Aller au contenu

Charlotte Gainsbourg - REST - 17 novembre 2017


 Derf

Messages recommandés

Bon, le nouvel album ce n'est à priori pas pour tout de suite...

 

En couverture des Inrocks avec Daho, Triet et Albarn :

 

opsv.jpg

 

 

Cette année, Charlotte Gainsbourg a enfin pu ouvrir la maison de son père au public, un projet de longue date qui dit beaucoup de sa relation avec ses parents. Elle nous raconte comment la création permet de s'échapper du quotidien, ce que signifie être artiste aujourd'hui et ses espoirs pour l'avenir.

 

Vous avez vu Anatomie d'une chute de Justine Triet ?

Charlotte Gainsbourg -Oui, j'ai adoré ! Je ne suis pas entrée dedans immédiatement, il m'a fallu du temps. J'ai adoré le personnage de la mère, comme celui de l'enfant. C'est évidemment le scénario mais… je ne sais pas comment elle a dosé les choses pour qu'on fasse le chemin avec le film.

On a un a priori sur cette femme et Justine Triet nous fait basculer. C'est génial dans la mise en scène. On y est allés en famille avec Yvan, ma grande fille de 20 ans, Alice, et Joe, ma petite de 12. Au début, je me suis dit : “Mais putain, qu'est-ce que c'est que ce truc ?”, et en fait, on a tous adoré. C'est génial quand quelque chose est aussi fédérateur. J'ai adoré son film mais je ne connaissais pas son cinéma… J'ai honte.

Ça vous a questionnée de savoir si la mère était vraiment innocente ou non ?

On se pose la question, mais ce n'est pas ce que je retiens.

Plutôt l'amour du fils pour sa mère… mais chacun voit midi à sa porte. [rires] On a un parti pris pour elle, qui est tellement accablée… Je pense que Justine a pris ce parti de montrer un acharnement. Au départ, je ne comprenais pas cette femme, puis j'étais complètement avec elle, et le petit. On n'est pas avec les autres.

Quel album vous a marquée cette année ?

Mr. Morale & the Big Steppers de Kendrick Lamar. Enfin, est-il de 2023 ? [il est sorti en 2022] Je suis une grande fan de lui donc peu importe ce qu'il fait, je serai fan. Je ne suis pas du tout du genre à savoir ce que j'aime immédiatement.

Il me faut plein d'écoutes. Mais plein, plein. Je ne suis pas spontanée en musique. Je le suis dans la vie avec des projets, mais pas avec la musique. Je me suis éprise du rap au-dessus de tout, de Kendrick mais aussi de Kanye West. Le rap basique, je m'en fous, mais Kanye, Kendrick ou Frank Ocean apportent musicalement quelque chose de tellement innovant, éclectique. Ils vont chercher des ambiances dans le cinéma... Ce ne sont pas que des super-textes et un rythme. Ce n'est pas mon monde, mais je m'autorise à aimer.

Un débat, une question qui vous a intéressée cette année ?

Je travaillais sur un album - que je n'ai d'ailleurs toujours pas fini et qui ne sortira peut-être jamais...Donc je travaillais dessus aux États-Unis, et la personne avec qui je travaillais m'a dit : “Ah non ça, tu ne peux pas, c'est de la musique trop noire. ”

Mais c'est ce que mon père a fait toute sa vie, aller piocher dans d'autres musiques. Ce n'est pas s'approprier une culture mais s'en inspirer pour l'emmener vers autre chose.

Évidemment que je ne vais pas me mettre à rapper ! Mais j'étais hyper-choquée que cette personne, qui n'était pas noire, me déconseille de le faire, par peur. Je pense qu'on vit dans la peur aujourd'hui. Tout le monde a la trouille. La parole des femmes s'est ouverte parce que la justice ne faisait pas son travail, donc heureusement que ces femmes ont eu le courage de parler, et c'est grâce à elles que d'autres ont pu parler.

Le chemin parcouru est dément et ne doit pas être remis en question. Des femmes s'expriment par le biais de médias car la police et la justice ne sont pas au rendez-vous. Mais par exemple, la série de Nicolas Bedos dans laquelle j'ai joué a été complètement jetée à la poubelle suite aux accusations portées contre lui. Alors qu'il y a Nicolas Bedos, mais il y a aussi toute une équipe qui a travaillé sur cette série… Ça devient compliqué de tout faire sanctionner par l'opinion publique.

Vous vous sentez limitée dans votre expression artistique ?

C'est bien de s'exprimer aussi, d'aller trop loin, dans une certaine mesure, je veux dire.

C'est quand même là-dedans que l'art s'exprime. Je n'ai pas de grandes théories sur l'art mais si on a tous la trouille, on ne va plus parler de rien. J'ai envie de voir le film de Scorsese parce qu'il a employé des acteurs osages pour défendre leur cause…

Mais de là à dire qu'un acteur catholique ne peut pas jouer un Juif par exemple… Ce n'est pas possible, ce n'est plus notre métier. Moi je ne me considère pas comme une artiste, mais si les artistes ne doivent plus rien inventer et être réduits à ce qu'ils sont et savent faire pour ne pas déranger, c'est ennuyeux.

Pourquoi n'êtes-vous pas artiste ?

Je trouve ça prétentieux. Mon grand-père, du côté de ma mère, se foutait de la gueule de ma grand-mère parce qu'elle était actrice de théâtre donc un peu maniérée ; lui était peintre, mais pour son plaisir personnel.

Il disait donc : “I too am an artist. ” Comme c'était hyper-péjoratif pour lui, ça l'est devenu pour moi ! J'ai eu du mal à assumer mes différentes casquettes. Je ne suis pas musicienne, ni chanteuse. Je peux porter la casquette d'actrice parce que je fais ça depuis longtemps… je suis à l'aise sur un plateau.

Mais si j'étais vraiment actrice, je pourrais donner des cours. Or, ma manière de faire, c'est ce que m'a appris Lars [Von Trier], qui a été un mentor pour moi. J'ai appris plein de trucs grâce à plein de gens, mais il y a eu un avant et un après-Lars. Il m'a fait comprendre que ce sont les accidents qui forment de petits moments de vérité et font une partition, ce que me disait aussi mon père pour la musique. Moi, c'est ce que je cherche et ce que j'aime. Les moments incontrôlés. J'aime être mise en position de dérapage ou de mal-être. Pas trop, sinon je retombe dans des petits réflexes de timidité et ça n'a aucun intérêt.

Mais le déséquilibre, c'est ça le plus intéressant : des moments qui nous échappent. Si on est juste un très bon acteur qui sait bien dire son texte… Ce n'est pas ce que j'admire. Meryl Streep par exemple est une virtuose, elle connaît tout et sait maîtriser, mais il y a une part de délire… Comme chez Cate Blanchett. Ce sont des actrices qui contrôlent tellement…

Là, on peut parler d'art. Elles maîtrisent leur instrument. Je ne fais pas partie de cette catégorie et ça ne me dérange pas.

Vous avez enfin ouvert la Maison Gainsbourg en septembre, après avoir porté le projet pendant des années… Maintenant que c'est fait, que des gens y vont et y viennent, comment vous sentez-vous ?

Ça fait des années que je veux ouvrir cette maison, par amour presque professionnel pour mon père. Ce qui m'a le plus surprise et touchée, c'est que des gens me disent que ce n'est pas seulement la maison de Serge Gainsbourg, c'est aussi la maison d'une fille qui regarde son père et a de l'amour pour lui. Ce qui m'a également touchée, c'est que ça se rapprochait de mon film sur ma mère. On m'avait également dit à propos de lui que c'est un film sur Jane Birkin, mais aussi une déclaration d'amour d'une fille à sa mère. J'ai fait ça de manière très égoïste, comme tout ce que je fais, et le fait que ça parle quand même aux gens, c'est vraiment émouvant.

Tout le monde n'a pas mes parents mais tout le monde a des parents. Quand on sort un film, les gens disent qu'ils ont aimé, ça fait plaisir, mais autant pour la maison que pour le doc sur ma mère, ça m'a fait un effet trop intime, trop douloureux et, à la fois, je n'ai jamais ressenti autant de bienveillance de la part des gens.

Vous acceptez de parler de vos parents, de faire des choses sur eux et de ne pas couper le cordon…

Je l'ai fait, ça. Dès que j'ai eu 12 ans, que j'ai commencé à jouer, j'ai pris un chemin sans mes parents. À chaque fois qu'on me parlait d'eux, je me transformais en mur. À l'époque, je n'avais pas fait grand-chose, et ce qui intéressait les médias, c'étaient mes parents. Je le savais et ça me soûlait. Comme une ado en révolte, je refusais tout en bloc. J'avais 19 ans quand mon père est mort et quand je sortais un film, on ne me parlait que de lui. Je me suis fermée encore plus. Je n'ai plus du tout parlé de lui, sauf à l'étranger. Ils le connaissaient moins. C'est comme si en France, je n'avais rien à apprendre aux Français sur mon père. Si c'était pour parler de mon intimité, je trouvais ça gênant d'impudeur. Je trouvais ça bien de le faire connaître aux étrangers, même si les Américains aimaient surtout le côté sulfureux. C'est ça qui les intéressait. J'acceptais - je suis plus tolérante avec les étrangers qu'avec les Français. Avec le film sur ma mère, j'ai eu beaucoup d'impudeur, mais j'étais tellement heureuse que je me suis fait plaisir, et ce plaisir passait par quelque chose que je ne m'étais pas autorisé avant. Le musée, c'est pareil, une façon d'être horriblement impudique tout en gardant le contrôle. C'est mon projet, comme le film sur ma mère [ Jane par Charlotte, 2021] . Je me souviens du film de Varda sur ma mère ; même si j'adore Varda, j'étais en pleine adolescence et je ne supportais pas qu'on entre dans notre intimité. Ça me dérangeait énormément. J'ai mûri, je pense.

Quand mon père est mort, tout le monde se l'est approprié, alors que moi je souffrais d'une perte immense. Ça m'a pris dix, quinze ans pour remonter et me refaire. Les gens témoignaient d'un amour pour lui qui m'était insupportable.

Ils s'adressaient à moi comme s'il n'était pas mon père. Ils n'avaient aucun tact, pouvant me dire : “J'ai vu votre père deux jours avant qu'il ne meure. ” Aujourd'hui, j'ai la place pour l'amour que les gens veulent me témoigner. Je suis reconnaissante. Pour ma mère, on a organisé une cérémonie terriblement éprouvante, mais on a laissé la place aux gens de venir. C'était une célébration. Pour mon père… il ne s'est rien passé. On a fait ça presque en catimini, à Montparnasse.

C’était d’une tristesse…

Qu'est-ce qui vous a donné de l'enthousiasme, cette année ?

La création, c'est quand même quelque chose qui donne une excitation, qui fait oublier le monde... un peu, même si on crée en fonction de ce qui nous entoure. J'ai un niveau de création minime, et je ne suis pas une porte-parole, je ne vais pas écrire sur la guerre ou la société. Mais ces petits moments où plus rien n'existe, où je dessine par exemple, ce sont des moments non pas de transe, car ce serait prétentieux, mais d'oubli.

Presque de méditation. Comme quand on joue une scène, ou qu'on est derrière un micro. On a une concentration qui dure quelques minutes, mais qui est une parenthèse.

Ce sont les seuls moments d'espoir. Sinon, c'est assez noir…

Et cet album que vous ne terminez pas ?

À chaque fois que je dis que je vais faire un truc, ça ne se fait pas. Je suis horriblement superstitieuse. Pour la première fois, j'ai parlé concrètement de l'album que je faisais, en disant que j'avais presque terminé et en fait… Il est très avancé mais interminable. Je l'ai commencé au début du Covid-19, il y a quatre ans. Il ne se finit pas, je l'aime beaucoup mais il ne se finit pas. Et j'en commence un autre… Je fais des tentatives mais sans être certaine du devenir. Ce n'est pas grave.

J'aime le processus de travail, plus que la chose faite. Mais j'adorerais partir en tournée. J'ai eu une tellement belle expérience… J'ai vécu ça comme un cauchemar au début.

C'était horrible. J'essayais de me persuader que c'était un truc obligatoire. Mais c'est normal aussi, il fallait que j'apprenne à me connaître. Avec la musique, le truc, c'est que je n'ai toujours pas ma voix. Sur scène, je me bats car mon niveau de voix est compliqué. D'autant que j'aime que ce soit costaud musicalement. Je n'ai pas trouvé la bonne alchimie, et je ne peux pas improviser, il faut que ce soit hyper-travaillé. Je ne suis pas de ces chanteuses qui ont une voix et n'ont besoin de rien.

Une rencontre qui vous a marquée cette année ?

J'ai un projet.... je ne devrais pas dire ça, ça ne va pas se faire ! Enfin il y a un artiste que j'adore, c'est Philippe Parreno.

Il m'amène vers une sphère que je ne connais pas. Je suis très curieuse et très paresseuse, donc il faut vraiment m'amener... Au départ, j'avais tendance à me dire que l'art contemporain, je n'y arrivais pas. Je n'avais pas une culture suffisamment forte pour y avoir accès. Je me sentais dépassée. Dès qu'il y a une porte d'entrée, c'est plus intéressant pour moi, je peux m'immiscer facilement. L'autre rencontre c'est le milieu médical, auquel j'ai eu affaire 24 h/24 avec la maladie et la mort de ma mère. Des infirmiers et infirmières, des aides à domicile... leur dévotion... Moi j'ai une passion qui me permet de très bien gagner ma vie. Eux, ce sont des gens qui ne la gagnent pas du tout avec des métiers qui eux aussi les passionnent. On a oublié ce que c'était, cette dévotion-là.

On met la mort de côté, comme la maladie.

Que pensez-vous de TikTok ?

Je ne veux pas rentrer dans ce truc. À vrai dire, je ne sais même pas ce que c'est vraiment. J'avais l'impression que c'étaient des danses, mais j'ai le sentiment, avec Le Consentement qui a décollé grâce à TikTok, que c'est plus que des danses, non ? Ça parle aussi ? C'est quoi par rapport à Instagram ? Moi je poste sur Instagram pour mon plaisir. C'est ma mère qui m'avait dit, d'un air hyper-déçu : “Oh, ça ne te ressemble pas du tout, ça. ” [rires] C'était horrible car j'ai compris que j'étais vendue.

C'est la maison de disques qui m'a dit que j'avais besoin d'être sur Instagram pour la tournée, les disques, que tous les artistes y étaient. J'ai donc commencé timidement et je me suis prise au jeu. Ce sont des plaisirs un peu honteux. Je ne regarde pas les infos sur Instagram. Je ne veux pas me fier à cette appli.

Mais sinon, je regarde des vidéos de recettes. [rires] Les profils qui apparaissent, et c'est quand même horrible, ce sont ceux des fils et filles de… je ne les suis pas mais Instagram doit savoir que j'en fais partie ! Ils me proposent Chiara [Mastroianni] par exemple. Ils nous regroupent !

J'ai aussi beaucoup d'actrices comme Sophie Marceau, Vanessa Paradis… je les adore, mais je ne les suis pas !

C'est quand même vachement bizarre qu'on me les suggère. Sinon, on me propose des chiens et des bébés.

Qu'espérez-vous pour 2024 ?

J'espère de l'apaisement. Je ne veux pas dire la paix, ça serait un peu idiot… mais de l'apaisement. Ça parle à tous les domaines. Même un apaisement culturel… moins d'inquiétude. Moins de peur. Pour provoquer un peu d'étincelles culturelles.

Texte Carole Boinet - Photo Charlotte Abramow pour Les Inrockuptibles
  • Like 3
  • Thanks 2
Lien vers le commentaire

J'aime cette fille de façon totalement déraisonnée et sans aucune objectivité. Qu'elle sorte ses chansons, même s'il y en a trop : sa discographie est juste parfaite et "REST" un chef d'oeuvre.

 

Et "Alphonse" est une excellente série, sacrifiée par principe : c'est tellement dommage.

  • Like 3
  • Thanks 1
Lien vers le commentaire
  • Membres qui parcourent ce sujet   0 membres

    • Aucun utilisateur enregistré regarde cette page.
×
×
  • Créer...