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samedi 29 avril 2023 13:06

Gjon's Tears en interview pour son 1er album : "J'ai fait le choix de prendre le temps"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Révélé dans "The Voice" puis à l'Eurovision, Gjon's Tears fait le grand saut avec la sortie de l'album "The Game". Un premier disque d'équilibriste où les multiples inspirations de l'artiste caméléon cohabitent. Rencontre avec une voix prodigieuse et un coeur sensible.
Crédits photo : Jo&Co
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Le personnage de Gjon's Tears, que tu façonnes dans tes visuels, est celui d'un clown triste. Que te permet-il d'exprimer ?
Je trouvais important dans ce premier album de montrer la dualité entre la vie et la mort, le côté clair et le côté sombre. Sur la pochette du disque, c'est plutôt le côté sombre qui ressort. (Sourire) J'avais envie de casser la douceur ou la tendresse de l'image que j'ai véhiculée avec "Tout l'univers" à l'Eurovision. C'est une facette de ma personnalité artistique et il y en a beaucoup d'autres sur l'album. Quand on vient me voir en concert avec mon groupe, on me dit parfois : "C'est drôle, tu offres beaucoup d'autres choses qu'on n'entend pas dans ce qui est déjà sorti". Ce visuel-là avec ces larmes, ces nuages, offre un contraste, et je l'aime bien parce qu'il donne un côté new wave, il rassemble les influences 80 et 90 de l'album.

" Il faut réussir à se démarquer des autres "
Se bâtir un personnage permet de mettre un filtre, une distance ?
Je pense. Mais c'est aussi le reflet de ma conception de la musique, que j'aime très théâtrale. Pour moi la musique, c'est être sur scène, faire du spectacle vivant. Donc c'est aussi entrer dans la peau d'un personnage, essayer de nouvelles choses. Les artistes qui m'inspirent, comme Björk, David Bowie, Nina Hagen ou Grace Jones, ce sont des artistes qui ont cette faculté à concevoir la scène comme un terrain de jeu, à construire leurs propres mondes.

On peut dire The Cure aussi avec la pochette !
C'est une référence esthétique mais pas tellement dans les sonorités. Comme tout le monde je connais les classiques mais je n'ai pas eu la chance de m'éduquer avec The Cure. C'est essentiel, à mes yeux, d'avoir une identité esthétique parce qu'aujourd'hui on vit dans un monde où la musique se regarde de plus en plus et s'écoute de moins en moins. On vit dans une envie d'avoir des voix lisses et lissées, qu'on ne reconnait plus quand on les entend à la radio. Il faut réussir à se différencier, se démarquer des autres. Il y a 70.000 titres qui sortent par jour sur Spotify ! C'est quasi mission impossible... Donc l'image peut aider.




" Le premier défaut de tous les artistes, c'est l'impatience "
Tu sors ton premier album ''The Game'' après t'être fait connaître dans "The Voice" puis à l'Eurovision, des émissions très populaires, de grosses machineries même. Tu avais la pression, de passer dans ''l'après'' ?
J'ai pas forcément eu peur de l'après. Pour le coup, j'ai de la chance de composer, d'écrire donc je savais que ce que je voulais faire quoi qu'il arrive, c'est de la musique. Par contre, j'ai eu peur quand on m'a fait comprendre qu'on allait m'assimiler à une étiquette de télé. Heureusement, j'ai la chance d'avoir collaboré avec des gens qui ont simplement écouté ce que je fais, aimé ce que je fais. Dans ce premier album, j'avais vraiment envie de présenter qui je suis. Comme une carte de visite. C'est quoi Gjon's Tears ? Bah c'est ça. Un artiste qui a envie de montrer toutes ses influences. Ma mère écoutait beaucoup de disco, Gala, des chansons de boîtes de nuit, des années 2000 et mon père, plutôt des chansons albanaises qui durent 4 heures et demi qui racontent l'histoire d'un type qui est allé acheter du pain etc. (Rires) J'ai découvert très tard en fait les Queen et autres David Bowie. Mais j'ai eu un vrai déclic. Quelque chose en moi a changé. Pour revenir à ta question, j'ai eu cette chance d'avoir une visibilité énorme. Il y a des attentes, les miennes aussi, mais ce qui prime c'est la qualité. Le temps fait toujours bien les choses. Le premier défaut de tous les artistes, c'est l'impatience. (Rires) On a envie que les choses se passent vite, de passer en radio, en télé, que ça marche, que les gens viennent nous voir en concert... Mais c'est un processus très, très lent. Et dans les carrières qui me font rêver, il y a eu ce choix de prendre le temps. Je me suis focalisé sur l'essentiel, c'est-à-dire les gens qui m'aiment et me suivent.

A-t-il été facile de trouver ta couleur musicale ?
Ça a été compliqué parce qu'il ne faut pas se mélanger entre ce qu'on aime faire et ce qu'on sait faire. Même si on vit sous forme de playlists et que le public a des goûts très éclectiques, j'avais quand même envie que ça ait du sens. Et que le dénominateur commun de cet album soit ma voix, parce que c'est justement ce qui me démarque des autres. Au niveau du son, je voulais de la nostalgie, de la mélancolie, c'est la raison pour laquelle j'ai essayé de travailler avec plusieurs réalisateurs musicaux en France mais ça n'a pas été simple de trouver les bonnes personnes. Et puis un jour je me suis dit : je vais aller vers les gens que j'admire, comme je le fais pour la compo et le texte. J'ai envoyé le projet à Tim Bran, qui est le producteur de London Grammar, Birdy, Aurora et Paul McCartney entre autres. Je me suis dit : "Les sonorités qu'il propose, ça, ça me parle, ça me plaît, et c'est ce que j'aimerais pouvoir reproduire sur scène", avec cette dimension live très présente. Je tenais à travailler le son. Et il a accepté tout de suite. La simplicité avec laquelle on a discuté m'a fait aussi me dire que je n'avais plus de temps à perdre.

" On peut tomber sur des personnes qui ont du pouvoir et aiment en jouer "
Pour un jeune artiste, il est essentiel de bien savoir t'entourer. Récemment, tu as partagé un texte très touchant pour partager tes désillusions sur l'industrie de la musique. Que s'est-il passé ?
On ne s'en rend peut-être pas compte mais l'Eurovision est une des émissions les plus regardées dans le monde. Les répercussions sont gigantesques, elles peuvent être incroyables mais dans les rencontres, il y a aussi des mauvaises rencontres. C'est drôle, je suis quelqu'un qui attire à la fois des choses tristes et des choses extraordinaires ! Par exemple, Tim Bran est venu sur ce projet avec un simple e-mail. Combien il doit en recevoir par jour ? C'est fou qu'il m'ait répondu ! Mais voilà, une carrière c'est aussi beaucoup de désillusions. Parfois ce sont des artistes qui m'ont promis plein de choses qui n'aboutissent pas, des fois ce sont des gens qui viennent pour d'autres motivations qui ne sont pas explicitement dites... C'est de ça que je voulais parler sur les réseaux. Je n'ai pas voulu me plaindre mais plutôt justifier mon absence pour les gens qui me suivent, parce que je n'arrivais pas forcément à faire semblant d'être super heureux alors que j'allais mal. J'en parlais avec Al.Hy au téléphone il y a quelques jours : quand tu décides d'être artiste, tu décides de vivre dans l'instabilité en fait. Il y a eu des hauts et des bas. Et pendant cette période de bas, j'avais de la peine et j'ai eu besoin de prendre du recul. C'est très particulier la musique. Comme c'est un business et qu'il y a de l'argent en jeu, forcément on peut tomber sur des personnes qui ont du pouvoir et aiment en jouer... Heureusement, je suis bien entouré et j'ai pu passer au travers.

C'est rare d'entendre un témoignage aussi honnête. En parler, c'est une forme de soulagement ?
C'est très tabou. Dans la musique, les gens savent ce qu'il se passe. C'est ce fameux truc de "oui on savait tous que machin..." mais personne n'en parle. Moi j'ai juste décidé de m'éloigner de ces gens-là, quand la situation n'était pas très claire. Ça ne m'a pas libéré mais ça me paraissait important de prendre la parole, ne serait-ce que pour expliquer pourquoi je ne donnais plus de nouvelles de mes projets.

" Je pars toujours d'une émotion "
Dans le single ''Pure'', quand tu chantes « Maintenant je veux croire en moi / Des bourgeons renaissent du chaos », tu évoques cet épisode ?
Pour écrire une chanson, je pars toujours d'une émotion. "Pure" est né dans cette période-là donc oui, clairement, ça parle de ça. Le message de la chanson dit que la beauté de la vie se situe dans la redécouverte de l'innocence. J'y crois vraiment ! Ce qui me fait vivre, me donne envie d'avancer et développer ma musique, c'est cette magie des premières fois, d'une rencontre, des imprévus. J'ai envie de trouver ces étoiles-là. On se refuse tellement de choses quand on devient adulte. À 18 ans, du jour au lendemain, on passe de rien à des tas de responsabilités. Sous ce prétexte, on ne peut faire les choses comme avant, on n'a plus le droit d'apprendre, de rêver. Si on ne sait pas quelque chose, c'est la honte. Dans le clip de "Pure" par exemple, j'ai demandé à Géraldine Chaplin, la fille de Charlie Chaplin, de jouer cette innocence-là. C'était un tel bonheur de l'avoir sur le tournage. Elle a joué dans des films avec Louis de Funès, dans "Le Docteur Jivago"... C'est une immense actrice. Et quand elle est venue, je l'ai vue stressée ! Pour un petit clip de rien du tout ! C'était tellement beau. Elle ne comprenait pas pourquoi je l'avais choisie. Elle m'a partagé ses peurs, ses angoisses avant chaque prise de vue. Comme une première fois à chaque fois.




" J'ai fait "The Voice" pour Zazie "
''Un coeur qui cogne'' est co-écrit avec Zazie, qui était ta coach dans ''The Voice All Stars''. C'est une belle prolongation de cette expérience ! Comment ça s'est fait ?
Pour être très clair, j'ai fait ''The Voice All Stars'' pour elle. (Rires) L'émission a été tournée avant l'Eurovision. J'étais en contact avec Bruno Berberes mais j'hésitais car ça demande un investissement et je n'étais pas sûr de pouvoir m'engager, avec le concours qui approchait. Mais il sait comment m'avoir, et quand il m'a parlé de Zazie... J'ai dit oui ! Pendant l'émission, je ne voulais pas être favorisé donc je ne lui ai pas parlé de cette idée de collaborer ensemble, sauf le soir de mon départ durant les demi-finales. Là, durant les répétitions, je lui ai avoué que je rêvais de travailler avec elle et devant les caméras, elle m'a dit : "On le fera". Mais elle voulait voir ce dont j'étais capable. Elle voulait que j'écrive, pas que je ne sois qu'une voix. Le jour où je lui ai envoyé la chanson, elle m'a rappelé dix minutes après pour me dire qu'elle avait un coup de coeur et qu'elle adorait ma proposition ! A partir de là, on s'est appelé tous les jours et on a travaillé le texte ensemble. Une vraie connexion s'est créée entre nous.

Qu'admires-tu chez elle ?
Une intelligence musicale, que je pourrais mettre au rang de Radiohead par exemple. Dans ses albums "Totem" et "Zen", les textes sont tellement justes et... elle ? Je ne sais pas l'expliquer, la chanson commence et je sais immédiatement que c'est Zazie. Son identité est tellement construite et forte. Elle a des chansons qui me transcendent, comme "J'étais là". Elle livre un épisode si intime et si sombre que ça me touche profondément. L'intelligence musicale est folle mais en plus avec le texte, c'est poignant. J'ai rarement ressenti ça avec d'autres auteurs-compositeurs français. J'ai une réelle admiration pour son travail.

" Quand on perd quelqu'un, on perd un morceau de soi "
La chanson ''Cancer'', dont tu signes les paroles seul, est dédié à une amie décédée d'une leucémie. Comment on arrive à trouver les mots justes pour parler d'un tel drame ?
Je ne sais pas si on y arrive. Je tenais à lui rendre hommage et c'était important pour moi que la sensation de la souffrance soit transmise. L'album parle vraiment de la dualité entre la vie et la mort. "The Game", c'est le jeu de la vie. On ne sait pas trop pourquoi on joue, parce qu'on continue à perdre le jeu, mais on joue quand même. Cette chanson était trop personnelle pour que je l'écrive à deux. Je l'avais commencée puis pendant l'enregistrement de l'album, j'ai perdu ma grand-mère donc je suis parti au Kosovo pour les funérailles. Dans cette culture, ce sont les proches qui s'occupent eux-mêmes du corps du défunt. C'est très particulier. Quand je suis rentré, j'ai réécrit le texte différemment pour parler frontalement de la mort. A la fin du morceau, il y a cette espèce de cri et la trompette d'Ibrahim Maalouf qui arrive, un peu comme une marche funèbre, pour ce côté très solennel. Il faut accepter la perte, accepter la mort. Mais je ne crois pas qu'on fait un deuil. Quand on perd quelqu'un, on perd un morceau de soi. Dans ce texte, je ne voulais pas avoir l'audace de dire que je souffre parce que j'ai vu ce qu'on ne devrait pas voir, c'est à dire une mère qui perd sa fille. La vie est injuste. L'album me représentant moi, j'étais obligée de lui dédier une chanson.

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" Ça me plairait bien de refaire l'Eurovision ! "
Sur le disque on retrouve ta chanson ''Tout l'univers'', avec laquelle tu avais donc représenté la Suisse à l'Eurovision 2021. Ça reste une aventure inoubliable ?
Et d'autant plus parce qu'elle s'est étalée sur deux ans ! (Rires) J'ai vécu l'annulation du concours à cause du Covid. Ma première chanson avait été classée très haut chez les bookmakers, j'ai eu une pression de revenir. Il fallait faire aussi bien ! "Tout l'univers" m'a ouvert beaucoup de portes, j'ai par exemple continué de travailler avec Nina Sampermans, la co-autrice du morceau, sur cet album. L'expérience de l'Eurovision a été extraordinaire parce que j'ai pu défendre ma propre chanson, avec une mise en scène que j'avais choisie. Cette émission-là, comme "The Voice", m'a vraiment fait comprendre ce qu'est la télévision. C'est tellement important de savoir se comporter sur scène, pour la suite. J'ai fini troisième au classement final, premier des votes du jury. C'était incroyable. Et j'ai aussi reçu un prix Marcel-Bezençon décerné par les autres candidats. La chanson a très bien vécu, l'expérience était folle. Ça me plairait bien de recommencer.

Vraiment ?
Evidemment pas tout de suite parce que là, je veux faire de la musique et des albums. Bon, on m'a toujours dit que quand on revenait, ça ne se passait pas très bien. (Rires) Mais il y a une telle fidélité des eurofans que ça donne quand même envie de le refaire. Les moyens qui sont mis en place sont extraordinaires. Ce serait avec plaisir.

Que penses-tu de La Zarra, qui représentera la France à Liverpool ?
Ce que je trouve chouette, c'est qu'elle représente ce qu'elle aime. Elle parle souvent de Dalida, Edith Piaf, Barbara... Ce sont des influences qu'on entend dans sa voix, dans sa manière de chanter. Sa chanson "Evidemment" reste en tête, le refrain est accrocheur. Après, l'Eurovision c'est tellement imprévisible ! Ce sont souvent les choses qu'on attend le moins qui s'en sortent le mieux. Je pense à "Snap" de Rosa Linn, qui avait été très sous-cotée durant la compétition et a cartonné après le concours... Tout est possible !

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