lundi 04 avril 2011 14:00

Axelle Red en interview

Quelle "Claque" ! Le nouveau single d'Axelle Red fait la part belle à l'Americana : un genre musical dans lequel la chanteuse s'illustre cette année avec un nouvel album intitulé "Un cœur comme le mien". On le sait : son cœur est grand ! Peut-être trop même puisqu'il lui aurait été préjudiciable. Axelle Red a répondu à toutes nos questions, sans en évincer une seule, acceptant même d'évoquer ses échecs. Une confession à cœur ouvert qui ne la rend que plus charmante.


« J'ai peur que le public pense que je suis là pour prêcher la bonne parole. »
Tu évoquais, avant que j'arrive, la crise écologique que subit le Japon. Tu as toujours été très engagée depuis tes débuts. Tu n'es donc certainement pas restée insensible à cette actualité comme beaucoup d'artistes qui participent à différents projets de soutien. J'ai envie de te demander si tu penses que c'est bien là le rôle d'un artiste, et si tu penses que c'est le tien en particulier ? (Olivier Palud, journaliste)
Axelle Red : Je pense que nous avons un rôle qui n'est pas forcément plus grand que chaque être humain. En revanche, nous avons une responsabilité. Un artiste qui décide d'écrire sur l'amour, sur ses propres relations, ce n'est pas un mauvais être humain. Il ne l'est pas plus que n'importe quelle personne qui agira en fonction de sa conscience. Il n'est pas plus critiquable. Par contre, puisque nous sommes exposés aux yeux des gens et que nous pouvons les influencer, je pense qu'il est important de ne pas écrire n'importe quoi. C'est une ligne très difficile car je suis très engagée. Comme d'autres artistes, j'ai peur que le public pense que je suis là pour prêcher la bonne parole. Pour mon précédent disque, "Sisters & Empathy", qui n'est d'ailleurs pas sorti en France, j'ai été assimilée à ce discours-là. En Belgique, je n'ose plus parler de mes engagements.

Vous pensez que cet engagement peut nuire à votre carrière ?
En Belgique oui, c'est sûr. C'est embêtant car les journalistes veulent en parler parce qu'ils sont intéressés. Mais le public qui va lire l'interview par la suite, il croit que je suis encore là pour évoquer les sujets graves dont ils ont raz-le-bol. Dans ce disque ("Sisters & Empathy"), j'évoque mes idées mais par le biais de textes folks. Les traditions folks consistent dans la reprise d'évènements de la vie, un viol par exemple, sans prononcer le mot. Pour te le faire comprendre, je vais prendre l'exemple de l'ogre que l'on retrouve dans les contes. L'ogre, c'est le pédophile. Mais on ne dira jamais qu'il en est un. Le folk, c'est exactement ça. Pour mon précédent disque, je suis partie de thèmes différents et précis. J'ai voulu évoquer les injustices de la société. Pour "Un cœur comme le mien", j'ai pris un autre angle en utilisant les mêmes thématiques. Si tu veux, j'ai contourné la chose pour donner un aspect plus positif. Je n'avais pas envie qu'on me dise que je revenais en donnant des leçons de moral. Dans ce cas-là, oui, l'artiste doit jouer un rôle. Il ne suffit pas d'être une idole, une icône. Il faut être aussi engagé. Tu as aussi le revers de la médaille. Si tu es trop engagé, tu perds ton attrait de chanteur et tu deviens uniquement une personne engagée. Et moi, je crois que j'en suis là. C'est en tout cas ce qui s'est produit avec l'album "Sisters & Empathy".

« Pour "Un cœur comme le mien", j'ai pris un autre angle en utilisant les mêmes thématiques. »
Et je crois aussi que c'est ce qui s'est produit en France. Le dernier disque qui est paru, c'est "Jardin secret", en 2008. Malheureusement, on ne peut pas dire qu'il ait aussi bien marché que les précédents. Il faut donc évoquer "Pas maintenant" ou "Je me fâche" pour considérer des succès, soit remonté jusqu'à 2002/2003.
Oui, c'est toujours plus difficile de revenir. Plus le temps est long entre aujourd'hui et les derniers titres les plus populaires, plus il est difficile de faire son come-back. C'est la dernière impression que tu as laissé qui compte. Mon personnage a continué à vivre dans le silence. Je suis restée quelque part dans l'esprit des gens, dans un coin de leur tête. Effectivement, c'est plus facile de rester sur le devant de la scène en publiant des disques qui sont davantage destinés au grand public. En ce qui me concerne, "Sisters & Empathy" n'était évidemment pas destiné à séduire une large part de la population. Un journaliste me demandait à l'époque si je ne craignais pas de décevoir mes fans lors de sa publication. Peut-être, mais il était fondamental pour moi. Il était une réelle thérapie indispensable. Quand je regarde mes quatre derniers albums, je me rends compte qu'il y en a un qui est positif, successivement suivi d'un disque plus négatif.
« Je suis quelqu'un de très positiviste, et j'en ai fait les frais. »
C'est comme une balance que j'ai d'ailleurs réussi à équilibrer avec "Un cœur comme le mien". Mais je ne peux pas ne pas oublier ces disques plus négatifs. Je ne peux pas me séparer d'une partie de moi. D'une part c'est impossible, et d'autre part, ce serait biaiser la réalité, comme si je trichais avec moi-même. C'est ce que j'explique à mon public dans les concerts. Plus tu es optimiste, plus tes déceptions sont grandes. Je suis quelqu'un de très positiviste, et j'en ai fait les frais. On ne peut qu'être déçu par l'action de l'humanité.



Pourquoi tu n'as pas publié ce disque en France justement ?
Parce que je n'avais pas envie d'expliquer pourquoi ce disque aurait pu être considéré comme commercial ou non. J'étais fatiguée rien qu'en imaginant les questions et de devoir me justifier sur les ventes. Je n'ai plus envie de ça. Ce disque était pour moi tellement juste, comme une introspection. Je me suis donc dit qu'il ne fallait peut-être pas renouveler l'anglais tout de suite. Donc, "Un cœur comme le mien" est en français.

« J'allais à Memphis dix ans avant que les gens s'intéressent à la musique soul. »
Effectivement. Il s'inscrit selon moi dans la continuité de "Jardin secret" en allant peut-être plus loin dans le style musical. Soul et blues ont toujours été présents dans ton œuvre, mais pas autant que depuis "Jardin secret". Il y a avait un presque aspect « pop » ou « variété » qui n'existe plus du tout sur "Un cœur comme le mien", c'est l'Americana.
Tu penses qu'il y a une coupure ? Je ne le ressens pas du tout. C'est intéressant ce que tu me dis. Je n'ai jamais senti ce côté « variété ». C'est très étrange car je ne comprends pas la démarche « variété ». Tout ce que j'écoute en est tellement éloigné. Je ne me reconnais pourtant pas du tout dans ce style musical qui n'est pas réellement un si l'on réfléchit. Je peux comprendre qu'on puisse qualifier ma musique de « pop » dans le sens « accessible ». Dans « pop », il y a populaire. Je peux admettre que l'on puisse écouter "Jardin secret" comme un album pop. On peut aussi entendre des tas d'influences lorsque l'on s'y connait un peu plus. « Variété » signifie « varier selon les tendances ». Je ne pense pas qu'on puisse dire que j'ai suivi la tendance. Bien au contraire, je suis allée à son encontre. J'allais à Memphis dix ans avant que les gens s'intéressent à la musique soul.
« J'ai fait ce que j'avais envie de faire sans me soucier de savoir si j'étais trop avant-gardiste. »
Lorsque tu regardes le nombre d'albums de musique soul qui sont sortis ces trois derniers années, ils sont beaucoup plus nombreux. Mais, à aucun moment on pourra dire que j'ai suivi cette tendance puisque je l'ai même devancée. J'ai fait ce que j'avais envie de faire sans me soucier de savoir si j'étais trop avant-gardiste. Par exemple, "Face A/Face B", on l'a très mal compris. Il était beaucoup trop tôt pour le sortir. J'en ai beaucoup souffert car je me suis compliquée tout au long de ma carrière en me demandant si je devais ou non aller dans telle ou telle direction artistique... J'ai toujours tranché en suivant mes envies, ce qui m'a valu d'être casé dans la catégorie « variété ». En Belgique, jamais on ne m'aurait dit que j'aurais fait de la « variété ». Surtout dans la Flandre où ils ont reconnu toutes mes inspirations.

Je pense qu'en France, tu as été placée dans la catégorie « chanteuse de variété » jusqu'à "Jardin secret". Ce disque étant arrivé, personne ne savait plus où te mettre. Je crois que c'est ce qui a contribué à son impopularité en France.
...Alors qu'en Belgique, c'est mon album qui s'est le mieux vendu. Mon équipe n'y est pas pour rien non plus. Elle rencontrait des difficultés et ne s'est pas bien occupée de mon projet.



« J'ai l'impression que cet album plait plus aux hommes. »
"Un cœur comme le mien" n'est pas pour autant une redite de "Jardin secret".
Il a un côté masculin alors que "Jardin secret" avait un côté féminin. Ce sont d'ailleurs pour moi les plus jolies chansons que j'ai écrite (NDLR : en parlant de "Jardin secret"). Bien évidemment, tous mes disques me représentent, mais celui-ci est plus équilibré. Il y a cet aspect romantique : une chanson d'amour avec une petite histoire. J'aime bien qu'il y ait un message, même pour une simple chanson d'amour. Sinon, ça ne me distrait plus ! Il y a aussi un peu d'humour. J'ai l'impression que cet album plait plus aux hommes. Peut-être aussi parce que j'ai travaillé avec une équipe masculine sur ce projet. Mon écriture est toujours celle d’une femme, incontestablement, mais il y a cette petite touche. Il y a peut-être des hommes qui ont une écriture féminine et pareil à l'inverse. Par exemple, Souchon a une écriture féminine. Je trouve que sur ce disque, "Un cœur comme le mien", il y a un certain équilibre entre les deux justement. Peut-être aussi parce que je n'ai pas voulu le faire toute seule. Je me suis encadrée de Mark Plati. C'est un très bon artiste qui ne s'est pas senti obligé d'imposer son style sur le mien. Je voulais aussi beaucoup de guitares, de basses... quelque chose de mystérieux.

« Je voulais aussi beaucoup de guitares, de basses... quelque chose de mystérieux. »
Un équilibre qui oscille entre romantisme noir et espoirs selon moi.
J'ai commencé à écrire ce disque en écrivant la musique. J'avais envie d'un album beaucoup plus up tempo, ce qui manquait peut-être sur "Jardin secret". C'est le cas de "La claque".

Le premier single.... Pourquoi celui-ci d'ailleurs ?
Parce qu'il plait ! Je n'ai encore eu aucun mauvais retour. Il a comme une force addictive. Je pense que c'est un bon titre, même si je ne l'envisageais pas comme premier extrait.

Tu pensais auquel ?
« Il y a quelque chose de physique avec ce titre-là. »
J'ai longtemps envisagé le titre éponyme de l'album. La première maquette me séduisait et l'enregistrement pour l'album encore plus. Nous étions alors partis à Woodstock pour le ré-enregistrer afin de lui donner sa forme single. Pour chacun de mes disques, les titres sont enregistrés et produits comme un tout unique. Ils s'intègrent dans un projet et ne conviennent pas forcément pour les radios. Donc, on ré-enregistre avec de nouveaux arrangements. Tout le monde la voyait déjà comme single. Mais "La claque" est arrivée ! Il y a quelque chose de physique avec ce titre-là.

Découvrez le nouveau clip d’Axelle Red, "La claque" :
Le player Dailymotion est en train de se charger...


"Un cœur comme le mien" sera peut-être prochain single alors...
Certainement. Il me reste encore quelques petits arrangements à retravailler. Il manque un petit quelque chose. C'est un exercice très difficile de produire un titre d'une autre manière pour qu'il soit plus adapté à ce qui passe actuellement. A la radio, c'est très pop, et très électro désormais. Mes titres ne sont pas du tout dans cet esprit.

Ce n'est pas un exercice dans lequel on craint de perdre son identité en quelque sorte ?
Si, évidemment. J'essaie de ne pas trop changer mais j'ai l'impression que c'est le grand malheur de ma carrière. C'est d'autant plus difficile à vivre pour moi quand j'entends le mot « variété ». J'ai tout fait pour ne pas en produire et c'est finalement ce qui ressort de mon œuvre j'ai l'impression. J'ai fait tellement d'effort.



Pour "La claque", c'est physique comme tu dis. Le clip est justement très physique puisque c'est une vidéo chorégraphiée. Comment t'est venu cette idée ?
J'avais envie de danser. Ça fait longtemps que j'avais arrêté la danse et je m'y suis remise il y a six mois. Pour moi, il y a une forme de poésie dans la danse. Danse signifie « être opposé à ce qui se passe ». Je voulais ça avec cette femme. Elle ne veut pas se leurrer sur son sort et aller de l'avant. Cette chanson, c'est un road-movie. J'avais donc deux possibilités pour le clip : soit avancer dans le désert, mais ça avait déjà été fait, soit la danse. Pour la maison, j'avais David Lynch en tête. J'imaginais même changer de tenue plusieurs fois. Je ne sais pas ce que tu as vu parce qu'il y a deux versions.

« Pour moi, il y a une forme de poésie dans la danse. »
Le premier était effectivement plus sombre et la caméra était fixe. On aurait presque pu le prendre pour un ballet. Le deuxième est moins statique, plus dans le mouvement.
Oui, tout à fait. Le clip en plan séquence me plaisait également beaucoup. Il a été fait en premier. En voyant le résultat, nous nous étions dits que c'était peut-être un peu trop sombre. On était allé un peu loin dans notre idée. Mais il est tout aussi artistique. Je crois qu'il est un peu plus accessible pour le public.

Je l'ai trouvé assez drôle au final
Oui. Quand tu me vois, dans ce décor et dans cette tenue, tu ne t'attends pas à me voir danser. C'est dans cet instant que réside l'humour.

Visionnez la première version du clip "La claque" :


« Je suis les mutations sociales. »
Moins drôle, "Mille regrets". C'est un peu l'entrée au confessionnal ?
C'est l'histoire d'un personnage. Je voulais montrer cette femme typique de l'occident qui s'est battue pour obtenir l'égalité des sexes. Une fois l'égalité des droits obtenue, celle-ci exagère un peu. Elle a tout ce qu'elle voulait : son mari était même prêt à faire le ménage. Elle avait tout ce qu'elle pouvait espérer d'un mari mais ce n'était pas suffisant pour elle. Je voulais montrer par cette chanson qu'il ne faut pas faire aux hommes ce qu'ils nous ont faits. C'est là que réside la touche d'humour. Elle n'est pas forcément perceptible et l'interprétation peut être différente d'une personne à l'autre car les textes sont assez ouverts. Le moindre mot peut être perçu comme une touche d'humour. En revanche, on peut aussi passer complètement à côté.

Ce titre témoigne également d'une évolution du sentiment amoureux comme plusieurs de tes anciennes chansons la jalonnent. En 1999, tu veux vivre avec un homme, avoir un enfant avec. En 2003, tu te fâches. En 2008, tu veux du temps pour toi et ton mari.
C'est très juste ce que tu dis. Beaucoup pensent qu'il est difficile pour une femme de gérer sa vie. Sommes-nous des bonnes mamans parce qu'on ne va pas attendre les enfants à l'école ? Je pense que mes titres s'insèrent parfaitement dans l'époque de leur écriture. Je suis les mutations sociales.

Pour en savoir plus, visitez axelle-red.com.
Écoutez et/ou téléchargez le nouvel single d'Axelle Red, "La claque".

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