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samedi 28 novembre 2020 12:26

David Hallyday en interview : "Je suis très inquiet pour la culture"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
A l'occasion de la sortie de son nouvel album "Imagine un monde", David Hallyday se confie en interview sur Pure Charts sur l'avenir du monde, son fils Cameron présent sur le disque, l'impact de la perte de son père, sa vision sans concession du fonctionnement de l'Etat et son inquiétude à propos de la culture en France. Entretien avec un artiste engagé.
Crédits photo : DR
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Comment vous abordez l'exercice de l'interview ?
On ne prend jamais l'habitude. Enfin si, le côté technique du truc... Après, ça dépend de l'interview. C'est comme si on me demandait : "Tu aimes aller au resto ?". Bah ça dépend du resto ! (Rires) Ce n'est pas mon exercice préféré mais je l'accepte. J'ai du mal à parler de moi personnellement, mais de parler de la société, de tout ce qui est humain, j'aime bien. Mais je n'ai pas l'impression que le monde attend après ce que je pense. C'est pour ça que parfois j'ai comme des réticences. Est-ce qu'on a besoin d'entendre mon avis ? Mais bon...

« On ne peut pas continuer comme ça »
Avec votre nouvel album "Imagine un monde", vous évoquez l'état du monde, l'avenir ou le vivre ensemble. Quand vous est venue l'idée, l'envie de parler de ces sujets on ne peut plus d'actualité ?
Ça fait longtemps que j'ai des convictions sur la chose. C'est vrai que le confinement a enfoncé le clou sur mon envie de raconter des choses, de parler de mes convictions, de comment je vois les choses, comment j'aimerais les voir pour ceux qui auraient envie d'entendre. C'est un album qui constate d'un moment, comme un polaroid. Je ne le voyais pas sortir dans un an et demi, deux ans. J'espère qu'on sera ailleurs dans deux ans. Alors tous les titres ne parlent pas de ça, ce n'est pas un album post-confinement, mais c'est un disque profondément humaniste, et qui pose des questions : Comment on peut mieux vivre ensemble ? Comment on fait pour se sortir de ce qu'on a construit et qui ne marche pas ?

Alors, comment on fait ?
Il n'y a pas de réponse à la question, mais il y a des questionnements humains. Mais on doit tous apprendre à faire les choses ensemble plutôt que d'être divisés. D'écouter ce qu'on nous raconte. Chacun doit avoir sa conscience et ressentir les choses. On ne peut pas continuer comme ça, avec le haut patronat, les gens qui nous dictent la pensée. On voit que ça ne marche pas. Et ce n'est pas la réalité. On a inventé un monde qui ne devrait pas exister dans l'univers. J'ai du mal à expliquer ce que je ressens... Mais ça ne fonctionne pas. On arrive au bout d'un truc, qu'on a construit, qu'on a laissé faire.

« Il faut retrouver la compassion, le côté humain »
C'était important pour vous de mettre l'humain en avant dans une période comme celle-ci, comme sur le single "Ensemble et maintenant" ?
Il faut retrouver la compassion, le côté humain, car je pense que l'humain est foncièrement bon. L'album parle de ça. Croire en l'être humain, qui est capable de protéger son environnement, les gens qu'il aime... On est capable de ça. D'être moins jaloux de la réussite, d'avoir une répartition des richesses plus équitable...

Être meilleur individuellement pour que tout aille mieux au global ?
Est-ce qu'on peut arranger à un monde meilleur en étant divisé comme ça ? Non ! Le temps que j'ai eu de ressentir toutes ces choses-là très fortement, encore plus qu'avant, m'a donné envie de parler de ça, à travers des images, des histoires évidemment.

Découvrez le clip "Ensemble et maintenant" de David Hallyday :



Je sens qu'au fond, vous parlez quand même de vous dans cet album...
Je parle des autres surtout...

« On va passer par des révoltes énormes »
Oui mais chanter l'avenir, qu'il y a des choses à faire, que ça va aller, c'est aussi une façon d'avancer pour vous personnellement, après votre précédent album très intime, même douloureux ?
Oui, c'était une période de ma vie. Un album, c'est toujours une période de vie. C'est notre vie à tous. On a l'impression qu'on vit dans des mondes séparés mais non, on vit tous les mêmes choses. Bien sûr, certains souffrent plus que d'autres. Malheureusement, la vie est faite comme ça. Mais il y a des choses qu'on peut acter dans un avenir proche. Et puis, surtout, le fonctionnement de l'Etat...

C'est à dire ?
Ce n'est pas parce qu'on fait des grandes écoles qu'on est capable de tout gérer. Ce n'est pas possible. Quand j'ai mal au ventre, je ne vais pas voir mon dentiste. On te dit des choses, mais ça n'existe pas ! Pour moi, tout ça, c'est le Moyen-Âge. Je vois qu'à travers les années qu'on va pouvoir réussir mais, malheureusement, on va passer par des révoltes énormes, des gens qui vont crever la dalle, perdre leur boulot. On y est déjà. C'est catastrophique. On va arriver à surmonter tout ça mais ça va prendre du temps. On l'a vu dans l'histoire, les grands changements sont nés de choses très difficiles. Il faut arriver à ce que ceux qui peuvent aider, aident plus. Les sociétés du CAC 40, il faut qu'il se passe quelque chose...

C'est un système qui a l'air bien en place et qui est visiblement là pour durer...
J'espère pas. S'il faut passer pas des révoltes énormes, il faudra passer par-là. Ça ne s'arrangera pas tout seul, c'est sûr... Il va y avoir des actes, je le ressens. On sait gueuler quand il faut mais on est assez pacifistes chez nous, et ce temps-là devient de plus en plus révolu. Le taux de tolérance... On dit que les choses changent quand on est vraiment dans le trou. Là, la société, on y est.

« On n'est pas nés égaux, ce n'est pas vrai »
Vous pensez que la solution doit forcément passer par la violence ?
Par la violence, non. Ce n'est pas tout casser, ce n'est pas ce que je veux dire. Peut-être une désobéissance, mais il va falloir qu'il se passe quelque chose. La violence pour l'état de violence, non. Mais quand quelqu'un crève la dalle, il devient méchant. Je pense, qu'au-delà de cette crise sanitaire, on a créé ça depuis longtemps. Et tout le monde s'en rend compte aujourd'hui. Le monde est inégal... On n'est pas nés égaux, ce n'est pas vrai. Mais il y a tellement de choses à réajuster.

Vous parliez de la réussite tout à l'heure...
C'est un très bon sujet. On le voit dans les différences de cultures. On traite la chose d'une façon différente, comme aux Etats-Unis, dans les pays anglo-saxons ou dans les pays nordiques, où, face à la réussite de quelqu'un, on se demande : « Comment il a fait pour en arriver là ? Car moi aussi je veux m'en sortir ». Il y a des exemples. En France notamment, on ne prend pas en compte la réussite des gens. Soit tu as volé, soit tu ne l'as pas mérité. Si tu te plantes, c'est de ta faute par contre. Je parle d'une réussite professionnelle, car la réussite dans la vie c'est autre chose. Se sortir de là en France, c'est difficile. On ne te laisse pas faire, on ne laisse pas les gens rêver.

Ecoutez la chanson "Hallucinogène" de David Hallyday :



« Je crois en l'être humain, vraiment »
Comment vous faites pour être optimiste alors ? Car vous l'êtes beaucoup sur l'album !
Je crois en l'être humain, vraiment. Je connais des gens absolument extraordinaires qui, pour moi, ont une sensibilité et une vision d'avenir. Dans la jeune génération, il y a des gens épatants. Les potes de mon fils, ils ont entre 14 et 16 ans, j'entends leurs conversations, et tout n'est pas ce qu'on entend tout le temps sur la jeunesse. Il y a de bonnes choses qui vont se passer. J'y crois parce que je le vois autour de moi.

Vous en parlez avec vos enfants de l'état du monde, de l'avenir ?
Ah oui ! J'apprends beaucoup de mes enfants. On n'a pas tout à leur apprendre. Ils m'apprennent leur vision des choses. Je suis resté jeune dans ma tête, ma génération on est quand même connecté, on a vécu avec les jeux vidéos, la bulle internet. Mais ils ont une intuition différente, c'est vachement intéressant. Ils sont au courant de beaucoup de choses, mon fils me montre des trucs que je ne connais même pas. Ils ont une nouvelle réflexion sur le monde, comme sur le rôle de l'Etat, qui va changer. Plus tard, on n'aura plus affaire je pense à des Ministres qui se croient capables de tout résoudre, de tout faire. On ne peut pas tout faire, on ne sait pas tout faire. On a ce qu'on mérite, ce qu'on a laissé faire. Quand on réalise ça, ça fait mal mais ça ne fonctionne pas, il faut que ça change. On ne peut pas continuer comme ça avec des gens qui crèvent et d'autres qui s'enrichissent énormément. On ne peut pas laisser crever les gens, c'est inhumain. Je le dis sous une forme humaine dans mon album.

Oui, comme sur "Suis tes rêves"...
Oui ! Avance vers ton but, deviens qui tu as envie d'être. Dans nos métiers, on considère les artistes comme des produits, ça fait un moment. Mais non, on est des humains, on a des sentiments. C'est comme les majors, ça va s'arrêter... C'est déjà en train de se transformer. Ça c'est vachement bien. C'est ce côté positif aussi dont je parle. Car il faut aussi parler des choses positives.

« Je pense qu'on est toujours un enfant quand on a nos parents »
Vous parliez de votre fils Cameron tout à l'heure. Il est sur l'album, on l'entend sur le titre "Superstar" !
Oui... C'est toujours symbolique. Quand elles étaient plus petites, mes filles ont participé à plusieurs reprises sur mes albums, mais je ne l'avais pas dit. Mais là, oui, c'était pendant le confinement et il me manquait des voix. En plus, Cameron adore chanter, il chante vachement bien. Bon, il ne l'avoue pas, mais ça viendra peut-être. Il se dirige plus vers le cinéma que la musique... J'avais besoin de voix jeunes parce que cette chanson parle des jeunes qui arrivent et les anciens qui ne veulent pas lâcher le morceau. Il s'est prêté au jeu et il a adoré.

Ecoutez "Imagine un monde" :



Pour parler de transmission, qu'est-ce que votre père vous a transmis ?
Il n'y a pas que mon père qui m'a transmis des choses. On est des générations d'artistes dans la famille. Plus globalement, mes parents, ce sont des gens passionnés. Ils m'ont transmis ça. Quand tu es passionné, tu n'as pas d'heures, tu sacrifies beaucoup de choses, ta famille, ta présence avec tes enfants. Ils m'ont appris le fonctionnement de ce métier. Quand j'ai commencé, j'avais quelques longueurs d'avance parce que j'avais une vie d'expérience avec eux. J'ai vu les bonnes personnes, les mauvaises, les tricheurs... Eddy Mitchell fait partie des belles personnes que j'ai rencontrées dans l'entourage, et il y en avait peu.

Dans Le Parisien l'an dernier, vous disiez "Tous ceux qui ont perdu des êtres chers disent que dans cette violence, il y a une transformation humaine. Et je la sens. C'est d'ailleurs assez déroutant. D'un côté, il y a une force incroyable qui t'envahit et qui t'aide. Et de l'autre, tu culpabilises de cette force nouvelle". En quoi avez-vous été transformé ?
C'est un truc super bizarre, il faudrait demander à des psys. Ça fait partie de nous, tous ceux qui ont perdu des proches. Il y a cette relation bizarre entre cette extrême douleur infinie, qui ne cicatrise jamais, et cette force en même temps qui t'envahit en disant : "Tu n'es plus un enfant". Je pense qu'on est toujours un enfant quand on a nos parents. Quand tu en perds un, tu l'es moins. Tu es un peu plus fort, tu as moins peur en général. Il y a cette relation ambigüe et paradoxale entre la douleur et la force. Et une certaine culpabilité où tu te dis : "Ce n'est pas normal que je me sente plus fort !" Et puis il y a aussi une relation bizarre entre ce que tu penses ressentir et la réalité.

« J'ai vécu des galères de fric »
En vous écoutant parler ou dans vos chansons, on se rend compte que vous êtes quelqu'un qui regarde toujours en avant, qui laisse le passé derrière lui. C'est venu d'un déclic particulier ?
Non, ce n'est juste pas ma nature. C'est comme ça depuis tout petit. Je ne suis pas dans l'avenir mais je peux avoir des ressentis, des projections. Je peux avoir des projections mais l'appréciation, je l'ai dans le moment, je vis le moment. Ce que je vais faire demain, je ne sais pas et je m'en fous, on verra bien. Petit, je me faisais souvent engueuler par ma mère ou ma grand-mère car je ne pensais pas à l'après. On peut parler de mes défauts après si vous voulez, mais parmi mes qualités, il y a que je sais m'adapter tout de suite, et que l'avenir ne me fait pas peur. Je verrai bien, je ferai de mon mieux. Parce que dans la vie, rien n'est certain. Tant que tu peux bouffer et que tu as un toit au-dessus de ta tête, à part la maladie, que peut-il t'arriver ? Qu'est-ce qui est grave ? Ce n'est pas une phrase toute faite, c'est vrai.

Mais il vous est arrivé des galères personnellement ?
J'ai vécu des galères de fric, alors j'ai bossé, j'ai galéré. Je ne l'ai jamais dit... Ce n'est jamais tout noir ou tout blanc. Les gens pensent que, parce qu'on a une image de toi qui est celle-là... Personne ne vit d'amour et d'eau fraîche, ça n'existe pas.

Ecoutez "Ciel et terre" :



Vous avez été contraint de repousser votre tournée en 2021. La décision a été difficile à prendre ?
Non parce que c'était évident. Déjà, on a un gros show donc les organisateurs n'ont pas envie de perdre de l'argent. Comme tout le monde, ils en ont assez pour leur grade. 50% de la jauge, ce n'est pas faisable à la va vite. Et puis, pour le divertissement, créer des clusters éventuels, je ne préfère pas prendre le risque. De toute façon, économiquement, on ne peut pas.

« Parce qu'on fait l'ENA, on sait tout gérer ? »
Vous êtes inquiet pour la culture ?
Je suis très inquiet. Ça fait un moment que je le suis mais le problème sanitaire empire les choses. Pour la culture, je n'ai pas une vue très optimiste sur le déroulement des choses. Par exemple sur la rémunération du streaming. On ne peut pas tout prendre à celui qui crée. Est-ce que c'est moral déjà ? On est dans des trucs complètement paradoxaux. Et je ne suis pas sûr que notre ministre de la culture sache tout faire, je suis désolé...

Alors, c'est quoi la solution ?
C'est de changer les hauts patronats aux commandes. Il y a surement des choses que Roselyne Bachelot sait faire, mais elle ne sait pas tout faire dans la culture. Elle a été ministre des sports, de la santé, et maintenant de la culture. Il faudrait m'expliquer comment ça se passe... Un expert comptable n'est pas nécessairement un bon gérant, il n'est pas bon musicalement... Comment ils pensent le truc ? Ce que je ressens, c'est que ça ne fonctionne pas. Parce qu'on fait l'ENA, on sait tout gérer ? Pourquoi on ne prend pas des spécialistes ? On a un ministre de la santé qui est médecin, ce qui est logique. On ne peut pas l'accabler, il fait ce qu'il peut, c'est compliqué. Après, je n'ai rien contre l'ENA, c'est une école importante, mais pourquoi on donne à une seule personne le droit suprême de tout traiter ? Pourquoi ne pas prendre un administrateur comme dans les pays anglo-saxons ? Mais c'est toujours là, et ils ne veulent rien lâcher. A un moment donné, il va falloir lâcher. Il y en a ras-le-bol. Les attributions de postes ministériels, ça doit se faire au bout d'une table comme dans les deals business : "Alors mon chéri...". Peut-être que j'ai tort... Je n'ai rien contre Roselyne Bachelot, mais on a besoin d'un spécialiste, de quelqu'un qui nous défende tous. En tout cas, dans le fonctionnement de l'Etat, il va falloir changer des choses dans les 20 ans à venir. J'aimerais bien voir ça.
Pour en savoir plus, visitez le site internet de David Hallyday.
Ecoutez et/ou téléchargez la discographie de David Hallyday sur Pure Charts.

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