vendredi 17 mai 2013 18:00

Anggun : "J'ai peut-être commis trop de péchés pour chanter dans une église"

Un an après sa défaite à Bakou, en Azerbaidjan, où elle représentait la France au Concours de l'Eurovision, Anggun est de retour avec un projet original, enregistré avec d'autres artistes tels que Les Stentors, Natasha St-Pier, Sonia Lacen et Elisa Tovati. "Thérèse, Vivre d'amour", un album sorti fin avril et qui rencontre déjà un grand succès, reprend des poèmes de Sainte-Thérèse de Lisieux mis en musique par Grégoire, sous l'impulsion de Roberto Ciurleo. L'interprète de "La neige au Sahara", de confession musulmane, se confie au sujet de sa participation à ce projet, évoque sa vie de femme et de mère, mais également sa carrière, menée de front en Asie, en Amérique et en Europe.
Crédits photo : Sylvie Benoit
Propos recueillis par Jonathan Hamard

On s’est croisé l’an dernier, pour parler de votre participation à l’Eurovision. Cette année, vous êtes de retour avec un projet totalement différent, plus profond diront certains, l’album "Thérèse, Vivre d’amour". Qu’est-ce qui a motivé votre participation ? Quelle a été votre première réaction lorsqu’on est venu pour vous proposer de chanter les poèmes de Sainte Thérèse de Lisieux ?
Anggun : J’ai tout de suite voulu écouter les chansons. Je ne suis pas catholique. Je suis musulmane. Je ne connaissais pas du tout Thérèse avant qu’on me parle de ce projet. A la lecture des textes, et en écoutant les chansons, je n’ai pas senti de forte connotation religieuse. Parce que c’est ce qui me faisait peur. J’avais peur aussi qu’on prenne les choses pour ce qu’elles ne sont pas. En fait, j’ai trouvé que les textes étaient d'une incroyable modernité. On ne se rend pas vraiment compte que ce sont des textes qui ont été écrits il y a plus de cent ans, et qui plus est avec la plume d’une jeune religieuse. Il y a différents niveaux de lecture dans ses poèmes. Elle écrivait tout simplement sur Dieu, sur son amour pour Dieu et pour Jésus.

« L'Islam, c’est une très belle religion qui prêche la tolérance »
Vous chantez d’ailleurs cet amour pour Jésus dans le titre "La Fiancée".
Oui. Je chante deux chansons sur cet album. Il y a "Vivre d’amour" et "La Fiancée". Dans la deuxième, Thérèse parle quand même de donner sa vie à Jésus. Si je ne connaissais pas sa vie, si je ne savais pas qu’elle avait été canonisée, qu’elle était entrée au carmel quand elle n’avait que quatorze ans, je pourrais tout à fait penser qu’il s’agit d’une lettre d’amour. C’est ça la force d’un beau texte ! Au-delà de la dimension religieuse, il y a surtout une émotion spirituelle et universelle. L’amour, c’est un sujet intemporel et très vaste, qu’on chante encore aujourd’hui.

L’Indonésie est le premier foyer musulman du monde. Vous êtes de confession musulmane et vous chantez les poèmes d’une Sainte française. Pour certains, ça peut être dérangeant, ambigu…
Oui, mais malheureusement, on voit en France une petite partie de ce qu’est l’Islam. Beaucoup le voient comme une religion de terreur, qui fait peur. Alors que c’est une très belle religion qui prêche la tolérance. Et ça, on ne l’entend pas souvent. Moi, je m’habille comme je veux. Les Indonésiennes s’habillent comme moi et le port du voile est interdit à l’école. Sauf dans les écoles coraniques ! L’Indonésie, c’est le plus grand pays musulman du monde, certes, mais on a eu une présidente alors que dans un pays aussi "avancé" que la France, on n’est pas prêt pour ça (sourire). J’ai passé dix ans de ma vie dans une école catholique au cours de ma jeunesse, avec les bonnes sœurs. Je suis allée chanter pour les deux papes au Vatican. Et puis, sur ce projet, il y a aussi Sonia Lacen qui est musulmane et Elisa Tovati qui est juive. Ça prouve que, bien que l’on soit de confession différente, le message de Thérèse a su nous toucher. On ne peut pas ne pas être touché.

Avec ce projet, avez-vous vu évoluer votre manière d’appréhender la religion, et même la foi ?
Ce qui me frappe surtout, c’est de savoir qu’elle a vécu une vie très triste, tellement compliquée… Perdre sa mère à quatre ans, c’est compliqué pour une petite fille. Elle a suivi le parcours de ses sœurs qui l’ont élevée. C’est pour ça qu’elle est entrée dans un couvent à l’âge de quatorze ans. Elle a demandé à voir le pape pour pouvoir entrer au carmel car elle était trop jeune. Et le Pape lui a donné raison. Pour quelqu’un qui a dû beaucoup manquer d’amour, et notamment d’amour maternel, je trouve ça fou qu’elle ait décidé de consacrer sa vie aux autres. C’est une vraie preuve de générosité, d’amour pour son prochain. Est-ce que, de nos jours, on est capable de refaire ce que Thérèse a fait ? Est-ce qu’on est capable de donner autant ? Peut-être pas ! Malheureusement. C’est pour ça que c’était important pour moi de participer à ce projet. Car c’est rappeler ce qui est important. Je trouve que "Thérèse, Vivre d’amour", c'est un album qui fait vraiment du bien. Je ne sais pas si aujourd’hui beaucoup de gens écoutent les albums comme moi je le fais. Je décortique les textes, les crédits, les livrets...

« Je ne suis pas qu’une femme, je suis aussi une mère »
Aujourd’hui, on télécharge sur des plateformes un simple fichier...
Alors que moi je suis d’une génération ou j’ai grandi avec le matériel entre les mains (sourire). Une époque où on partageait la musique. Je me souviens que mon père savait exactement ce que j’écoutais. Je trouve qu’on a maintenant une approche très individuelle de la musique. On écoute avec des casques ! J’ai un beau-fils de 17 ans. On ne partage pas la musique parce que je ne sais pas ce qu’il écoute. Il ne sait pas qui est le guitariste de tel ou tel groupe. Alors que je me souviens de chacun des membres de Bon Jovi, Mettalica (rires)… Je regardais même le nom des studios et des ingés sons. Ce n’est pas une information qui est vraiment intéressante mais, pour moi, c’est ça qui est important. Aujourd’hui, c’est totalement différent. On peut simplement acheter une chanson en téléchargement, sans s’occuper du reste de l’album, de savoir qui a travaillé dessus et qui joue la partie de guitare… Au détriment de l’histoire que raconte cet album ! C’est le cas pour "Thérèse, Vivre d’amour". Ce n’est pas seulement le duo que je partage avec Natasha St-Pier, c’est l’amour de Thérèse.

Pour partager cette musique, c’est une tournée des églises qui est en préparation. Serez-vous de la partie ?
Je ne sais pas encore. Mon emploi du temps est très chargé. Et puis, je n’ai jamais chanté dans une église. Je trouve ça très intimidant (sourire).

C’est quelque chose qui pourrait vous rebuter ?
Je me rappelle y avoir chanté quand j’étais petite, à l’école. Mais c’est loin (sourire) ! Acoustiquement parlant, ça doit être quelque chose. Il doit falloir équiper différemment le lieu. Le moindre son émis doit prendre une certaine dimension. Je pense que ça doit être agréable mais j’ai peut-être commis trop de péchés pour chanter dans une église (rires). Si je suis là, je tenterais bien.

Regardez le clip "Vivre d'amour" avec Natasha St-Pier et Anggun :



Pensez-vous que cet album puisse faire renouer une certaine frange de la population avec la religion, vue comme très rigide et rétrograde ?
Je ne peux que voir et sentir avec mon cœur de femme musulmane. On ne sait pas ce qui peut capter les gens. On ne sait pas ce qui peut retenir leur attention. Mais à partir du moment où nous-mêmes avons été touchés, on ne peut qu'espérer que les gens seront touchés de la même manière. A titre personnel, je pense qu’on a besoin de ce genre de message pour réaliser des choses de manière collective et laisser de côté cet aspect individualiste de notre société. Pour que notre société soit plus belle, plus juste.

« Si tout se passe bien, j’entre en studio l’année prochaine »
Ce n'est pas aussi votre sensibilité de mère qui parle ?
Sûrement. Tout est faussé chez moi maintenant. Je ne suis pas qu’une femme, je suis aussi une mère. Je ne suis pas qu’une femme, je suis aussi une chanteuse. Aussi une auteure-compositrice. Je ne fais plus vraiment la différence. Toutes ces identités font ce que je suis. L’important, c’est d’être attentif. De faire du bien aux autres. Et si possible de ne pas heurter qui que ce soit.

Votre emploi du temps est chargé. Et pas qu’en France ! Vous êtes également membre du jury de "X-Factor" en Indonésie. C'est une expérience qui vous plait ? Vous pensez renouveler sur une seconde saison ?
C’est vraiment super ! Je ne pensais pas que j’allais prendre autant de plaisir. En fait, ça faisait trois ans qu’ils me proposaient de rejoindre le jury de "X-Factor". Je n’avais pas envie d’être juge. Je ne voulais pas juger d’autres artistes. Et puis, on m’a expliqué que ce n’était pas que ça. "Tu es mentor" m’avait-on dit. On m’a expliqué que j’allais donner des conseils et travailler avec des jeunes talents. C’est-ce qui m’a fait changer d’avis. L’émission est diffusée tous les vendredis. Je pensais que j’allais être occupée les jeudis et vendredis. Mais pas du tout (sourire) ! En tant que mentor, j’avais trois chanteurs sous mon aile. Il faut réfléchir aux chansons, aux arrangements, au visuel. Je suis responsable de tout ce qui se passe sur scène. J’ai beaucoup de travail. Aujourd’hui, je suis en France. Mais en parallèle, il y a encore quelques minutes, j’étais sur Skype pour travailler avec mes élèves, leur donner des consignes sur les tenues qu’ils doivent porter.

« Je ne sais pas si on peut encore gagner l'Eurovision »
Ce n’est pas épuisant tous ces projets qui se superposent ? Les allers-retours ?
Si on voit les obstacles en tant que tel, oui, c’est du travail. Mais, ça va. Il y a pire !

D’autant que vous travaillez en parallèle sur d’autres disques, et notamment un best-of. Va-t-il sortir en France ?
Non. Je ne pense pas. En fait, c’est compliqué. Comme je mène différentes carrières dans plusieurs pays... Je mène parallèlement différents projets qui sortent chez les uns mais pas chez les autres. Il m’arrive de me mélanger les pinceaux. Ce best-of "Decade" sortira en Indonésie et dans plusieurs autres pays d’Asie. Mais pas en France. Après, au mois de juin, je dois partir au Canada pour assurer la promotion de mon dernier album "Echo" là-bas. Ensuite, je pars en Italie pour faire un album à quatre mains avec un artiste italien. On va partir en tournée. Et enfin, au milieu de l’année prochaine, je dois me consacrer à mon nouvel album français/anglais. Parce qu’à chaque fois, je le sors dans les deux langues. Si tout se passe bien, j’entre en studio l’année prochaine.

Crédits photo : Sylvie Benoit
Vous êtes restée discrète depuis le Concours de l’Eurovision l’an dernier. La défaite a été difficile à encaisser ?
La défaite, en elle-même, ne m’a pas blessée. En revanche, j’aurais tellement voulu apporter la victoire à la France. Mais, je sais malgré tout que l’équipe a fait de son mieux. Tout ce travail a été fait de manière juste. On était heureux et très motivés. Mais il y a tellement d’autres éléments qui entrent en ligne de compte. Des choses qu'on ne comprend pas. J’ai toujours dit en riant qu’il ne fallait pas voter pour la Suède. Parce que, avant même qu’elle monte sur scène, je savais que c’était elle. C’était la chanson ! Elle était top (sourire) !

« Le seul conseil que je donnerais à Amandine, c’est de prendre du plaisir »
Vous auriez presque voté pour elle...
Je ne conteste absolument pas la gagnante. Mais, après, quand je vois les numéros deux et trois, j’ai le sentiment qu’on ne parle pas de la même chose. Si on veut quelque chose de crédible, qu’on ne mette pas la Russie en numéro deux. Je trouve que la victoire de la Suède s’est fait polluer par la place de la Russie. Et la Turquie ! C’était mauvais, non ? Je ne regrette rien. Ça a été un honneur pour moi de vous représenter, alors que je ne suis pas d’ici. Je me suis totalement investie. Comme dans tout, du moment que j’y crois. J’ai été honnête. J’ai cru dans ma chanson. Je n’ai pas senti cet esprit de compétition entre les artistes, mais entre les délégations. C’est assez étrange. C’est un peu les Jeux Olympiques de la musique. Entre artistes, on s’est bien amusé.

Cette année, c’est Amandine Bourgeois qui représentera le drapeau tricolore. Si aujourd’hui vous deviez lui donner un conseil, quelque chose que vous auriez voulu faire mais que vous n’avez pas réussi à montrer, lequel serait-il ?
Je ne sais pas si on peut encore gagner l'Eurovision. Tout dépend de comment est aimé le pays à l’extérieur. Aimer la chanson, c’est une chose. Mais il faut aussi aimer le pays. Le seul conseil que je donnerais à Amandine, c’est de prendre du plaisir. De profiter pleinement de cette expérience.
Pour en savoir plus sur Natasha St-Pier, visitez son site officiel ou sa page Facebook.
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