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dimanche 10 mars 2024 12:10

Grégoire en interview : "Je me suis dit que ça n'allait pas être simple de revenir"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Grégoire est de retour avec un nouvel album "Vivre". En interview, le chanteur évoque l'actualité, le harcèlement scolaire, comment il a surmonté la mort de ses frères ou encore le succès surprise de "Bernadette de Lourdes".
Crédits photo : Florent Drillon
Propos recueillis par Théau Berthelot.

Comment est né ce nouvel album "Vivre" ?
Il est né chez moi. Mon tourneur m'appelle et me dit que ça fait huit ans que je n'ai pas fait de concerts. "Est-ce que tu veux en faire un ?". Et comme je m'étais occupé de mes enfants et qu'ils avaient grandi, j'ai dit ok. Mais je voulais faire un concert où je raconte ma vie. Je voulais parler de l'histoire d'un petit garçon de 10 ans qui veut réussir son rêve de faire de la musique et qui, malgré les épreuves, va aller au bout de son rêve. On fait le concert, ça se passe super bien. Il me dit de faire une tournée, je réponds qu'il faut faire un album. C'est pour ça qu'il y a cet album "Vivre", parce que je raconte ma vie, comme dans le concert. C'est le projet, l'ensemble de ce que je suis en train de faire.

" Pendant huit ans, j'étais dans l'ombre "
Médiatiquement, on t'a moins vu ces dernières années, alors que tu as continué à travailler sur de nombreux projets. C'est facile de passer de la lumière à un peu plus d'ombre ?
On m'a moins vu parce qu'effectivement je m'occupais de mes enfants. Au moment où on m'a proposé de repartir, c'était le bon moment, donc je savais ce que j'avais envie de faire, ce que je voulais proposer et transmettre aux gens. Surtout, je n'étais pas dupe sur le fait que pendant huit ans j'étais dans l'ombre. J'ai fait plein de projets, mais on me voyait plus trop. Je connais bien le jeu, je sais que tout va vite, mais j'avais cette idée de me dire que ça ne va pas être aussi simple que ça de revenir. Je m'étais peut-être même dit que ça serait peut-être plus dur. Il y a beaucoup de gens qui me reçoivent, qui font attention à ce que je fais et je trouve ça ultra touchant. Il y a tellement de médias et de moyens via les réseaux sociaux, de parler de soi sans être invité autre part que c'est génial.

Du coup, c'est plus simple ou plus dur ?
Je ne sais pas si c'est plus simple, en tout cas c'est moins dur que ce que j'avais imaginé. Après c'est différent. Comme moi, je suis plus équilibré mentalement, j'ai moins peur, je suis plus à l'aise avec ce que je fais et ce qui se passe.



" La vie m'a appris qu'il y a une urgence à vivre "
Avec ce disque et le morceau-titre, tu lances un appel à "Vivre" : c'est inspiré par l’actualité des dernières années ?
Cette idée de vivre, à la base c'est un dessin de Snoopy. Charlie Brown, son maître, lui dit "Tu sais qu'un jour, on va mourir ?" et Snoopy lui répond "Oui, mais tous les autres jours nous allons vivre". Ça, ça me paraît très important. Moi, la vie m'a appris, parce que j'ai traversé beaucoup d'épreuves, qu'il y a une urgence de vivre, qu'il faut profiter du moment présent et vivre sa vie. Je pense que le confinement a permis à beaucoup de gens de prendre conscience de ça. Des gens qui, heureusement pour eux, n'avaient pas connu d'épreuves majeures avant, et qui se sont dit qu'ils n'étaient peut-être pas heureux dans leurs boulots, leurs appartements... Plein de gens ont remis en cause des choses dans leur vie et ont passé le pas grâce à ça. Les épreuves, quand on prend un pas de recul, nous apprennent quelque chose de positif. Pour moi, c'est arrivé à un moment où j'avais envie de transmettre ça. J'ai fait beaucoup de vidéos pendant le confinement, je me suis rendu compte que ça aidait beaucoup les gens et que ce n'était pas que du divertissement musical : les paroles avaient un impact. J'avais envie de témoigner de ma vie et de donner de l'espoir pour des gens qui n'en ont plus. Je voulais leur dire que la vie est belle, quoiqu'il arrive.

Tout ce qui se passe te préoccupe ?
Préoccuper, ce n'est pas le mot. L'actualité, elle m'a interrogée. Je pense que si on peut tirer quelque chose de positif, ce que j'essaie de faire à chaque fois, c'est de se dire que l'important c'est cette espèce de contemplation qu'on peut avoir des moments qu'on vit avec les autres. Que ce soit avec nos enfants, un dîner entre amis... Ça fait un peu vieux con, mais je pense que la vie se résume à ça : la qualité des moments qu'on passe avec les autres et la qualité des moments qu'on vit. Il faut arrêter de s'imposer des choses qu'on n'a pas envie de faire, il faut essayer de se trouver soi même. Le monde part tellement dans tous les sens, j'avais presque l'impression qu'il pouvait exploser demain, et au lieu de me dire qu'il faut faire quelque chose, j'essaie juste de vivre mieux ma vie.

" Il faut arrêter de s'imposer des choses qu'on n'a pas envie de faire "
"Seul dans la cour" évoque le harcèlement scolaire. C'est une thématique qui te tient particulièrement à coeur ?
Depuis plusieurs années, on voit des drames absolument affreux d'enfants qui ont 10 ans et qui décident de mettre fin à leurs jours. J'arrive toujours pas à conceptualiser qu'à 10 ans, on ait cette idée-là. Quand on est adolescents et qu'on a un chagrin d'amour bon... Mais à 10 ans, on est dans un stade qui dépasse l'entendement. On arrive pas à comprendre ce que ressent l'enfant, et en tant que parent ça doit être absolument insupportable de perdre un enfant mais aussi de ne pas s'en être rendu compte, parce qu'un enfant peut être très secret. Il faut parler de ça. Moi je n'ai pas connu le harcèlement, mes enfants non plus. En revanche, je me suis mis à la place où j'étais : celui qui est dans la cour, qui voit le harceleur et le harcelé, qui parle pas trop car il n'a pas envie qu'on l'embête, qui parfois même sort une blague un peu douteuse parce qu'il faut faire partie de l'effet de masse. On peut soutenir le harcelé et faire une chanson là-dessus. Je sais que Gabriel Attal, quand il était ministre de l'Education, l'a vu et l'a même reposté en story. MIKA a fait une chanson dessus, Hoshi, Maëlle avec "L'effet de masse"... Plus on en parle, plus le silence va se briser et la peur va changer de camp.



De plus en plus de personnes prennent la parole sur le sujet, les choses sont-elles en train de changer ?
De toute façon, le problème n'est pas terminé et il ne le sera peut-être jamais. En tous cas, je pense que les choses sont en train de changer parce que tout le monde en parle. C'est le principe : plus on entend parler de vous, plus les gens vous connaissent. Et c'est la même chose pour ça : plus les artistes en parlent, plus les gens vont prendre conscience de ça. Ce qu'a commencé Gabriel Attal en tant que ministre de l'Education, et ce qui se passe déjà dans certains rectorats... Il y a beaucoup de collèges et d'écoles primaires qui me demandent de venir et d'assister aux enfants qui ont appris la chanson. Je vois que ça bouge, qu'on en parle. Ce qui est important, c'est que les mentalités changent et qu'on en parle. Moi, on ne m'a jamais parlé de harcèlement à l'école. Mon fils qui est en sixième a eu un cours sur le harcèlement, pour expliquer que même une blague récurrente, ça peut quand même être du harcèlement. Souvent, on parle du harcèlement comme du mec racketté ou tabassé : c'est pas que ça ! Il y a des gens qui vivent un collège de merde parce que tous les jours on va leur faire une réflexion sur leurs cheveux, la taille... C'est tellement un moment où on se forme que ça peut avoir des conséquences durables. Les mots sont des armes.

" Le monde part dans tous les sens, il peut exploser demain "
Tu chantes "pour les trop bons, trop cons" : c'est-à-dire ?
Ce sont tous ces gens qu'on n'entend pas, qui tracent leur vie et qui parfois, sont bousculés dans les files d'attente. Les gens qui sont gentils, qui tiennent la porte, qui disent bonjour... C'est pas des gens qui disent "Eh, t'as vu ? Je lui ai tenu la porte". Ceux qui font pas ça, on les entend beaucoup plus parler et ils brassent du vent. Je voulais parler à tous ces gens dont on a pris conscience pendant le confinement : je pense aux hospitaliers, aux pompiers, aux policiers, aux éboueurs, aux agriculteurs. Mais pendant des années, il a fallu que la coupe déborde pour qu'ils y aillent. Et j'en fais partie, je suis vraiment un "trop bon trop con" (rires).

Tu évoques la mort de tes frères sur "Je te pardonne", 15 ans après "Ta main". Comment est venu ce texte si intime ?
Elle est née au milieu de la nuit. Je venais de finir un enregistrement chez moi, et en partant, je passe devant mon piano et je trouve une mélodie que je trouve plutôt pas mal. Là me vient cette idée de paroles : "Pour avoir tout teinté d'automne, même le plus beau des étés, quoiqu'il en soit je te pardonne". Et c'est là que j'ai commencé à écrire un texte sur le pardon. C'est là que j'ai réalisé que le pardon était important. Je l'ai vraiment peaufiné pendant plusieurs jours, pour exprimer le fait qu'il faut savoir pardonner aux autres et à soi-même, à la vie et à la mort. Il faut arrêter les regrets et les rancoeurs. Souvent, on dit qu'on n'arrive pas à pardonner mais ça nous empêche d'avancer. Pardonner, ça ne veut pas dire oublier, mais plutôt de dire que ce dossier-là est terminé. Il faut savoir prendre de la hauteur. Ça règle tellement de choses, surtout de ne pas garder de la rancoeur en soi.

" Plus on parle du harcèlement scolaire, plus la peur va changer de camp "
Cet album, c'est une façon de faire le deuil, d'aller de l'avant ?
Bien sûr. Le pardon, ça permet d'aller de l'avant. Pardonner à un frère qui a décidé de prendre sa vie, c'est déjà pardonner à lui et à moi-même parce que quand il se passe quelque chose comme ça, on est toujours en train de culpabiliser. Quand les gens sont confrontés à ça, ils disent souvent qu'ils en veulent à Dieu, à la vie, au gouvernement... Moi je pense que la vie est tellement courte et qu'elle peut être tellement belle si on s'arrête: si je passe ma vie à en vouloir aux autres, j'avance pas. Et il faut que j'avance : j'ai des enfants, une femme, une vie, des amis... J'ai pas à les souler avec ça, il faut que je pardonne.



" Le pardon est important, il faut arrêter les regrets et les rancoeurs "
Aujourd'hui, tu es toujours à la recherche du tube ?
Elle est technique ta question, parce que oui et non ! Je vais te répondre honnêtement... On recherche toujours un succès. D'ailleurs, j'ai travaillé avec Julien Comblat, qui est très en phase avec ce qui se fait à la radio ou dans les arrangements... En revanche, j'aime les chansons populaires donc j'en écris, je ne me force pas à en faire. Là-dessus, je n'ai pas de problème pour trouver des mélodies qui se retiennent. En revanche, il faut comprendre que le succès d'une chanson, c'est dû à une histoire. Si on veut vivre de sa musique, ça devient une entreprise. Il faut avoir un emballage, une histoire à raconter... Tu verras d'ailleurs que depuis 20 ans, les plus gros artistes populaires ne sortent pas des maisons de disques, hormis Vianney, mais de "The Voice" ou la "Star Academy", d'un site de financement participatif... Souvent, il y a une histoire autour : les gens ont passé un mois avec Kendji et après il sort sa chanson, donc c'est plus facile. Il faut que la chanson soit bonne pour qu'elle dure dans le temps, et c'est là que le côté artiste intervient. Mais c'est plus une question de "je réfléchis pas mes chansons, mais ça devient un tube parce que ça raconte une histoire". Donc quelle est l'histoire que je veux raconter ? Que j'ai envie de vivre !

" Depuis 20 ans, les artistes populaires sortent de The Voice ou Star Academy "
Comment as-tu vécu le succès surprise de "Bernadette de Lourdes" ?
C'est une énorme surprise. Roberto Ciurleo et Éléonore de Galard avaient fait "Robin des bois" avec M. Pokora ou "Les Trois Mousquetaires", donc des comédies musicales à la française. C'est-à-dire : trois moins dans une grosse salle à Paris, puis ça fait une tournée dans toute la France et ça s'arrête là. Pour "Bernadette de Lourdes", ils ont eu un projet à la Broadway ou Londres, de s'installer pendant un an au même endroit, dans une petite salle à Lourdes, et elle est destinée à rester 20 ans. On l'a fait sans se dire qu'on allait faire des chansons spécialement pour la radio. On a créé un spectacle avec Serge Denoncourt qui a vraiment fait un film sur scène, ça ressemble vraiment aux "Misérables". On s'est dit qu'on faisait un vrai spectacle, sans avoir besoin qu'il soit un succès à Paris dans une grande salle pendant trois mois. Maintenant, il fait une tournée dans toute la France, il est traduit dans plusieurs langues et il va à Broadway, à Rome... C'est absolument exceptionnel cette histoire. Moi, c'est tellement les comédies musicales que j'aime que quand on m'a proposé cette histoire, j'y suis allé à fond. Et l'histoire est dingue : ce n'est pas du tout un spectacle catho ! On ne dit pas qu'elle a vu ou pas, on s'est inspiré des interrogatoires. C'est juste une fille qui a défié la police et le clergé. Au final, aujourd'hui, il y a des millions de malades qui viennent à Lourdes, qui repartent avec de l'espoir et qui s'entraident.

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" Je ne me force pas à faire des chansons populaires "
Tu n'es plus aux Enfoirés depuis 2017 : pourquoi ?
En 2017, ça faisait déjà à peu près trois ans que j'étais dans l'ombre. J'avais fait un album de poésie avec l'éducation nationale, l'album où j'avais fait chanter Natasha St-Pier... J'étais chez moi, dans l'ombre, en train de m'occuper de mes enfants. Le seul truc que je faisais encore à la télé, c'était Les Enfoirés. L'année d'avant, Jean-Jacques Goldman est parti en se disant "Ça tourne sans moi". Et c'est vrai que je me suis dit "Si ça tourne sans lui, ça peut tourner sans moi". J'avais pas envie de rester là comme un mec qui s'accroche, un petit peu, puisque j'étais bien chez moi. Il y a un truc qu'on se dit par rapport aux bénévoles et à la cause humanitaire, mais quand on te fait comprendre que c'est pas grave, qu'il faut pas culpabiliser si tu viens pas, qu'il y en a d'autres et que ça marche sans toi... Dans ce cas-là, ça m'a permis de me dire que je pouvais prendre du recul, comme j'ai pris du recul avec tout. Là aussi, je laisse ma place à d'autres. En revanche, maintenant que je suis revenu, ça pourrait me traîner dans la tête de le refaire...

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