Crédits photo : Tim Saccenti
Que doit-on attendre du groupe le plus populaire au monde quand il annonce son retour avec un nouvel album ? Depuis la sortie de son tout premier EP "Safety" en 1998, Coldplay semble animé et tiraillé par deux volontés opposées : celle de devenir des superstars de la chanson, en construisant des hymnes pop fédérateurs à même d'être scandés dans des stades - parfois avec le renfort de Rihanna ou de Beyoncé - et celle d'expérimenter, inlassablement, pour s'aventurer dans des territoires musicaux à la croisée des genres, afin de créer un son qui n'appartient qu'à lui. On ne saurait contester que la bande de Chris Martin a, à un moment ou à un autre de sa carrière, excellé dans ces objectifs. Il n'empêche que Coldplay fait face à une lutte de chaque instant, à chaque nouveau projet. On se souvient que la conception de "Ghost Stories" (2014) avait fait naître une dispute musclée entre les quatre musiciens, incapables de se mettre d'accord sur le titre "A Sky Full of Stars". Produite par Avicii, cette petite bombe électro possédait tous les ingrédients pour devenir un tube planétaire ; mais elle se révélait diamétralement opposée à l'essence même de ce disque hanté par la douleur de la rupture entre Chris Martin et Gwyneth Paltrow. Le chanteur avait eu le dernier mot, et la chanson avait effectivement explosé les compteurs. Elle préfigurait le bel accueil réservé à "A Head Full of Dreams", oeuvre mièvre et sans étincelle dont le succès commercial fut pourtant indéniable.

Coldplay se politise

Qu'en est-il aujourd'hui, avec ce huitième opus baptisé "Everyday Life" ? On aurait pu croire que le choix de le scinder en deux parties, "Sunrise" et "Sunset", offrait à Coldplay l'opportunité rêvée de régaler tour-à-tour ses deux camps de fans. Ce n'est pas le cas. A vrai dire, il n'y a pas grand chose qu'on aurait pu anticiper dans ce projet où l'entame d'une piste se transforme en découverte. Le voyage s'ouvre par deux minutes orchestrales de toute beauté, une complainte au violon qui se fait l'écho de l'état du monde, la thématique principal de cet opus entre désolation et espoir. Inquiet mais conscient de porter une voix, le quatuor britannique se risque (enfin) à insuffler une dimension politico-sociale à ses compositions. Dans "Trouble In Town", dont les arrangements au piano oscillent du calme à la tempête, Chris Martin dénonce le racisme qui gangrène des pays comme les Etats-Unis. « And I get no shelter / And I get no peace / And I never get relief » chante-t-il dans la peau d'un homme discriminé, tandis qu'un authentique enregistrement d'un policier brutalisant une personne de couleur traverse le morceau pour mieux nous rappeler la bêtise humaine. Derrière l'entêtant et radiophonique "Orphans", choisi comme premier single, se cache l'histoire d'une enfant réfugiée de la guerre civile syrienne, impactée par le bombardement de Damas en 2018. Chris Martin, pour une fois plus conteur qu'observateur, manie même l'art de l'ironie avec "Guns", une proposition acoustique qui tourne en ridicule le goût des Américains pour les armes, et leur proportion à répondre à la violence par la violence. Donald Trump appréciera les petits clins d'oeils à son sujet !

Pochette surprise

Fort bienvenues, ces narrations engagées ne sont ni culpabilisantes ni trop dramatiques, ce qui aurait pu étayer le propos. Au contraire, Coldplay prend soin d'enrober ces mots dans une abondance de sonorités diverses qui nous transporte d'un choeur ecclésiastique à une mélodie jazzy, d'un titre à la guitare capturé à la volée avec le chant des oiseaux ("WOTV / POTP") à une symphonie au piano. Ces expéditions ne nous émeuvent pas toujours (on ne vient pas de se farcir tout un album spirituel de Kanye West pour entendre un chant à la gloire de Dieu avec "BrokEN"...) mais de la part d'un groupe de la trempe de Coldplay, on peut saluer ces initiatives qui rompent la monotonie et s'avèrent parfois superbes ("Èkó").

Déroutant par moments mais truffé d'ingéniosité, l'album recèle suffisamment de chansons "à la Coldplay" pour ravir le grand public. Outre "Orphans", l'excellent "Church" sonne comme une douce invitation à la rêverie entremêlée de chants traditionnels indiens qui évoque la période "Play" de Moby. La ballade "Champions of the World", dévoilée en amont, ravira les nostalgiques de "Parachutes" (auquel il est fait malicieusement référence) avec ses effusions folk-rock. Cette odyssée musicale, qui mérite plusieurs écoutes pour révéler toute sa richesse, s'achève avec le doux-amer "Everyday Life". On s'imagine déjà brandir le flash de nos téléphones lors des futurs concerts du groupe. « 'Cause everyone hurts, everyone cries » scande le chanteur en rappelant que la vie, précieuse, est ainsi faite de joie et de peine. Simple mais beau. Coldplay, avec cet album de poupées russes, a donc pris le parti d'arrêter de vouloir plaire pour tenter, oser sortir des sentiers qu'il a lui même battus sur la dernière décennie. Et au vu des retombées critiques et publiques ("Everyday Life" se classe déjà numéro 1 dans 53 pays), c'était sans doute la meilleure décision à prendre.


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