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Coeur de pirate en interview : "On m'a souvent dit que j'étais impossible à aimer"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Coeur de Pirate jette un regard sur ses amours passés dans son nouvel album "Impossible à aimer". En interview pour Pure Charts, la chanteuse analyse la pression médiatique qu'elle subit depuis le début de sa carrière, son rôle de patronne de label, évoque la vague féministe qui fait bouger l'industrie musicale et l'arrivée de son futur bébé en pleine tournée.
Crédits photo : Bravo Music
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Ma vie privée a été publique malgré moi
Tu proposes pour l'ouverture de ton nouvel album "Une chanson brisée'', où il est question d'amour, de mésamour, d'infidélité, de rupture... La Coeur de pirate version 2021 prend encore plein de coups de griffes au coeur !
En fait, j'ai fait une introspection sur tout ce qui m'est arrivé. Ce n'est pas arrivé l'année dernière, je te rassure ! Pour moi, c'était une façon de revisiter mes expériences passées pour comprendre pourquoi, pendant longtemps, le traitement médiatique qui m'était réservé décrivait ma vie sentimentale comme extrêmement tourmentée alors que je vivais juste une vie normale de jeune femme dans la vingtaine. Le traitement médiatique qu'on réserve aux femmes qui vivent dans l'espace public est très différent de celui qu'on réserve aux hommes. Il n'y a pas très longtemps, j'ai fait la capture d'écran d'un média qui légendait sur une photo de mon conjoint et moi : "Après des années tumultueuses, Coeur de pirate retrouve enfin l'amour". C'est fascinant car je ne pense pas qu'on dirait ça d'un mec, jamais. Pourquoi tumultueuse ? Est-ce que c'est à cause de mes chansons ? De ce que j'ai pu partager aux gens, qui s'est retourné contre moi ? Je n'en ai aucune idée. Ma vie privée a été publique malgré moi. Aujourd'hui, j'ai fait la paix avec tout ça. Je trouve juste dommage que c'était ça qu'on retenait de qui j'étais.

C'était une manière pour toi de te réapproprier ces histoires qu'on a pu déformer ?
Absolument. Et puis de comprendre, aussi. Savoir si c'était moi le problème. (Rires) Finalement non, ça va !

En revisitant ces amours passés, qu'as-tu appris sur toi même ?
Pendant longtemps, j'avais tendance à aller vers des personnes avec lesquelles c'était voué à l'échec. Peut-être que j'avais peur de construire quelque chose de sain, de stable. Je recherchais soit des choses que je n'avais pas dans des relations précédentes et qui m'attiraient, soit l'exact inverse. J'ai toujours essayé de trouver la personne parfaite alors que finalement, le travail il se fait sur soi. Quand tu sais ce que tu vaux et ce dont tu as besoin, tu peux choisir la bonne personne pour toi.

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L'album se nomme "Impossible à aimer''. C'est vraiment comme ça que tu te vois ?
C'est ce qu'on m'a souvent rapporté. "Ça doit être compliqué de t'aimer", "ça doit être impossible de t'aimer"... Quand on te le répète plusieurs fois et que tu expérimentes des relations qui ne fonctionnent pas, tu commences à te poser la question. Pendant un moment, j'y ai cru. J'ai vécu des ruptures, un divorce. Tout de suite, c'était mal vu. Et c'est dommage car on n'apprenait pas à me connaître. Ça me faisait de la peine.

Il y a le culte de la famille parfaite
Tu as l'impression que la société a encore une image très précise de ce que doit être un couple ?
Totalement. Il y a le culte de la famille parfaite, du couple parfait. Pour les femmes, quand tu arrives au terme d'une relation, il y a comme un nuage sombre au dessus de ta tête. On te regarde en se demandant "Pourquoi elle est plus avec son mec ou sa meuf ? Qu'est ce qu'il s'est passé ?". Alors qu'un mec, dès qu'il est célibataire, il est perçu comme quelqu'un d'éligible. Genre il faut lui sauter dessus ! Il y a un côté sexiste qui me rend perplexe. Je ne l'ai pas trop exploré dans l'album mais c'est une étude de société assez intéressante.

Avoir du succès, ça rassure pour l'estime de soi ?
Bien sûr. Si je continue de faire de la musique, c'est justement pour le public. Si demain matin les gens n'écoutent plus mes chansons, j'arrêterais. Il y a un côté cathartique pour moi mais le plus grand bonheur c'est de se dire que les gens se reconnaissent dans tes histoires. C'est la raison pour laquelle j'utilise beaucoup de métaphores dans mes textes, pour que tout le monde puisse s'y retrouver.

La première chose qui m'a frappé en écoutant le disque, c'est ta façon de poser ta voix, qui est beaucoup plus grave.
Wow, tu as remarqué ?

Je fais très attention depuis mon opération
Ça m'a frappé oui. C'est une conséquence de ton opération des cordes vocales ?
Ma docteure me dit que non. Je pense que c'est peut-être parce que je me protège malgré moi. Je fais très attention. Mais je trouve ça cool d'aller chercher des notes plus graves, ça confère une autre tonalité, une autre texture. Je ne sais vraiment pas à quoi c'est dû, pour te répondre sincèrement. L'âge doit jouer aussi, puisque la voix baisse naturellement. En tout cas, ce n'était pas fait exprès.

Tu as cru à un moment ne jamais pouvoir rechanter, avec cette opération ?
Oui. J'ai eu un polype [une excroissance bénigne, ndlr] sur un vaisseau sanguin. A chaque fois que je chantais, toussais ou étais malade, ça pouvait causer une rupture et donc resaigner. Quand on m'a opérée, on m'a retiré le polype et le vaisseau sanguin d'un coup. Le problème c'est que si tu guéris mal, tu peux malheureusement ne plus chanter. Je me suis vraiment cloîtrée pendant un mois pour ma convalescence. Je ne pouvais pas parler. C'était fou.

Au début, c'était un album complètement country
Sur ces nouvelles chansons, on dénote une forte présence de sonorités country sur ''Le pacifique'' et disco, sur un titre comme ''Crépuscule''. C'était une façon de se départir du fond très lourd et intime de ton précédent disque "En cas de tempête ce jardin sera fermé" ?
Peut-être, oui. Musicalement en tout cas, je me suis pas vraiment fait la réflexion. Le dernier album restait quand même très pop même s'il parlait de choses difficiles. Il y a une dichotomie que je trouve super intéressante et que j'ai toujours voulu mettre en pratique. Cet album-là, au début, c'était un album complètement country. Il y avait une seule chanson qui était un peu dansante, "On s'aimera toujours". Finalement, on a essayé de mélanger les deux et ça marche ! C'est très années 70, une décennie où la musique allait un peu partout et surtout dans la chanson française, où il y en avait pour tous les goûts. Dans la musique de Dalida, il y a parfois des résonances d'Ennio Morricone ! A l'époque on n'avait pas peur de mélanger les genres, comme le faisait Gainsbourg.

Tu chantes accompagnée d'une harpe sur "Le monopole de la douleur". C'est vraiment très beau. Comment as-tu créé ce morceau ?
J'avais une vision très précise pour celui-là. Je voulais vraiment une chanson qui reste dans la lignée des autres productions du disque et la harpe est un instrument que l'on retrouvait beaucoup dans le prog rock de Genenis par exemple, ou Joni Mitchell. Il n'y avait pas besoin de grand-chose pour donner vie à cette chanson de rupture. Quand tu vis une rupture, la conversation que tu as avec l'autre personne c'est comme si le son était étouffé. Je n'avais pas besoin de grand-chose pour passer le message, je ne me voyais pas faire de grandes instrumentations.




C'est dans la tristesse qu'on crée
Dans cette chanson tu dis : "J'en ai marre qu'on broie du noir''. Pourquoi c'est si difficile d'écrire une chanson quand on est heureux ?
Je pense que c'est dans la tristesse qu'on crée. Et dans la colère qu'on peut passer à autre chose. Si je me fie à ce que j'ai vécu, c'est ça qui actionne le truc, du moins chez moi. Après, j'ai déjà écrit des chansons heureuse aussi. (Sourire) "On s'aimera toujours", c'est une chanson qui respire le bonheur par exemple !

C'est vrai ! Mais j'ai l'impression que l'être humain est souvent attiré par la mélancolie. Le monde entier va sans doute passer tout l'automne à pleurer sur le nouvel album d'Adele...
Sans doute, oui ! Je pense que les gens ont besoin de ça. Mais ça dépend, Angèle qui cartonne n'est pas trop dans ce truc par exemple. Il faut de tout.

Il y a une de tes nouvelles chansons qui s'appelle "Tu peux crever là-bas''. C'est un langage assez cru et je trouve que dans l'album on ressent bien ce côté direct dans l'écriture. C'était voulu ?
Oui, je suis retournée un peu à ce que j'avais fait dans "Blonde", mon deuxième album. (Elle se frappe le poing) J'avais 20 ans, j'étais dans la rage, je voulais faire passer des messages. Je l'ai réécouté il n'y a pas longtemps et j'ai trouvé ça cool qu'une fille de mon âge puisse écrire ça. C'était pas mal ! J'étais meilleure à l'époque qu'aujourd'hui. (Rires) Là, c'est vrai que... Je ne souhaite de mal à personne mais j'ai vraiment extériorisé des trucs forts, comme quand tu apprends que la personne que tu aimes t'a fait des coups dégueulasses. C'est quoi qui te viens en premier ? La colère. Je trouvais ça cool d'explorer ce sentiment-là parce que c'est ce que je ressentais vraiment. Je n'arrive pas à croire que j'ai fréquenté un mec qui faisait de la planche à roulettes et qui était juste... un loser quoi ! Je me suis laissée berner, alors que je suis la personne que je suis, tu vois. Ça fait du bien d'exprimer certains trucs.

Aujourd'hui, j'ai beaucoup plus de responsabilités
Tu étais encore en colère, même après toutes ces années ?
Ouais, quand même. (Sourire) Ça fait encore chier, quoi ! C'est vrai. Je n'arrive pas à croire que j'ai perdu du temps pour des gens qui n'en valaient pas la peine. Après, je l'ai toujours dit, tout arrive pour une raison. C'est important de vivre certaines choses, tout comme c'est important d'admettre certains échecs.

Il s'agit de ta première sortie sur ton ancien label que tu as racheté, et donc sur ton propre label Bravo Music. Qu'est ce que ça change ?
Avant, il fallait juste que je crée. Je n'avais pas les contraintes du fonctionnement d'un label, à savoir : on a besoin de tant de sorties pour rentrer dans notre budget, il ne faut pas avoir de trou dans notre calendrier etc. Je suis vachement consciente de ça, maintenant. C'est super intéressant mais c'est beaucoup plus de responsabilités. J'ai d'autres choses à penser. D'autres considérations, d'autres soucis aussi. (Rires) Je veux que les artistes puissent continuer de se développer et de s'épanouir au sein de notre structure. On est vraiment en indé. Mais ça se passe super bien. J'ai une équipe vraiment bien en place, c'est rassurant.

Ça a un impact sur ta création personnelle ?
Non, je ne pense pas. Sinon je l'aurais déjà ressenti. Ça influe juste ma façon de considérer les dates de sorties d'un single, d'un clip et d'un album. Je reste très arrachée à l'idée que la musique fasse sens.

La représentation des femmes, c'est important
En étant dans une position de pouvoir, tu as l'impression de prendre part au changement dans une industrie encore très patriarcale ?
A la direction, nous on n'est quasiment que des femmes. Si tu mets des femmes ou des personnes issues de communautés diversifiées à la tête d'une entreprise, c'est là que tu peux provoquer du changement dans le monde publique. La représentation c'est important. Peut-être que, grâce à ça, des plus jeunes auront le courage et l'envie de saisir les chances qui se présentent.

J'allais justement de demander, qu'as-tu envie de dire aux femmes qui se disent que c'est impossible pour elles de trouver leur place dans l'industrie de la musique ?
Que ça va changer Les choses progressent dans le bon sens. On m'a dit récemment qu'il y avait des places de directrices artistiques à prendre en France. Et puis quand on regarde ce qui marche aujourd'hui dans les pays francophones, ce sont les femmes qui ont le plus de succès ! Certaines ont permis de faire bouger les lignes un peu plus rapidement. Mais il en faut plus. Il y a encore du progrès à faire. Ce combat n'est pas gagné donc il faut qu'on continue à s'imposer et qu'on le dise quand il faut se faire respecter. Il faut lutter contre ce réflexe qu'on a de s'effacer pour ne pas être vue comme trop "difficile".

Ma fille veut être DJ
On te voit souvent chanter en duo avec ta fille Romy sur les réseaux sociaux. Le talent se transmet de mère en fille, on dirait !
Ouais mais elle, elle veut être DJ ! Je ne sais pas si elle projette de devenir chanteuse. Elle aimait beaucoup chanter avec moi, je trouve ça très chouette. Un peu moins maintenant. Je pense qu'elle a honte de moi. (Rires) D'ailleurs, il faut que je l'appelle bientôt pour son réveil, avec le décalage. C'est bientôt l'heure de l'école.

Si elle t'annonçait vouloir embrasser une carrière dans la musique, que lui dirais-tu ?
Vas-y ! Mais attention : c'est beaucoup d'investissement. Souvent, il faut apprendre d'un instrument et travailler, encore et encore. Moi je bosse depuis 18 ans comme une malade. Je vois toute l'énergie que tu dois mettre, physiquement et psychologiquement, pour réussir à faire de ta passion ton métier. Il faut avoir une bonne éthique de travail, un peu de talent et être bien entouré, mais tu peux aller très très loin.

A quand un vrai duo en single ?
(Elle grimace) Non, non... Je pense pas. C'est pas comme Pink !

Elle pourrait remixer un de tes morceaux alors !
Elle pourrait remixer un de mes morceaux, absolument ! Avec plaisir. (Sourire)



On n'en a pas parlé jusque-là mais de manière très évidente, puisque je te vois en face de moi, tu seras bientôt maman de ton deuxième enfant ! Félicitations.
Merci !

Je vais peut-être perdre les eaux sur scène !
Est-ce que cet album prend une autre lecture pour toi, à la lueur de cette grossesse ?
Non, je ne pense pas. Je vais continuer à faire ce que je fais comme d'habitude. Je l'ai toujours fait avec Romy donc... Des fois j'écris des chansons pour qu'elle, plus tard dans sa vie, puisse se dire "C'était cool ce que disait ma mère". Mais surtout pour le public.

Comment va se passer la tournée avec ton futur bébé ? Tu as des dates jusqu'en mai 2022 !
Déjà, je vais demander s'il y a un médecin dans la salle à chaque concert, au cas où je perde les eaux ! (Rires) En vrai, on a réfléchi le planning en fonction de l'arrivée du nouveau-né. Sauf contre-indications, tout se déroulera bien. J'ai plus peur du Covid et d'un variant. On a tendance à l'oublier ce virus mais il est encore là.

J'imagine que ça demande une organisation particulière ?
En fait, c'est plus facile quand ils sont bébés. Tu peux les emmener partout ! C'est quand ils vont à l'école que ça devient compliqué. Là, il faut être super organisé. Pour tout te dire, j'aurais pu prendre du temps, c'est vrai. Mais j'aime la scène. Honnêtement, je n'ai pas pu chanter pendant tellement longtemps que ça me fait du bien. Le spectacle est bien pensé, assez pour que je repose ma voix avec de beaux moments où ça respire vachement. Le concert est chouette, le public est content. Je suis contente de pouvoir le faire.
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