tu es jeune, c'est peut-être plus dur à gérer. C'est ce qui a motivé aussi la pause par la suite, qui a finalement été assez longue. Quand ça impacte trop ton quotidien... Surtout moi en tant que chanteur, j'ai été un peu plus confronté à ça. Il y a un moment où c'était difficile de sortir dans la rue. Tu perds ta liberté... Et en même temps, tu as ce truc paradoxal de te dire : "Je l'ai quand même bien cherché" ! J'avais envie d'être connu et d'être reconnu. Une fois que tu réussis, tu le vis plus ou moins bien. Quand je vois les interviews des jeunes artistes qui explosent, ils disent exactement la même chose. C'est le truc que tu désires plus que tout au monde et en fait tu te dis : "Oh c'était pas mal aussi la vie avant, quand j'étais tranquille !".
Nicolas : Il faut se rappeler qu'il n'y avait pas de réseaux sociaux. Aujourd'hui il y a peut-être une notoriété plus globale, tout le monde est un peu connu de tout le monde. A l'époque ça n'existait pas : quand tu passais dans une émission de télé, en effet le lendemain les gens le calculaient !
Benoît : Tiens, je repense à une petite anecdote très humiliante pour moi... Quand tu as vendu un certain nombre d'albums, tu deviens américain. Je ne sais pas pourquoi mais les gens te parlent en anglais. Donc ça arrivait souvent qu'on me demande "Oh, can I take a picture ?" dans la rue. Un jour, un mec s'approche pour me demander ça et comme j'étais en vacances et que je voulais rester tranquille, je lui réponds "No, no. No pictures". En fait il voulait juste une photo de lui avec sa femme. (Rires)

Comme quoi la notoriété finit par te conditionner ! Vous aviez été pas mal critiqués à l'époque sur le côté FM de vos chansons. On vous disait que ce n'était pas du vrai rock. Ça vous a pesé ?
Nicolas : Oh, sûrement... Quand tu es jeune, la critique, tu y es plus sensible, tu y accordes beaucoup d'importance. L'avantage, c'était de ne pas être seul. On était un groupe et on était convaincu de ce qu'on défendait. De toute façon, on s'est vite aperçu que la France est un pays très critique quoi que tu te fasses, c'est comme ça, c'est culturel. Alors on a relativisé. Quand tu marches, c'est normal que tu en énerves certains. (Sourire) C'est de bonne guerre, on va dire.
Benoît : Je crois que je compensais pas mal par le lifestyle. On utilisait quand même des codes, dans nos visuels et nos clips, issues du rock et même du metal, qu'on mélangeait à la chanson française qu'on a toujours aimée. C'est ce qui fait d'ailleurs la singularité de ce groupe, ce mélange un peu spécial. Moi je sais que j'avais un côté "Ah ouais on est pas des rockeurs ? On va vous le montrer". Du coup, je faisais des soirées, des bagarres... (Rires) Comme si j'avais besoin de me légitimer à ce niveau-là.



On voulait créer un pont entre notre musique et des artistes de la jeune génération
Pour cet anniversaire, vous avez invité plusieurs artistes comme Suzane ou Coeur de Pirate à revisiter vos chansons. Comment s'est passé le ''casting'' ?
Benoît : J'avais demandé à ce que ce soit des artistes que j'ai dans ma playlist sur mon téléphone. Au moins une chanson ! (Sourire) C'était important que ce soit des artistes qu'on apprécie ou qu'on admire. A chaque featuring il y a une histoire, et chaque artiste qu'on a invité a une relation particulière avec le morceau qu'il interprète avec nous. C'est ça qui nous a plu : il n'y a rien de fake et on espère que ça s'entend.
Nicolas : Il fallait qu'il y ait une vraie envie, de leur côté, de se mettre avec nous sur le travail de ces morceaux, qu'il fallait refaire sans trop les dénaturer, en leur apportant quelque chose de nouveau. On aimait bien l'idée de créer un pont entre notre musique et des artistes de la jeune génération, qui portent un autre regard sur Kyo et nous ont peut-être des fois connus en tant que public.

''Je cours'' avec Nuit Incolore est le nouveau single. Comment s'est fait ce duo ?
Benoît : On s'est rencontré à Paris. Lui est d'origine suisse et il habite à la montagne, dans un endroit magnifique. Il nous racontait que sur la seule radio qu'il arrivait à capter, ils ne passaient que du Kyo toute la journée ! (Rires) Il a donc entendu pas mal de nos chansons quand il était gamin. Quand j'ai découvert son univers avant de le rencontrer, je voyais des similitudes dans le côté darkness des propos et des visuels. On a deux univers différents mais avec des similarités. C'était assez naturel. On a enregistré deux chansons avec lui dont "Rendez-vous" pour son album sorti début novembre. Le truc qui est marrant, c'est que mes parents n'arrivent pas à reconnaître quand c'est moi ou quand c'est lui qui chante ! Quand je lui ai dit par téléphone, il a éclaté de rire et m'a dit : "Mes parents c'est pareil". Visiblement, on a des voix assez proches.
Nicolas : On a eu l'impression que ça faisait 10 ans qu'on travaillait ensemble. On a bien rigolé.
Benoît : Je crois qu'il y a un humour similaire au nôtre... et je ne sais pas si c'est bon signe. (Rires)

Le harcèlement scolaire reste hélas d'actualité
C'est un texte fort sur le harcèlement scolaire. Ben, tu y as été confronté ? 
Benoît : Moi j'ai vécu un peu tous les cas de figure. Je n'ai pas vécu de trucs atroces mais j'étais un peu effacé, assez discret. J'ai surtout observé des situations qui m'ont marqué, touché et blessé même. Quand tu vois des gamins qui se font moquer tous les jours, qui subissent de la violence verbale ou physique, comme dans le clip de "Je cours" à l'époque... 20 ans après, ce qu'on nous dit souvent, c'est que le texte reste malheureusement d'actualité. Là où on est optimistes, c'est qu'avant on n'en parlait pas du tout. Aujourd'hui, on en parle énormément. Les jeunes sont éduqués sur la question, il y a des conférences dans les écoles, il y a beaucoup de prévention par rapport à ça. On se dit que potentiellement, on va dans le bon sens. Mais c'est vrai qu'il y a une forme de tristesse de voir que ce texte a encore une forme de résonnance.



Vous êtes toujours en contact avec Fabien, ancien batteur qui a quitté le groupe en 2018 ?
Benoît : Oui, on a des nouvelles. Il va bien ! Il habite en Italie, sa femme est italienne. Je crois qu'il est bien en Italie, à faire de l'huile d'olive. (Rires) C'est un changement de vie radicale : tu changes de pays, tu changes de culture... Mais ça ne m'aurait pas déplu de vivre à Rome, moi !

On a déjà pas mal de morceaux pour un nouvel album !
Un nouvel album de Kyo est-il en préparation ?
Benoît : Bien sûr ! On ne s'est jamais arrêté de composer après "La part des lions" (2022). Avant, on séparait vraiment le cycle écriture, enregistrement, tournée. Maintenant j'ai l'impression que c'est beaucoup plus fusionné. Même quand on est sur les routes, on écrit beaucoup. Là on a déjà pas mal de morceaux. À chaque fois moi je m'excite tout de suite, on fait dix chansons et je suis là "Ah ça y est, l'album est prêt !" alors qu'en général, il en reste qu'une ou deux de la première salve. (Sourire) J'ai une faculté à m'emballer. Mais ouais, il y a déjà des morceaux qui sont en route. Et justement, on va probablement essayer de retravailler avec les producteurs présents sur cette réédition, Prinzly et Marso, parce qu'on s'est aperçu qu'il y avait des gens qui savaient faire des trucs que nous on ne savait pas faire. Ça permet de nous dégager plus de temps pour vraiment peaufiner les mélodies, les textes. Ils ont apporté un son qui nous plaît bien sur les reworks de "Je cours" ou "Je saigne encore". Je pense que c'est une expérience qui va nous aider pour la suite.

Quelles thématiques allez-vous aborder ?
Benoît : J'ai fait un texte où je raconte tout ce que j'ai sur le coeur. Le texte fait bien trois pages, ça va être cool encore de me souvenir de toutes les paroles en live. (Rires) Je fais un peu un état des lieux de mon esprit dans un monde qui est quand même un peu malade. On essaie toujours d'exorciser ce qui nous ronge. Et je n'ai pas pu résister à écrire un texte sur mes gamins. Forcément, une chanson sur la paternité, il fallait que ça arrive un jour !

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