Darren Gwyyn
Propos recueillis par Théau Berthelot.
Dans quel état d'esprit es-tu après cette ère qui t'a repropulsé au sommet entre le succès de "Black Friday", la plus grosse tournée de ta carrière et la résurgence virale de "Another Love" ?
Je ressens une véritable clarté dans ce que je veux faire. Comme une sorte de mise au point. Et puis, le groupe et moi jouons vraiment bien ensemble. On a vraiment l'impression de pouvoir vivre des moments privilégiés lors des concerts, et la connexion avec le public est vraiment intense. Je suis très impatient de partager ces nouvelles chansons et j'ai le sentiment qu'elles symbolisent parfaitement le moment où je les ai écrites. Car du temps s'est déjà écoulé depuis que je les ai écrites.
La vie est si courte que, quelle que soit la façon dont on la vit, elle est merveilleuse. Qu'elle puisse être meilleure ou pire, c'est une autre histoire. L'émerveillement est quelque chose qui m'imprègne et me touche, au même titre que la curiosité et l'étonnement enfantin. Je pense qu'en tant qu'artiste, il m'a fallu toutes ces années pour me rendre compte qu'il y a quelque chose d'enfantin, presque infantile, dans la créativité. Cela exige qu'une part de vous ne tombe pas dans une forme de routine. Nous finissons par comprendre la vie à travers les habitudes, les expériences, mais quand vous brisez cette routine, cela donne quelque chose de merveilleux. C'est comme l'image de ton reflet dans l'eau. J'ai tendance à être quelqu'un de triste et larmoyant, mais je pense que la meilleure voie à suivre, c'est celle de l'émerveillement et de la curiosité.
C'est ton quatrième album en l'espace de quatre ans et demi. Ces dernières années ont-elles été plus inspirantes ?
Oui ! Je ne sais pas pourquoi, mais autant en profiter tant que c'est là ! (Sourire) Il y a eu des périodes de ma vie où ça a été plus difficile d'écrire. Ça a été plus facile ces cinq dernières années et j'ai vraiment adoré faire ces albums. Cette semaine, je viens d'avoir mes deux premiers jours off depuis le début de l'année [l'interview a été réalisée début juillet, ndlr]. Je me suis dit que je n'allais rien faire, me promener dans un parc. Ma femme, qui est une artiste visuelle, est allée dans son studio et je me suis dit que j'allais faire la même chose. Et comme j'ai beaucoup tourné ces derniers temps, cela me faisait du bien d'écrire à nouveau. J'adore le simple fait d'écrire et de découvrir, de créer quelque chose qui n'était pas là avant.
Musicalement, "Black Friday", ton précédent disque, était plus intime, plus sobre. Celui-ci me semble davantage inspiré par les années 90...
Pas du côté britpop, que j'associe plus à Oasis ou Blur, mais je me suis effectivement beaucoup intéressé à Jeff Buckley, Nirvana ou Soundgarden. Pas tellement dans la composition, mais plus dans le fait d'enregistrer des chansons en tant que groupe, avec un son live et une batterie qu'on entend bien. Quand j'écris, c'est quelque chose qui suit son cours et cela vient plus d'une chose subconsciente, comme une page de journal intime.
Quelle est l'idée générale, le concept, derrière cet album ?
La plupart des musiciens que je connais arrivent rarement en studio avec un concept cérébral. Pour moi, cela ressemble plus à une idée marketing. Quand tu entres en studio, c'est plus pour découvrir des choses que former quelque chose de déjà existant. Mais pour être honnête, quand je fais le bilan de ces chansons, il y a beaucoup de titres dans lesquels j'essaie de retrouver l'enfant en moi. Le petit Tom. J'essaie de le retrouver pour mieux me comprendre et comprendre aussi le monde qui m'entoure. J'essaie de trouver de la compassion, là où il ne semble plus en avoir.
Dans ma vie d'auteur-compositeur, ça va dans le même sens que ma propre vie. C'est comme s'il y avait un monde inversé, un peu comme dans "Stranger Things". Et c'est un monde beaucoup plus intéressant puisqu'il tisse des liens entre conscient et subconscient. Ainsi, c'est à l'auditeur de trouver où la réalité s'arrête et où commence l'imagination. Avec notre subconscient, on en découvre davantage sur nous-mêmes. Je pense que la psychologie est une approche jungienne et nous apprenons tellement de choses à partir de nos rêves. Je pense que c'est un peu comme en thérapie, nous apprenons sur nous-mêmes en brisant cette sorte d'auto-perception implacable que notre esprit crée et soudain, vous avez cet aperçu ou vous vous voyez à travers les yeux du thérapeute, et je pense que ce que j'essaie de dire avec les chansons.
Dans la chanson "Can We Just Go Home Now", où tu dis avoir perdu ta voix, tu demandes des drogues ou médicaments et 20 minutes de repos pour être en forme...
Est-ce que j'ai perdu ma voix ? Ai-je pris des choses pour aller mieux ? Pour moi, l'essence de cette chanson est d'essayer de se comprendre. Dans ce titre, il y a une personne qui dit "Tom, tu as besoin de ralentir". On se demande qui est ce personnage. Et le titre de la chanson, "Can We Just Go Home Now" : une fois arrivé chez toi, es-tu soulagé ? Et quand je chante « When I start drinking, I feel like a god » (« Quand je commence à boire, j'ai l'impression d'être un Dieu »), pour moi, ces paroles sont comme une sorte de protestantisme, trouver Dieu en soi pour combler une absence. Je prends beaucoup de temps pour écrire ces paroles et elles viennent d'un endroit bien particulier.
Dans une interview, tu parles du côté "intense" de la vie d'artiste, constamment tiraillée entre les commentaires négatifs et les moments où tu es sur scène, acclamé par le public. Comment vis-tu cela ?
En toute honnêteté, les commentaires négatifs en ligne ont moins d'effet sur moi que les propres commentaires que je me fais. Nous sommes tous notre propre critique. La seule chose pour laquelle j'ai mis longtemps à prendre sur moi, c'est de me rendre compte à quel point les gens peuvent être vraiment gentils. Je passe mon temps à voyager dans le monde entier et il y a des moments où les liens que je tisse avec le public peuvent être tellement exaltants. Ce qui est particulier c'est que, par exemple, quand on me félicite, je mets du temps à en être conscient. Car j'avais souvent l'habitude de me tenir à l'écart des compliments qu'on me faisait, comme si j'en avais honte ou que je ne les méritais pas. Je ne me voyais pas comme la personne qu'ils voyaient, eux. Et c'est probablement une réaction assez naturelle. Je ne lis pas grand-chose sur moi-même sur les réseaux sociaux. Au début de ma carrière, je l'aurais peut-être fait, mais je fais ce métier depuis assez longtemps maintenant pour ne plus avoir à le faire.
Ecrire ces chansons permet donc de guérir quelque chose ?
Assurément, cela me permet de me connecter à certaines parties de moi-même qui ne sont pas très accessibles sans la musique...
La chanson "Don't Cry, Put Your Hand On My Shoulder" sonne comme une adresse à l'auditeur...
Ce n'était pas l'intention de départ mais, effectivement, ça aurait pu le devenir. J'ai écrit cette chanson pour quelqu'un qui traversait quelque chose et je ne pouvais pas l'aider. J'ai réalisé, d'une façon assez brutale, que parfois nous ne pouvons pas aider les gens que nous aimons, nous devons juste être là pour eux, même lorsque nous les regardons avoir mal. Si on y arrive, alors cela ressemble à une sorte de démonstration d'amour absolument extraordinaire. Un peu comme un parent qui aime un enfant sans trop pouvoir l'aider. C'est quelque chose d'intéressant chez l'humain. Le pouvoir et la force de l'amour sont extraordinaires.
C'était vraiment excitant de faire cette tournée, surtout en tant que grand fan de Billie. C'est vraiment extraordinaire de vivre ça et de voir ce qu'elle peut faire ressentir chez son public. Elle est encore plus qu'une star. Elle est tellement professionnelle. Pas du tout dans le sens "elle est froide ou robotique", mais quand elle monte sur scène, elle donne absolument tout ce qu'elle a. J'ai trouvé ça très inspirant d'autant plus qu'il y a une sorte d'altruisme dans ce qu'elle fait. Je ne pourrais pas dire mieux car elle est vraiment extraordinaire. Elle arrive à ressentir les choses si fort. Le simple fait d'être à ses côtés est quelque chose d'extraordinaire.
N'est-ce pas un peu "étrange", après un beau succès et près de 15 ans de carrière, de faire parfois des premières parties ?
Je n'y ai jamais vraiment réfléchi de cette façon. Il faut savoir laisser son égo de côté aujourd'hui. Certes, ma carrière marche bien mais je suis un musicien qui travaille tous les jours. Aujourd'hui, la conjoncture est telle qu'on ne peut plus sortir un album tous les trois-quatre ans et se prélasser au bord de la piscine entretemps. En tout cas, ça n'a jamais été le cas pour moi. Je n'irais pas faire la première partie de n'importe qui, mais Billie, je suis son fan numéro un. Elle me dit de sauter, je saute. (Rires) J'adore jouer de la musique. Et tant que je peux payer le groupe et que nous avons un hôtel et un toit au-dessus de nos têtes, à manger et du vin, nous irons n'importe où. Et nous l'avons fait. Nous sommes allés partout. Et ça a toujours été un plaisir de le faire !
Tu as aussi pas mal collaboré avec Zaho de Sagazan ces derniers temps, en studio ou sur scène !
C'est un rêve ! Je l'ai vue récemment à Lyon car elle y donnait un concert symphonique. Nous avons fait notre chanson "Old Friend" ensemble sur scène. Elle est juste incroyable. Je suis tellement heureux pour elle, heureux du succès qu'elle rencontre. En plus d'une artiste, c'est une personne vraiment incroyable. C'est assez dingue de voir que, alors que j'ai pratiquement 15 ans de carrière, je rencontre des personnes comme Zaho ou Billie qui connaissent et adorent ma musique. Et ce bien avant que tout cela n'explose. Elles m'ont affiché leur soutien et cela m'a inspiré, cela m'a donné un nouveau souffle en tant qu'artiste. Je leur en suis vraiment reconnaissant !
Nous avons passé quelques jours en studio l'été dernier. Je l'adore. Elle est vraiment devenue une amie proche et à chaque fois que j'entends parler d'elle, ça me rend heureux. Je lui ai parlé pas plus tard qu'hier d'ailleurs. Elle n'est pas là ce soir mais je pense que nous ferons à nouveau quelque chose ensemble. Peut-être plus l'année prochaine, car nous avons énormément de concerts prévus cette année, de nos côtés. En tout cas, nous avons tous les deux exprimé l'envie de retourner en studio ensemble.
Tu t'attaques à une nouvelle tournée, qui fera notamment escale à l'Accor Arena de Paris. Comment amener ton univers plutôt "intime" dans d'aussi grandes salles ?
En vérité, nous avons déjà joué dans des arenas l'an dernier, au Ziggo Dome d'Amsterdam et à la 3 Arena de Dublin. Et d'autres gros concerts dans ce style. J'ai tellement adoré ces concerts car nous voulons que tout le monde puisse venir nous voir. Et le public est de plus en plus en plus nombreux. Si nous jouions dans des salles de 3.000 places, beaucoup de personnes ne pourraient pas venir et on serait obligé de jouer plusieurs soirs d'affilée. Si on faisait ça, la tournée n'en finirait jamais. Donc c'est pour ça que nous avons choisi ces grosses salles et ça s'annonce extrêmement bien. Entendre tout ce monde chanter "Another Love", "Heal" ou "Black Friday" comme si c'était des hymnes de stade, c'est une expérience incroyable. Je repense toujours au jour où j'ai écrit "Black Friday" dans mon petit studio à Londres. Et d'un coup, je me retrouve sur scène à entendre des milliers de personnes chanter mes paroles. C'est tellement puissant. J'espère que ce sera pareil ce soir, mais en plus petit. Tu sais, si je voulais faire ce concert ce soir [au Bouffes du Nord, un théâtre de 530 places, ndlr], c'est parce que j'ai vu Kanye West jouer ici il y a quelques années. Il a fait son fameux "Sunday Service" avec une chorale gospel. J'ai eu un billet, et c'était un concert tellement extraordinaire. Il y avait quasiment 150 chanteurs gospel sur scène, et moi je me promenais dans la salle, c'était vraiment dingue comme expérience.