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dimanche 05 septembre 2021 11:16

Imany en interview pour "Voodoo Cello" : "Il faut vraiment désacraliser la reprise"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Imany revient dans les bacs avec "Voodoo Cello", un album de reprises. De passage dans nos locaux, la chanteuse s'est confiée à Pure Charts sur l'art de la reprise, son amour du violoncelle ou le poids du succès de "Don't Be So Shy". Rencontre.
Crédits photo : Eugenio Recuenco
Propos recueillis par Théau Berthelot.

Vous êtes de retour après cinq ans d'absence discographique. Pourquoi avez-vous pris autant de temps ?
Il y a eu une tournée qui a duré près de trois ans et directement après, j'ai enchaîné avec un bébé, et il fallait ce sortir ce bébé. En plus, je voulais vraiment me reposer de cette tournée et du rollercoaster dans lequel j'ai été pendant trois-quatre ans. Il fallait recharger ses batteries.

« "Don't Be So Shy" nous a ouvert énormément de portes »
Est-ce qu'il y a eu, à un moment, une volonté de prendre de la distance avec le succès du remix de "Don't Be So Shy" ?
Ce n'était pas une distance par rapport au succès, mais plutôt par rapport au travail. "Don't Bo So Shy" a été numéro un dans 30 pays, donc ça a ouvert énormément de portes pour nous. Toutes ces portes, on les a prises et à la fin, ça use la santé, ça fait qu'on n'a plus de vie sociale... C'était plutôt un recul par rapport à ce que ça m'avait demandé de faire tout ça.

Vous dites que ça use la santé, dans quel sens ?
On est sur la route en permanence. Il y a la tournée, les promos, je venais d'avoir un bébé à cette époque donc je l'avais toujours avec moi... C'était intensif : à peine le temps de se remettre d'une grossesse qu'il fallait être parfait. On se faisait des Saint-Pétersbourg, Moscou, Toronto, Paris en cinq jours.

Comment avez-vous occupé les périodes de confinement successives ?
Elles ont été diverses. Le premier confinement, j'étais bloquée à la maison comme tout le monde. J'ai passé mon temps à m'occuper de ma famille et c'est ce que je voulais, j'avais réclamé ça depuis la tournée précédente. Donc j'étais à la maison avec mon mari, mes enfants, ma mère, on a rangé les placards, on a fait les devoirs à la maison... Après, les confinements étaient un peu moins stricts donc j'en ai surtout profité pour avancer sur le projet et le spectacle "Voodoo Cello".

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« On a une dette envers les chansons qui nous ont marquées »
Vous revenez donc avec "Voodoo Cello", un album de reprises. Pourquoi ce choix plutôt que des chansons originales ?
J'ai toujours voulu faire un album de reprises. La reprise, c'est vraiment un exercice que j'adore, sur scène j'aime bien faire des medleys et des surprises. Je trouve qu'on a une dette envers les chansons qui nous ont menées où on est. Et puis je voulais faire ce projet de cordes depuis 2013 sauf que l'opportunité ne s'était pas présentée. Je me suis dit que c'était le meilleur moyen de pouvoir montrer aux gens la complexité et la versatilité de l'instrument sur une reprise. Quand vous entendez la reprise d'Hozier ou d'Ed Sheeran, vous connaissez très bien la chanson telle qu'elle existe, mais le fait qu'on la mette en cordes, tout de suite vous comprenez ce que les cordes sont capables de faire. Je ne suis pas sure qu'avec des titres originaux ça aurait été plus parlant.

Selon vous, c'est un exercice périlleux ou plus "aisé" qu'un album traditionnel ?
C'est plus facile parce que comme j'écris les albums, la mélodie et les textes, là c'était déjà fait. (Sourire) Après ce qui est périlleux, c'est de pouvoir garder l'essence et la force de la chanson, tout en apportant qui on est. Mais c'est beaucoup plus jouissif car on n'a pas le même attachement personnel et émotionnel.

« Il n'y avait que moi qui puisse sortir ce projet »
C'est seulement votre troisième album studio en 10 ans de carrière. Pourquoi attendre autant de temps entre chaque disque ?
Je pense que ça dépend des artistes... Pour moi, c'est important parce que je fais de très longues tournées avec beaucoup de dates, donc il faut le temps de faire ces albums. J'ai l'impression de les avoir enchaîné parce que dès qu'il y a une tournée, j'enchaîne ensuite avec un album, mais les tournées sont longues. Il faut qu'un artiste ait le temps de se nourrir pour pouvoir dire des choses. Ceux qui arrivent à parler tous les deux ans, tant mieux. Je pourrais peut-être le faire si j'ai des tournées plus courtes.

C'est un album que vous avez enregistré, arrangé et réalisé toute seule. Vous avez ressenti le besoin de vous affranchir, vous affirmer ?
En fait, ça n'a même pas été une volonté de le faire toute seule car j'avais démarché des arrangeurs. Je ne viens pas de la musique classique, je suis une autodidacte, donc j'ai fait la démarche de voir plusieurs arrangeurs et personne n'arrivait à traduire ce que je voulais faire. Et huit violoncelles, c'est pas si simple pour faire un projet pop. Par la force des choses, j'ai pris deux violoncellistes que je connais, avec qui je travaille depuis toujours et je leur ai chanté des voix. Et par la force des choses, j'ai fini par faire les arrangements. Et comme je commençais à bien maitriser cela, c'était logique que je fasse la réalisation de l'album. Comme au départ c'était un spectacle, j'avais déjà fait la direction artistique que j'ai reporté sur l'album. Il s'est avéré qu'il n'y avait que moi qui puisse sortir ce projet car il était tellement clair dans ma tête. C'était pas vraiment un désir d'émancipation, c'est juste que j'étais la stagiaire de ma vie jusqu'à présent et je pense que j'étais prête à pouvoir assumer ce rôle.

Ecoutez la reprise de "The A Team" :


Vous chantez en étant seulement entourée de 8 violoncellistes. D'où vous vient cette admiration pour le violoncelle ?
J'en sais rien du tout ! J'adore les cordes, cet instrument est magique. Il peut aller très haut comme il peut aller très bas selon ce qu'on fait avec l'archer. Sur des titres on dirait qu'il y a des sirènes, des guitares électriques, du didjeridoo, même des fois des choeurs... Il n'y a pas de trucages et c'est ça qui est génial. C'est un instrument acoustique, on n'est pas en train d'appuyer sur des boutons, sur des pédales ou des effets. L'effet est fait par l'homme, donc c'est l'instrument organique par excellence, qui se rapproche le plus de la voix humaine. C'est un peu comme quand tu reconnais une personne dans la rue et que tu ne l'as jamais vue avant, il y a une connexion chimique et presque métaphysique qui se fait avec cet instrument.

« Avec le violoncelle, il n'y a pas de trucages »
Justement, il y a l'impression qu'on entend des percussions alors que tout est du violoncelle.
Ce sont des percussions sur les violoncelles. Il faut vraiment dire qu'il n'y a pas de tricherie, et c'était ça le challenge. Des fois j'avais envie de quelque chose et ils me disaient que ce n'était pas possible. La contrainte a été mère de créativité, et c'est génial.

Il y a un côté très envoûtant dans ces reprises, d'où ce titre "Voodoo Cello" ?
Ça a vraiment un rapport avec cet instrument-là qui est très mystique. C'est comme ça qu'on a trouvé le nom du projet, et ça a découlé de la mise en scène.

Vous reprenez Cat Stevens, Madonna, Imagine Dragons... Quel est le fil rouge qui lie les 12 reprises qui composent cet album ?
C'était mon amour des chansons pop, des chansons fortes et aussi des textes qui veulent dire quelque chose. On aurait pu faire période par période... Et en fait non. C'est plus ce que dit la chanson, si la mélodie est forte, si je peux la défendre, si ça marche avec ma voix et si j'ai des idées "violoncellistiques" suffisamment fortes pour la faire.

Comment on se réapproprie des chansons devenues mondialement célèbres ?
Moi en tout cas, je l'ai fait dans la même démarche que quand j'écris mes chansons. Donc déjà, il y avait la mélodie et les paroles et je ne touche pas à l'un ni à l'autre car c'est le squelette de la chanson, c'est ce qui la rend forte. Et après je déshabille tout. Comment je fais ? J'utilise les mêmes techniques que quand j'écris des chansons : je cherche la bonne tonalité qui marche avec ma voix, je le fais en voix-guitare, je vais en studio, je vire la guitare et je colorie au violoncelle. Et forcément, j'y mets de ce que j'aime, de qui je suis et de ce que j'ai envie de dire. Par exemple, la reprise de Bonnie Tyler, quand on l'écoute j'ai l'impression qu'on est dans un film d'horreur, dans un truc très cinématique. C'est fait exprès car quand je suis rentrée en studio, je me suis dit "Cette chanson, il faut imaginer que la fille est dans les bois, elle tient la main de son mec et d'un coup, la main disparaît parce qu'il l'abandonne là. Elle n'a pas de lampe torche et elle désespère de voir ce mec qui a tout transformé". On part de cette histoire et on colore tout au violoncelle. Donc j'y mets de qui je suis mais on garde l'essence de la chanson.

« La reprise, c'est le plaisir pur d'être un interprète, c'est payer la dette »
Il y avait une pression de se dire que vous passiez après des monuments comme Elton John ou Madonna ?
Non, je ne me suis pas mise cette pression-là. La reprise, il faut vraiment désacraliser ça. Ça existe depuis la nuit des temps. Nina Simone, son premier album c'étaient que des reprises. La reprise, c'est le plaisir pur d'être un interprète, de chanter une chanson qui ne nous appartient pas vraiment à la base et de payer sa dette envers des chansons qui nous ont inspirées. Tous les chanteurs vous diront qu'ils ont entendu les chansons de tel ou tel artiste, ils se sont mis à chanter et ça a créé des vibrations en eux qui ont fait qu'ils ont voulu être chanteurs. Donc c'est vraiment ça, payer la dette.

Dans ces titres, il y a beaucoup de chansons engagées, qui parlent de sororité, de résilience, de racisme. Via ces chansons, vous vouliez parler de choses que vous avez vécues ?
Ce n'est jamais du personnel. Ce sont des choses que je connais, que ce soit personnel ou non. Le racisme, même si vous n'êtes pas noir, vous savez que ça existe... Je voulais parler de sujets de société qui me touchent et dont j'avais envie de discuter.

D'où l'idée de commencer l'album sur des cordes frottées qui font penser à des sirènes de police ?
Ah non, c'est même pas ça, c'est vraiment des harmonies qui se croisent. On a fait la setlist avec les chansons les plus cohérentes les unes entre elles, et ça c'est qui est fort et beau avec l'art : on fait ce qu'on a à faire et vous, en tant qu'auditeur, vous y avez mis de qui vous êtes et vous avez votre propre lecture. On peut regarder une oeuvre de Goya vous et moi, et on ne va pas voir la même chose. Mais c'est intéressant ce que vous venez de me dire...

Ecoutez la reprise de "Like a Prayer" :



« Le racisme a toujours été là mais les choses sont en train de changer »
De quel oeil avez-vous perçu la résurgence du mouvement Black Lives Matter, notamment en musique ?
Dans la musique, je ne sais pas trop, je ne me suis pas trop penchée sur la question. Mais en tout cas, les temps sont en train de changer, surtout avec les réseaux sociaux où les choses vont plus vite. Le racisme a toujours été là, ceux qui militent depuis 40 ans ne vont pas vous dire si c'est plus ou si c'est moins. Il n'y a pas plus de racisme, c'est qu'aujourd'hui il est filmé, documenté, suivi... Du coup, des mouvements comme Black Lives Matter deviennent mondiaux et forcément, ils vont toucher des artistes. Est-ce qu'on va en parler ou est-ce que les gens vont se tenir d'une façon X ? Tout ça est poreux.

Quel est votre but à travers ces reprises ? Refaire découvrir les textes ?
Je ne pouvais pas faire une reprise pour faire exactement ce qui a été fait avant, quoiqu'il arrive. Il fallait apporter une autre lecture. Le vaudou, c'est l'art de voir les choses autrement donc j'avais envie de faire aussi de la musique autrement, j'étais à ce niveau-là de ma vie. Ça se voit dans ce projet, la preuve je prends huit violoncelles, on ne peut pas faire pire que ça. (Elle sourit) L'idée c'était d'apporter d'autres lectures, mais ça dépend des chansons. Par exemple, "Les voleurs d'eau" d'Henri Salvador, personne ne la connait donc c'est une façon de remettre à sa place une très grande chanson que personne ne connaît. Mais l'idée, c'était surtout que je me fasse plaisir.

Vous en parlez, "Les voleurs d'eau" est le seul morceau en français : pourquoi celui-ci en particulier ?
Ce titre, je l'ai en tête depuis des années, je l'aime beaucoup. Quand on s'est posé la question d'avoir des titres qui soient un peu plus dans l'engagement et moins dans l'amour romantique, je me suis dit "Si j'arrive à en faire quelque chose, je le mettrais". Le titre a carrément sa place. Je ne me suis pas interrogée sur s'il fallait du français ou de l'anglais, je me demande toujours si la chanson est forte et si je peux la défendre. Si elle est en anglais, soit, sinon c'est pas pareil.

Et au contraire, vous avez choisi la version anglaise de "Ne me quitte pas", "If You Go Away" !
C'est vrai que je suis compliquée. (Rires) En fait, "Ne me quitte pas", qui est un monument et qui a été chanté par les plus grands de Brel à Nina Simone, je ne me voyais pas du tout me comparer à eux. La reprise de Nina Simone est tellement immense... Elle n'était même pas dans ma liste en fait, jamais de ma vie je n'aurais fait "Ne me quitte pas". Je suis tombée un jour sur cette version anglaise en regardant une série. Je ne la connaissais pas alors que cette adaptation date des années 60 et j'ai découvert la version de Neil Diamond. C'était absolument génial et je me suis dit que s'il fallait faire une reprise de "Ne me quitte pas", je devais la faire en anglais. En plus, en anglais, elle n'a pas complètement le même sens. En français, "Ne me quitte pas", c'est déjà une supplique de la personne qui demande de ne pas partir et c'est déjà trop tard, c'est cuit. En anglais, c'est "Si jamais tu t'en vas" : c'est encore ouvert, il y a de l'espoir !

« La contrainte a été mère de créativité »
Enfin, l'album se termine sur "Wild World" que vous adaptez en comorien, en hommage à vos origines. Une façon pour vous de vous reconnecter à votre héritage ?
Ce projet s'est fait par la force des choses. Je voulais "Wild World" de Cat Stevens dans sa version en anglais, j'en suis à ma quatrième version et je n'y arrive pas. Les arrangements ne sont pas au niveau, je suis prête à abandonner. J'écoute ça chez moi et ma mère me dit "C'est une chanson en comorien ?". En fait, dans les années 60, il y a un artiste comorien qui a fait une adaptation pour la radio comorienne qui a beaucoup tourné dans sa jeunesse. Donc elle ne la connait qu'en comorien. Quand elle me dit ça, je me dis qu'il faut la retrouver en comorien car c'est peut-être ça qui va sauver la chanson. On ne la retrouve pas, donc on a décidé à trois avec ma cousine de faire l'adaptation en comorien et de faire une adaptation un peu plus douce. Car la version de Cat Stevens est un peu dure. C'est une mère qui parle à sa fille plutôt qu'un mec qui parle à son ex qui la quitte. Avec ça se débloquent plein de choses : les arrangements commencent à être beaux et à marcher et la chanson existe autrement. Ça renoue avec mes racines, mais surtout ça sauve la chanson. Et ça fait une histoire à raconter entre vous et moi. (Sourire)

Quelle est votre reprise préférée de l'album ?
Ce n'est pas facile, mais ma préférée c'est "Black Little Angels". J'aime beaucoup ce qu'on en a fait, on s'est beaucoup amusés à la faire. La caisse claire, c'est une feuille coincée entre les cordes et deux archers qui tapent, ça fait l'imitation du timbre d'une caisse claire. Le titre est très fort, les paroles, en plus c'était la tonalité la plus élevée donc j'ai dû la travailler vraiment dur, je me suis mis la pression et à la fin le résultat est vraiment touchant. A chaque fois que je l'écoute, elle me donne envie de pleurer.

Avec cette feuille dans les cordes, là aussi on revient aux percussions que l'on croit vraies alors que c'est fait avec du violoncelle !
Le truc, et c'est en parlant avec vous que je le réalise, c'est que le fondement de ce projet est que la contrainte, le fait que l'on soit 8 violoncelles et que je me suis imposée que l'on fasse aucun trucage, a été mère de créativité. Ça nous a forcé à trouver des solutions et à être plus créatifs.

Ce projet est né tout d'abord pour la scène, avant d'être concrétisé pour disque. Le fait d'avoir fait cet album entre temps va-t-il modifier la façon dont vous allez le présenter sur scène ?
La seule chose que ça a modifié, c'est que le "Wonderful Life" de l'album est différent du single qui est remixé, donc j'ai "octuorisé" le single remix. Ça a changé la setlist mais sinon non. Sur scène, comme c'est un spectacle et vraiment pas qu'un concert, il n'y a que les titres de l'album et d'autres reprises. C'est un spectacle de reprises, rien d'autre. Il y aura peut-être certaines de mes chansons au rappel, si les gens veulent un rappel, mais c'est vraiment un concert concept.

Vous travaillez sur un nouvel album de chansons originales ?
Pas encore ! On est en train de défendre celui-là, j'ai pris la route depuis la semaine dernière et on est encore en train de fignoler le spectacle sur scène. En plus, je ne travaille pas du tout comme ça. On peut se reposer la question dans six mois ou un an, quand l'album sera bien lancé et que j'aurais le temps de reprendre une guitare, mais là je suis complètement submergée et engagée dans ce projet. Je ne peux pas faire deux albums à la fois.
Pour en savoir plus, visitez imanymusic.com et sa page Facebook.

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