lundi 07 novembre 2011 8:00

Julien Clerc en interview

Trois ans après l'album "Où s'en vont les avions ?", Julien Clerc revient avec "Fou, peut-être", défendu par le titre "Hôtel des caravelles". Le chanteur-compositeur s'explique sur la réalisation de son nouveau projet, présente ses compagnons de route et se confie sur ses goûts en matière de musique classique. Un grand artiste qui, du haut de ses quarante ans de carrière, avoue ne s'être jamais intéressé à l'industrie du disque.
Crédits photo : site internet officiel de Julien Clerc
Comment arrive-t-on à se renouveler après quarante ans de carrière et une vingtaine d'albums quand on est artiste ? (Jonathan Hamard, Journaliste)
Julien Clerc : C'est la question la plus importante que vous me posez là. Je ne peux que vous répondre que c'est une forme qui s'entretient. Ça m'amuse de composer des chansons. Il y a un côté ludique que j'aime et dont on ne parle pas toujours. Et comme il y a, en dehors de ma vie privée, que de composer qui m'intéresse, j'ai organisé ma vie de sorte que lorsque j'ai envie de faire de la musique je puisse la faire. C'est la seule réponse que je peux vous donner. C'est aussi le fait d'avoir travaillé avec des auteurs. De garder ceux avec lesquels je travaille depuis longtemps et de faire appel aussi à de nouvelles plumes. Ce sont des artistes qui écrivent forcément avec un français différent. Ça va provoquer le compositeur que je suis et vraisemblablement m'aider à continuer d'être inventif dans les mélodies. Le style des auteurs, toujours neuf avec de nouveaux auteurs, entretient l'intérêt du nouveau disque.

« Je pense franchement que c'est un bel album. »
Des envies, je l'ai bien compris, mais aussi peut-être des doutes au cours de votre carrière.
Evidemment. Des doutes, il y en a toujours. Je ne peux pas savoir la fois d'après les chansons que je sortirai. En revanche, je sais que je serai capable d'en écrire de nouvelles. Savoir comment elles seront, ça, je ne peux pas vous le dire.

L'inspiration s'est-elle toujours manifestée en temps voulu ?
Alors là, je me retourne, je cherche autour de moi pour toucher du bois. Comme pour le vin, je pense qu'il y a de meilleurs crus que d'autres. Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais eu de mal à écrire des chansons.

2011 est-il un bon cru ?
Oui je trouve. Je pense franchement que c'est un bel album. Je pense que c'est un disque très écrit avec du fond. Je l'ai trouvé étonnement frais pour des chansons que j'ai écrites assez vite. C'est une vraie attitude dans la vie quand même. Je ne me suis jamais véritablement intéressé à autre chose. La vie ne m'a jamais mis autre chose sous les yeux qui me donne l'envie de bifurquer.

« J'ai demandé à Maxime une chanson sur la paternité à 60 ans. »
La question que l'on se pose avant et après écoute de cet album, c'est de savoir qui est "Fou, peut-être" ? Est-ce vous, est-ce le monde, est -ce tout simplement ce disque ?
D'abord, il faut connaître le pitch de la chanson éponyme. J'ai demandé à Maxime Le Forestier de m'écrire un titre parce que je sais qu'il est bon pour les chansons de commande. Je ne demande que très rarement aux auteurs des sujets de chanson. J'essaie d'en trouver pour m'investir mais je n'y arrive pas toujours. Pour "Fou, peut être", j'ai demandé à Maxime une chanson sur la paternité à 60 ans. Il est donc venu avec ce texte que vous connaissez. C'est pour cette raison qu'il a appelé ça "Fou, peut-être". On a passé Maxime et moi des vacances ensemble sur la côte de la Turquie. Et c'est vrai qu'il m'a vu faire de la natation devant ces paysages magnifiques et tous mes efforts pendant ces vacances-là alors que ce bébé venait d'arriver. Mon souhait est d'accompagner cet enfant de trois ans le plus longtemps possible. Mais évidemment, c'est plus large que ça. On peut se demander s'il ne faut pas être un peu fou pour, au bout de 40 ans, partager cette même émotion avec le public. Être fou, c'est aussi cette envie d'écrire des chansons nouvelles que vos contemporains vont écouter. Parce qu'à partir d'un moment, on pourrait vivre sur son passé. Moins bien, mais on peut (rires). C'est ça "Fou, peut-être". Et puis, pour faire ce métier pendant aussi longtemps, je crois qu'il faut une certaine dose de folie. Et comme toutes les balances, puisque je suis balance, j'ai, je crois, cette folie qu'ont tous les artistes mais peut-être un peu plus courtoise, un peu plus pondérée.



Un album un peu plus pop que les précédents mais à la fois symphonique, qui préfigurent on se doute les prochains concerts au Palais des Congrès.
Sans doute, même si je piocherai dans l'ensemble de mon répertoire pour ces prochains concerts. Le côté pop, il est toujours présent dans mes chansons. Je pense que tout dépend du réalisateur. J'ai choisi Uminski vraisemblablement pour ça : je suis tombé sur quelqu'un qui connaissait mon travail lorsqu'il était adolescent, qu’éventuellement il fait partie des gens que j'ai pu influencés lorsqu'il est entré dans la musique, et qu'éventuellement il ait voulu retrouver certaines choses qui l'avaient influencé quand il était plus jeune. Je suis quelqu'un d'assez discipliné. Quand je choisis un producteur, je lui fais confiance par définition. Lui est allé piquer ce côté là dans mes compositions qui, à mon sens, a toujours existé. Lui l'a mis en exergue.

« Je pense qu'Uminski a très bien mené son projet. »
Ce qui redonne à vos nouvelles chansons un certain dynamisme. Il ne vient d'ailleurs pas que de cet aspect pop mais également de votre voix et votre interprétation.
Je pense qu'Uminski a très bien mené son projet. Il m'a emmené là où il voulait aller. C'est pour cela qu'il est choisi. Je ne suis pas capable de me produire tout seul. Je suis très interventionniste mais surtout au début du processus de création. Je vais être interventionniste quand on parle des harmonies, des renversements d'accord, de la façon dont va jouer l'instrument principal qui est donc le clavier, à moins que de rendre une chanson "guitaristique" comme c'est le cas pour "Le temps d'aimer". Mais ce sont avant tout des chansons où le piano est l'instrument leader. Et là, évidemment, je suis très très présent au niveau des maquettes et des enregistrements. Quand je lui ai ensuite validé ses arrangements, parce que généralement je demande des maquettes et une sorte de pré-production, c'est à lui de faire son travail. Je l'ai choisi parce que je connais son travail. Je lui ai dit d'emblée que je serai très interventionniste au début mais qu'après c'était à lui de défendre son point de vue. Très clairement, je lui ai expliqué que je savais que je n'avais pas toujours raison et que c'était à lui de me convaincre. En quelque sorte : "C'est pour ça que vous êtes payés.". J'ai besoin de l'échange dans la vie. De même que la personnalité de l'auteur est très importante dans une chanson, la personnalité du réalisateur est très importante parce que je lui délègue de mon pouvoir.

La première phase de travail est plus personnelle. On imagine très bien la composition des titres en piano/voix à la maison. Mais vous restez toujours investis dans la suite de la réalisation. En studio, Julien Clerc est -il plutôt indulgent, exigeant, cool, fermé, ouvert ou chiant ?
Je deviens vite chiant quand.... Enfin, je crois que je ne suis pas trop difficile. Je ne sais pas en fait (rires). Il faudrait leur demander parce qu'on me dit le contraire. Ce que l'on me dit, c'est que je fais énormément travailler mon équipe, ce qui est différent. C'est un projet qui a été mené sur l'énergie : il est assez ramassé. On a enregistré quinze chansons en sept jours, ce qui est vraiment très court. Deux jours de rajout d'instruments symphoniques. Moins d'une semaine dans un studio axé sur les claviers. On salissait les sons acoustiques avec des instruments plus ou moins anciens. Pour en revenir à la question, si quelque chose ne me plait pas, je donne mon avis et je deviens très exigeant, mais pas chiant. Après, j'aime bien diriger dans les voix. Je demande qu'on dirige la séance de voix.

Découvrez les vidéos de l'enregistrement du nouvel album de Julien Clerc :




Vous ne travaillez pas seuls et faites appel à des nombreux artistes qui ont déjà démontré leur talent. C'est le cas d'Alex Beaupain, Mike Ibahim et Julien Doré, qui ont signé quelques textes pour ce nouvel album. D'aller à leur rencontre, c'est une manière de se renouveler ?
Oui, bien sûr. J'avais au préalable entendu leur travail. Alex Beaupain, je vois tout de suite que c'est un très bon. Je leur suggère quelque chose et j'attends de voir ce qu'ils vont pouvoir me proposer. C'est ça qui m'amuse. Mike Ibrahim, il avait chanté seul avec sa guitare pour l'une de mes premières parties. J'avais trouvé sa prestation formidable. J'avais entendu ses chansons. Vous savez, je me mets en coulisses, juste derrière le rideau. Je me suis dit qu'un jour il faudrait que je lui demande des chansons. Et Julien Doré aussi. Je m'étais dit qu'un jour je lui donnerai une musique parce que je sais que c'est un musicien aussi. J'aimais bien cette ambiance un peu poétique de ces textes. Je voulais voir ce que ça donnerait.

« Alex Beaupain, je vois tout de suite que c'est un très bon. »
Êtes-vous satisfaits du résultat ? Vous ont-ils apporté ce que vous attendiez ou complètement autre chose ?
Oui, je suis très content du résultat. Ils ont juste apporté cette touche que j'attendais pour cet album. Parce qu'on le veuille ou non, les sujets sont toujours un peu les mêmes. Mais ceux, comme vous dites de la nouvelle scène française, écrivent avec la plume de leur époque. On n'y peut rien, c'est quelque chose qu'on ne peut pas changer. Je ne crois pas dans les trucs de génération au moment de faire une chanson, mais ça j'y crois, dans le style de l'écriture. En ce qui concerne ma musique, je crois d'une certaine façon être un peu influencé par leur façon d'écrire le français qui est un peu différente. Il est sorti de moi avec un texte de Beaupain des choses qui ne seraient jamais sorties avec un texte de Maxime Le Forestier.



Pour l'heure, c'est "Hôtel des caravelles" qui présente l'album au public. Pourquoi ce titre là et pas justement "Fou, peut-être", ou même une autre chanson ?
Vous savez, quand je termine un album, je le fais écouter à un panel de personnes qui ne sont pas du métier. Ce sont des gens de mon entourage, des amis d'horizons divers. J'ai dieu merci des amis qui n'ont rien à voir avec mon métier et qui font de leur vie tout autre chose. Et de l'écoute, c'est "Hôtel des caravelles" qui ressortait du lot. A la maison de disques, c'était le même avis qui ressortait en premier. De toute façon, j'avais émis en possible single les trois premières chansons de l'album. Donc, vous voyez bien (rires). Généralement, je faisais écouter quatre ou cinq chansons car il est très difficile d'écouter douze titres d'affilé, même de quelqu'un qu'on aime bien. Et encore, même une oreille exercée. C'est très très difficile. Ces cinq chansons, je me dis finalement que ce sont les cinq qui ont une chance de rester après le grand écrémage.

Il se dégage aussi quelque chose de particulier de "Fou, peut-être".
Qui aura effectivement je pense son moment sur scène. Je suis d'accord avec vous.

Ecoutez un extrait du nouveau single de Julien Clerc, "Hôtel des caravelles" :


De cet album, j'en retiendrai également que chacun des titres se distingue. Ce disque est composite mais non moins cohérent. C'est un peu le grand écart entre des titres comme "Où est-elle ?" et "Sur la plage, une enfant".
Vous savez, moi j'ai des goûts très éclectiques depuis toujours. Je pense que ça se retrouve dans mes compositions. Ça part dans tous les sens parce que j'aime beaucoup de styles de musique différents. Je pense être beaucoup marqué par la musique classique dans les suites harmoniques. J'ai écouté de la musique classique très jeune et je suis allé au concert très jeune... Et puis, il y a toute une période de ma vie où j'ai arrêté. Depuis trois ou quatre ans, j'ai recommencé. Je me suis abonné à "Pleyel". C'est un plaisir, bien sûr, mais c'est presque une démarche professionnelle j'ai envie de dire (rires). Tous ces concerts, ce sont des îlots privilégiés dans ma vie. La musique classique est une musique tellement différente de la notre. Dans la musique populaire, il y a un couplet et un refrain qu'on décline.

« J'ai beaucoup de fantasmes musicaux et je ne m'interdis rien. »
La musique classique, c'est le contraire de ça : c'est une musique en évolution. Il y a un thème que vous allez adorer et que vous n'allez entendre qu'une fois. Alors vous serez frustrés car vous ne l'entendrez plus. C'est la logique de la musique classique. Pour un compositeur, se plonger là dedans les yeux fermés, c'est absolument passionnant. Même si ce n'est pas la musique que vous aimez, vous passez un bon moment. Par exemple, Chostakovitch, qui ne joue pas la musique que j'aime, pourra dans tous les cas me transporter. Tous ces gens là sont des génies. J'aime passer quarante minutes de ma vie avec un génie parce qu'il y a toujours quelque chose d'intéressant. Cette musique classique m'a donc beaucoup marqué. Mais dieu merci, j'ai aimé d'autres musiques au cours de ma vie. Ce sont des musiques beaucoup plus loin de moi. Et même si je ne suis pas capable de les reproduire, je sais qu'il en reste quelque chose. Même si ce n'est pas dans les harmonies que j'emploie, il reste un parfum qui traine dans ma tête. Il y a le jazz, la musique brésilienne... Toutes les musiques du monde. Je crois tout simplement que j'aime profondément la musique. La mienne est comme un puzzle vous comprenez. Au début de notre entretien, je vous disais qu'il y a un vrai côté ludique dans la composition. Je ne m'interdis rien. J'ai fait des choses sonnant rock'n'roll. Peut-être que j'en referais un jour sauf que c'est très difficile de créer quelque chose de nouveau dans ce registre. Par contre, avec un esprit rock, on peut réinventer plein de trucs. C'est pour cela que j'ai fait de la musique inspirée du tango à une époque. Je rentrais d'Argentine quand j'ai fait "Le cœur volcan". Ça m'avait passionné. Beaucoup de musiques me hantent et c'est ma façon de faire sortir mes fantasmes. J'ai beaucoup de fantasmes musicaux et je ne m'interdis rien.

« J'ai toujours fait une espèce de musique intemporelle. »
En quarante ans, vous avez vu évoluer le monde de la musique et le marché du disque. Quel regard portez-vous dessus ?
Ecoutez, je vais abominablement vous décevoir parce que je n'ai aucun regard. Je ne me suis jamais vraiment intéressé à ça. J'ai eu de la chance d'une certaine façon. Mais je pense que c'était volontaire de ma part. Moi, ce qui m'intéresse, c'est la création. Après, je n'y comprends plus rien pour vous dire la vérité. Je fais des chansons comme j'ai toujours fait. Je me dis que l'industrie saura d'une façon ou d'une autre les vendre parce que c'est son métier. Je ne dois pas trop me laisser influencer. Quand j'ai commencé, il n'y avait que trois radios généralistes avec de très bons programmateurs. Toutes les générations se retrouvaient autour d'une même programmation. Il y a eu ensuite ce découpage en plusieurs radios qui, je trouve, sont faites pour des tribus et dont certaines me sont à tout jamais interdites. Ça me donne une plus grande liberté (rires). Plus sérieusement, il ne faut pas perdre de vue que c'est une chance de passer en radio. On ne doit pas oublier tout ce qui se passe de nouveau en ce qui concerne le son et l'approche du son dans la musique mondiale. Il ne faut pas rester isolé. Ça me laisse de surcroit une liberté absolue au niveau de la composition. Et comme j'ai toujours fait une espèce de musique intemporelle avec ce que j'aime écouter depuis toujours, je me dis que le jour où ça ne plaira plus, quelque soit la politique du disque actuelle, ça ne plaira plus et puis c'est tout. Ça ne changera rien à ce que je peux penser de la politique du disque. On vend moins de disques qu'avant mais ça ne m'empêche pas d'écrire des chansons.



Julien Clerc sera sur la scène du Palais des Congrès au mois de janvier 2012 pour trois concerts symphoniques les 13, 14 et 15, avant de partir en tournée dans toute la France. Retrouvez toutes les dates et la billetterie pour les concerts de Julien Clerc sur Pure Charts.
Pour en savoir plus, visitez julienclerc.com et sa page Facebook.

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