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Artistes Français à L'étranger : Ventes/classements


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  • 1 an après...
  • 3 mois après...

Je me suis un peu amusé à fouiller dans les archives de Billboard et d'autres magazines ou livres pour tenter de retracer une partie l'histoire de l'exportation de la chanson française aux Etats-Unis durant la 1re moitié du XXe siècle.

Je vous propose donc (pour ceux qui en auront le courage) de revenir sur certains hits français du siècle dernier qui ont façonné une partie de la culture FR.

 

Les débuts de l'industrie musicale moderne - Les années 1910-20 :

 

Pour cette période et celles qui suivront, je me suis servi de l'ouvrage de Don Tyler "Hit Songs, 1900–1955: American Popular Music of the Pre-Rock Era" (disponible en ligne gratuitement).

C'est une référence majeure lorsqu'il est question des charts pre-Hot 100 qui se base sur les "Best-sellers in store" de Billboard (qui ne sont plus disponibles intégralement).

 

Et la 1re chanson française à être apparue dans les charts américains n'est autre que... La Marseillaise ! L'hymne national a en effet atteint la #08e place des charts américains lors de la semaine du 29 septembre 1917 :

 

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Dans ce contexte de guerre, un autre chant traditionnel français se fait une place dans les charts américains : La Marche Lorraine qui atteint cette fois-ci la #06e place des ventes dans le pays lors de la semaine du 15 février 1919.

Et contrairement à l'hymne national, la Marche Lorraine est chantée par l'Armée française elle-même sous la direction du compositeur de la Musique de la Garde républicaine officiel, Gabriel Parès.

5 mois plus tard en mai 1919, l'orchestre américain Victor Military Band sent le bon filon et publie à son tour un chant militaire tricolore, La Marche Française : #10e des charts US lors de son unique semaine de classement.

 

Mais jusqu'ici aucun artiste français parvient à rencontrer un succès populaire, pas de french phenomenon. Enrico Caruso monopolise le marché pour le moment.

 

Les années 1930 - Les premières stars françaises :

 

En 1928 une révolution apparaît sur les ondes du monde entier : le Boléro de Maurice Ravel. Le titre est très vite enregistré en studio et vendu au format 78 tours, et en janvier 1928 le compositeur devient le premier artiste français à embarquer (à bord du SS France) pour une tournée aux 🇺🇸 Etats-Unis. Article de presse à ce sujet ⬇️

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Le morceau est très vite diffusé sur les radios et le succès est tel qu'on veut y ajouter des paroles pour en faire un chant populaire (au sens pop du terme), chose qui sera faite seulement 22 ans plus tard.

 

Mais le réel 1er phénomène français outre-Atlantique n'est autre que Maurice Chevalier. Certainement l'acteur français ayant rencontré le plus grand succès de l'histoire à Hollywood avec entre autres 2 nominations aux Oscars, Chevalier connaît également un fort succès sur les ondes grâce à son accent parisien forcé et son air à la fois débonnaire et charmant. 

Entre 1929 et 1932 (sa "première carrière hollywoodienne"), Chevalier va enregistrer 7 hits top-20, dont 3 top-10 et le tube Louise #03e des charts, qui restera présent dans le top-10 durant tout l'été 1929.

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Le phénomène est lancé et avec lui une image bien précise du Français typique : son accent prononcé, son charme, son chapeau et son nœud papillon.

 

Côté artistes féminines, ce sont les chanteuses de cabaret qui s'exportent le mieux : dans un premier temps Mistinguett (qui formera un couple mystérieux avec Chevalier) puis très vite Joséphine Baker malgré des débuts difficiles, mais surtout, celle qui se démarque le plus d'un point de vue musical, Lucienne Boyer, qui, en 1934, obtient 2 hits top-10 simultanés :

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Elle fait sensation plus que quiconque à cette époque, notamment grâce à ses longues robes Lavin devenues depuis cultes.

Et, à l'instar de leur homologue masculin sur le grand écran, ces icônes des cabarets construisent au cours de leurs représentations sur scène une image précise de la femme française : élégante, charmeuse, sensuelle.

Mais la 2nd guerre mondiale ne tarde pas à arriver, et très vite la "pre-rock era" touche à sa fin.

 

Les années 1950 - le phénomène Piaf :

 

Du temps que Chevalier est temporairement interdit d'entrer sur le sol américain suite à ses accusations de collaboration, Piaf, elle, est très vite blanchie de tout soupçon et continue son ascension fulgurante.

A cette époque elle est déjà une star dans l'Europe toute entière, c'est donc tout naturellement qu'en 1947 on lui propose de tenter sa chance aux USA, à la Playhouse de New-York (lieu réputé pour attirer un public aux origines françaises). Elle embarque le 9 octobre 1947 sur le Queen Elizabeth pour une 1re date prévue le 30 de ce mois-ci.

On voit les choses en grand : Billboard communique instantanément sur l'évènement et le spectacle est baptisé "Édith Piaf and Her Continental Entertainers".

Et contrairement ce à quoi on pourrait croire, le succès est loin d'être immédiat : Edith Piaf déçoit dans un premier temps ; elle est petite, porte une longue robe noire, ne cherche aucunement à "faire le show", et chante des chansons tristes. Bref, c'est l'inverse complet de la femme française exubérante et glamour des années 20. A la place, on s'intéresse plus à ses petits protégés, Les Compagnons de la Chanson, qui eux se rapprochent bien plus du "cliché du bon Français" à la Maurice Chevalier.

A ce moment là il est même question que Piaf rentre seule en France, laissant sa troupe triompher aux US loin d'elle.

Exemple d'un critique mitigée publiée dans le Daily News ⬇️

Révélation

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On fait directement la comparaison avec Lucienne Boyer, sa totale opposée.

Dans une autre critique, le New-York Times déplore lui son "manque de sens du spectacle" et son "air abattu". En bref, la Môme est éclipsée par sa troupe. 

Mais quelques semaines plus tard d'autres critiques surgissent pour prendre sa défense : Virgil Thomson rédige un article dithyrambique pour le NY Herald, tandis que Billboard aussi se prend de passion pour la chanteuse :

Révélation

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Article Billboard, novembre 1947.

D'ailleurs, Piaf a fait plusieurs fois référence à la critique de Virgin Thomson (que je ne suis pas parvenu à retrouver dans son intégralité), notamment dans une interview où elle a déclaré ‘Didn’t he [V. Thomson] say in his conclusion that if the American public let me go home after a failure I didn’t deserve, it would have demonstrated its incompetence and stupidity?’

 

Bref, quoiqu'il en soit on offre une seconde et dernière chance à Ms. Piaf, au Versailles cette fois-ci. Et l'accueil est bien plus chaleureux, même si son apparence fait toujours "défaut".

Révélation

 

First nights are usually poor barometers of future biz. However, for Edith Piaf's preem, business was so big (both shows) it can be assumed that the French singer is a pretty good draw, particularly with a class crowd that can understand French-or pretends it does. Miss Piaf isn't flashy or pretty by American standards. She has no glamour and even dresses plainly. What she lacks in sight values, tho, she more than makes up for with a delivery loaded with dramatic import. Her voice, comparatively small, has an intimate quality hard to resist. Despite her continued use of the French lyrics, her gestures command attention even from those who can't understand the words. Bits of biz consist of under rather than overacting. When she does a blues (she explains each song in broken Eng- lish), her misery is so well presented there's no mistaking her meaning. The same thing is true of the rest of her numbers.
- Billboard, 1948

 

 

Piaf est désormais alors 3,5K $/ soir au Versailles, une fortune pour l'époque. Ses cachets monteront jusqu'à 12K$ par concert à son apogée.

Mais il manque à la chanteuse un petit détail pour couronner sa carrière : un tube mondial. C'est alors qu'en 1949 elle ramène avec elle un titre alors peu connu de son répertoire; La vie en Rose, et décide de le chanter en anglais. Le public adore, et, en 1950, elle l'enregistre officiellement pour le marché US. 

Malgré l'accueil chaleureux du public, Billboard, qui auparavant avait plutôt soutenu la chanteuse, décide de détruire le morceau dans sa critique du 16 septembre 1950 :

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40/100 pour La vie en Rose, 35/100 pour Les Trois Cloches, ce sont les 2 seuls morceaux obtenant une note inférieur à 65 cette semaine là : un flop. 

Mais au final peu importe : le morceau est déjà un hit à en devenir, le public Américain est conquit, et, exactement 14 jours seulement plus tard, le 30 septembre 1950, Billboard dédie une page complète au succès de la chanteuse en titrant sobrement "America Adopts Edith Piaf".

Une 1re, même Chevalier n'avait pas eu le droit à une telle mise en avant.

Révélation

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"America adopts Edith Piaf" - Billboard, 30 septembre 1950

 

Forte de ce succès, sa maison de disques décide de publier 3 albums studios : Chansons Parisiennes, Edith Piaf Sings et Edith Piaf Sings, Vol. 2.

Et 5 mois plus tard, dans un article traitant des ventes d'albums internationaux, Billboard déclare que les derniers albums d'Edith Piaf ont surpassé les 100,000 exemplaires aux 🇺🇸 USA, là où la moyenne habituelle s'élève à 1,000 - 2,000 exemplaires pour des albums de ce type.

Dans le même numéro, Billboard souligne l'impact de Piaf sur l'intérêt que vouent les directeurs de clubs new-yorkais sur les artistes français (l'article cite notamment Line Renaud, qui lancera sa carrière aux US 1 an plus tard avec Mademoiselle from Armentières, bien aidée par le phénomène Piaf).

Révélation

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Forte de ce succès commercial, Piaf apparait alors pour la 1re fois au Ed Sullivan Show (1re émission de variété à l'époque) en septembre 1952 où elle chatera Padam, Padam. Elle apparaitra 1 fois par an sur l'émission de 1952 à 1959 pour un total de 8 représentations en direct.

Même si Edith Piaf est l'artiste d'un unique tube aux USA et que l'arrivée de Presley va précipiter son obsolescence, son nom conserve un certain prestige, et jusqu'à son décès, ses nouvelles sorties seront mises en avant par le biais d'une critique détaillée chez Billboard.

Plus d'une dizaine de ses albums seront passés en revue, aucun de ceux d'Aznavour ou Hardy n'auront ce privilège par exemple.

 

Enfin, on en croit le "Book of Golden Record", Edith Piaf c'est 40 millions de disques vendus jusqu'en 1983 (contre 12m pour Aznavour). 

Et sinon, pour terminer ce (bien trop long) poste, la fin des années 50 marquent le retour en grande pompe de Maurice Chevalier : celui-ci se fait connaître auprès d'un nouveau public plus jeune avec son film Gigi (sa dernière grande apparition sur le grand écran), dont la B.O. (signée Chevalier) va passer 10 semaines non-consécutives #1 du Billboard 200 pour un total de 78 semaines de présence et 1 million de copies vendues.

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il y a 19 minutes, Rell a dit :

Ton post est passionnant, merci beaucoup !

En revanche, aucune des images de ne s'affiche.

 

Je vois que celle sur La Marseillaise ne s'affiche pas, mais pour les autres je les vois perso?

Peut-être que comme ça, ça marche :

 

La critique de Billboard sur La Vie en Rose:

Révélation

 

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Au cas où ça s'affiche toujours pas : 

Notes La Vie en Rose : 35-40-45 -> Note finale 40/100

"La Piaf's attempt to render the tune in English is catastrophic. Without the Gallic charm, she only sounds hoarse and hopeless instead of hoarse and bewitching"

 

Notes The Three Bells : 30-35-40 -> Note finale 35/100

"Same sad story."

 

 

 

"Chart-History" de Maurice Chevalier aux US entre 1929 et 1932:

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8.6.29: #3 Louise - 10 semaines

20.7.29: #15 My Love Parade - 4 semaines

5.31.30: #12 You Brought A New Kind Of Love To Me - 4 semaines

3.1.31: #12 My Ideal - 4 semaines

8.29.31: #18 Mama Inez - 1 semaine

8.6.31: #9 Mimi - 6 semaines

 

De même pour Lucienne Boyer:

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24.11.34: #2 Hands Across The Table - 10 semaines

8.12.34: #5 Parlez-Moi D'amour - 5 semaines

 

Article de presse sur l'arrivée de Maurice Chevalier aux US:

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Le "America Adopts Edith Piaf":

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L'article sur les 100K ventes pour les albums de Piaf :

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Sales-wise, the diskery reports that a sale of 1,000 or 2,000 copies of a record in some languages is considered good, altho Edith Piaf, originally an international artist, has gone over 100,000.

 

L'article du Daily News qui la compare à Lucienne Boyer :

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She has a big, brassy voice like Ethel Merman's, a careless hairdo, a simple dress, big blue eyes and a big red mouth. She sings French songs mostly, but here and there a verse in English. Mlle Piaf, who grew up as a street singer, affects none of the cooing of a Lucienne Boyer (...). She stands smack in the middle of a bare stage on two stocky legs and gives forth. 

 

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Oui, ça marche, mille mercis !

Avant 1991 et l'arrivée de Soundscan, il me semble que les ventes étaient estimées à partir de points de vente essentiellement situés dans les grandes villes US, d'où La surreprésentation des artistes pop-rock et la sous-représentation des autres styles, moins populaires, du easy-listening à la country. Pour cette raison, est-ce que l'on peut imaginer que des artistes de chanson française traditionnelle, comme Aznavour ou Mireille Mathieu, ont plus vendu aux USA dans les 60's-70's que ce que leurs chart-runs laissent entendre ? Par exemple, pour Mireille Mathieu, elle a publié beaucoup d'albums aux USA dans les 70s, mais un seul est rentré dans le BB200 (me semble-t-il). Pour Aznavour, aucun de ses albums ne s'est classé dans le Billboard (même pas dans des classements World ou Classical, comme Piaf ou Mouskouri) alors qu'il a beaucoup, beaucoup chanté aux USA, lors de nombreuses tournées, des années 50 aux années 90.

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il y a 7 minutes, Rell a dit :

Oui, ça marche, mille mercis !

Avant 1991 et l'arrivée de Soundscan, il me semble que les ventes étaient estimées à partir de points de vente essentiellement situés dans les grandes villes US, d'où ma surreprésentation des artistes pop-rock et la sous-représentation des autres styles, moins populaires, du easy-listening à la country. Pour cette raison, est-ce que l'on peut imaginer que des artistes de chanson française traditionnelle, comme Aznavour ou Mireille Mathieu, ont plus vendu aux USA dans les 60's-70's que ce que leurs chart-runs laissent entendre ? Par exemple, pour Mireille Mathieu, elle a publié beaucoup d'albums aux USA dans les 70s, mais un seul est rentré dans le BB200 (me semble-t-il). Pour Aznavour, aucun de ses albums ne s'est classé dans le Billboard (même pas dans des classements World ou Classical, comme Piaf ou Mouskouri) alors qu'il a beaucoup, beaucoup chanté aux USA, lors de nombreuses tournées, des années 50 aux années 90.

 

Oui c'est vrai, d'ailleurs pendant longtemps Cashbox fournissait aussi des classements (avec des panels relativement différent je pense, ce qui explique les différences qu'on pouvait remarquer entre les 2).

J'ai trouvé aucune donnée exacte sur les ventes d'Aznavour aux US, mais MJD a fait un article sur un artiste brésilien à succès dans les années 60s-70s (Roberto Carlos) qui lui non plus n'a jamais enregistré aucune entré dans des classements Billboard, mais qui lui aussi a toujours réalisé des tournées là-bas et a eu un "succès d'estime" au même titre qu'Aznavour, et ses ventes d'albums aux US sont bien plus importantes qu'on ne portait le croire en regardant ses charts-run (4 albums au-dessus des 100K exemplaires et des ventes surpassant constamment les 50K par disques durant les 70s pour un total de 2,463 millions d'albums vendus dans le pays, et ce, sans aucune entrée dans un classement Billboard de sa carrière).

Et ça doit sûrement être pareil pour ces artistes français qui n'ont pas eu un succès suffisamment populaire pour intégrer les Billboard 200 & Hot 100, mais qui ont sûrement toujours eu un public de niche fidèle pour acheter leurs albums/venir les voir en concerts. 

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