Qui est Jessie Murph, la chanteuse qui divise les États-Unis avec son titre sulfureux ?
Repérée sur TikTok, la jeune chanteuse américaine Jessie Murph vient de publier son deuxième album. Sauf qu'un de ses morceaux, "1965", déclenche une vive controverse. Explications et clarifications de la principale intéressée.

Abaca
Son nom ne résonne pas encore dans nos contrées, mais il enflamme les débats outre-Atlantique. C'est celui de Jessie Murph, nouvelle venue sur la scène pop américaine, qui fait déjà beaucoup parler d'elle. Découverte via ses vidéos postées sur YouTube ou TikTok, la jeune artiste transforme avec succès ses premiers pas musicaux puisque ses singles "Pray" et "Always Been You" sont respectivement certifiés or et platine aux Etats-Unis. Moins d'un an après "That Ain't No Man That's the Devil", la voilà de retour dans les bacs avec "Sex Hysteria", un deuxième album largement inspiré par l'esprit des années 60, sorti à la mi-juillet. Afin d'entériner cette référence vintage, elle arbore une coiffure XXL façon Ronnie Spector sur la pochette du disque.

"La place de la femme est à la cuisine"

Musicalement, Jessie Murph navigue entre pop, soul rétro, R&B et rap sur 15 morceaux plutôt plaisants à défaut d'être exceptionnels. Et si elle partage le micro avec les rappeurs Gucci Mane et Lil Baby sur quelques titres, c'est la chanson "1965" qui attire toutes les attentions... et les foudres des critiques. À travers ce titre, pourtant non exploité en single, l'artiste âgée de 20 ans est accusée de glorifier les "tradwife", mouvement prônant le retour de la femme au foyer, et dont la base idéologique est proche des mouvements conservateurs et évangélistes. La chanson commence d'ailleurs sur une parodie de pub des années 60 clamant haut et fort : « Les études le montrent, la cigarette est recommandée et la place de la femme est à la cuisine ». Plus loin, Jessie Murph se dit prête à « rester à la maison » pour son homme, et se moque également d'une potentielle différence d'âge entre eux deux (« J'aurais 20 ans et ce serait acceptable que tu en aies 40 »).

Mais c'est surtout son refrain qui suscite le scandale puisqu'elle y chante : « Je veux que tu m'aimes comme si on était en 1965 / Je pense que j'abandonnerais quelques droits si tu m'aimais comme si on était en 1965 ». Comprenez, une femme prête à céder au pouvoir des hommes par amour. Tout en faisant référence à une période de l'Histoire où les droits des femmes étaient davantage limités qu'aujourd'hui. Il en est de même pour son clip, prenant place dans un univers sixties, et au milieu duquel on retrouve des armes et une scène de sexe explicite qui, pour beaucoup, n'a pas sa place sur YouTube. La vidéo y est d'ailleurs soumise à une restriction d'âge. D'autant plus qu'une jeune fille apparaît à l'écran quelques secondes avant l'acte. Jessie Murph a allumé la mèche et depuis, les États-Unis s'embrasent.

Sa prestation de "1965" durant le lateshow de Jimmy Fallon il y a quelques jours n'a rien arrangé à l'affaire. Un extrait du live, partagé sur X par le compte Pop Crave spécialisé dans l'actualité de la pop culture, a généré plus de 50 millions de vues et des milliers de commentaires outrés. « Je me fiche que ce soit censé être ironique ou satirique, je déteste ça », « C'est pas une parodie ? », « On dirait du mauvais Amy Winehouse » peut-on lire, tandis que beaucoup jugent la chanson comme « une des pires musiques actuelles ». Là encore, à l'image du clip, beaucoup s'indignent de cette prestation live qu'ils jugent inappropriée pour la télévision américaine, qui n'a jamais caché son puritanisme en matière de séquences sexuellement explicites ou implicites.

"Vous êtes tous stupides ?"

Après une première réponse très virale sur Instagram et TikTok (« Cette chanson est une satire, vous êtes tous stupides ou quoi ? »), Jessie Murph livre sa version des faits dans les colonnes de Teen Vogue. « Heureuse » que sa chanson suscite une telle réaction, l'artiste originaire du Tennessee rappelle que "1965" est « une blague » : « J'ai regardé beaucoup de vieux films, ceux des années 60, et tout y semble tellement romantique. C'est un film, donc c'est probablement faux. Mais tout était plus lent. Les gens étaient plus concernés ». Et la chanteuse tique quand on lui parle du phénomène des "tradwife" : « Ça, je n'en veux pas. J'aime avoir des droits. Tout spécialement pour les femmes. Le droit sur nos corps ». Une clarification loin d'être anodine alors que les droits des femmes régressent brutalement depuis quelques années aux États-Unis.

Dans un autre entretien accordé au Los Angeles Times, Jessie Murph explique que le titre de son album, "Sex Hysteria", est une référence aux femmes que l'on jugeait « hystériques » dans les années 50 et 60 alors qu'elle étaient « dépressives, anxieuses, ou ressentaient juste des émotions normales ». Elle-même dit se sentir « libre de [ses] émotions » : « Je pense que l'expérience de chacun est très différente. Je ne suis pas à la même place que quelqu'un qui est à trois portes de chez moi. Et les pays et les contextes politiques sont différents - je suis sûr que c'est un problème dans certains endroits ».

@jessiemurphhh ♬ 1965 - J E S S I E M U R P H

"La plupart des gens qui détestent sont des femmes"

Jessie Murph n'est pas la première chanteuse épinglée pour des accusations de la sorte. On se souvient qu'en 2014, l'album "Ultraviolence" de Lana Del Rey avait défrayé la chronique pour sa phrase « He hit me and it felt like a kiss » (« Il m'a frappée et ça ressemblait à un baiser »). Plus récemment, c'est Sabrina Carpenter qui a suscité l'ire des associations féministes avec la pochette de son prochain album "Man's Best Friend" où on la voit agenouillée et tenue par les cheveux par une main d'homme. Elle a depuis proposé des pochettes alternatives plus classiques du disque pour essayer d'éteindre le feu des critiques.

Jessie Murph reconnaît que les deux affaires, très proches dans le temps, sont quelque part mal comprises. « La chose la plus bizarre, c'est que la plupart des gens qui [sont montés au créneau] sont des femmes. Mais je pense que les gens sont offusqués par mon âge » démine-t-elle : « Beaucoup de personnes m'ont découverte quand j'avais 16 ou 17 ans et j'étais une personne très différente. (...) Quand les gens te découvrir à un certain âge, c'est comme s'ils vous figeaient dans le temps. Laissez-moi vivre ! ». Une polémique qui a néanmoins du bon et a permis de braquer les projecteurs sur Jessie Murph. Son album a atteint la huitième place des charts américains et cumule plus de 215 millions d'écoutes sur Spotify, où elle est plébiscitée par 17 millions d'auditeurs mensuels.

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
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