mardi 02 novembre 2010 0:00

Claude Lemesle en interview

L’auteur prolixe qui a offert à Michel Sardou, Gilbert Bécaud, Johnny Hallyday, Michel Fugain, Carlos, Serge Reggiani, Alice Dona et Joe Dassin (entre autres !) des textes d'une rare diversité, vient d’être réélu président du Conseil d'administration de la Sacem. A l’occasion du spectacle hommage "Il était une fois Joe Dassin", actuellement au Grand Rex de Paris, Claude Lemesle revient sur ses relations professionnelles et amicales avec cette personnalité exceptionnelle de la chanson.
On vous connaît surtout comme auteur avec plus de 1 000 titres enregistrés. Vous animez des ateliers d’écritures et avez publié un très beau manuel "L’art d’écrire une chanson". Racontez nous... (Jean-Christophe Mary, rédacteur)
Claude Lemesle : Je pense que l’on est redevable à la vie de la chance qu’elle vous a donnée. J’ai eu le privilège d’être chanté par les plus grands et d’avoir plus de 1 300 chansons enregistrées. C’est pourquoi je me suis dit, il y a 22 ans, qu’il fallait que je tente de transmettre. Cela s’est fait à travers les ateliers que j’anime et le livre que j’ai écrit, "L’art d’écrire une chanson", aux éditions Eyrolles qui a, je crois, un certain succès puisque nous venons de sortir la deuxième édition (sourire) !

Parlez-nous de cette comédie musicale, "Il était une fois Joe Dassin". Avez-vous été associé avec Christophe Barratier (metteur en scène des "Choristes") sur ce projet ?
Sans être directement impliqué dans la conception de cette comédie musicale "Il était une fois Joe Dassin", j’ai beaucoup échangé avec Christophe Barratier, nous nous sommes vus à plusieurs reprises et il m’a posé beaucoup de questions sur Joe, l’homme, le créateur, l’artiste. Il a manifesté une grande curiosité vis-à-vis de cette personnalité exceptionnelle qu’était Joe.



De quoi parle ce spectacle, s’agit il de la vie romancée de l'artiste avec des titres originaux, ou bien une histoire illustrée par les chansons de Joe Dassin ? A titre personnel, que pensez-vous de ce projet ?
Il ne s’agit en aucune façon de raconter la vie de Joe, romancée ou pas. C’est un spectacle qui tourne autour de ses chansons et il y a de quoi faire : on se rend compte que 30 ans après sa disparition, et bien que sa carrière ait été très courte, Joe laisse un nombre de succès incroyables. Lui qui disait : «Je fais des chansons pour aider les gens à vivre», doit être comblé, là où il est, de sentir qu’il continue à les aider au-delà même de sa propre vie… On découvre aussi durant cette soirée, des petits bijoux moins connus mais dont la diversité va vous étonner ; et on retrouve avec plaisir certaines prises de parole de Joe qui s’y montre toujours remarquablement intelligent…

Découvrez le clip du premier single issu du spectacle, "Il était une fois nous deux" :


« On découvre aussi durant cette soirée, des petits bijoux moins connus mais dont la diversité va vous étonner »
Vous faites connaissance de Joe Dassin en 1966. Comment se passe la rencontre ?
Je chantais tous les mardis soirs avec quelques amis du Petit Conservatoire de Mireille, au Centre Américain d’étudiants et d’artistes boulevard Raspail, dans le 14ème, à Paris. C’était une sorte de “happening” dirigé par Lionel Rocheman. Le mardi 5 juillet 1966, Joe était venu en voisin (il habitait au 218, boulevard Raspail). Il cherchait un joueur de banjo pour monter son premier orchestre car il voulait faire de la scène. Il a flashé sur une de mes amies, Vava, qui avait une voix superbe (elle est devenue ensuite la chanteuse lead du Big Bazar), et a invité notre petite bande d’amis à venir boire un pot chez lui. Là, j’ai chanté quelques chansons qui lui ont beaucoup plu…



Vous avez signé "La fleur aux dents", "L’équipe à Jojo", "L’été indien", "Ça va pas changer le monde" ou "Et si tu n’existais pas"...
Oui, et beaucoup d’autres : "Si tu t’appelles mélancolie", "Salut les amoureux", "A toi", "Il était une fois nous deux", "Dans les yeux d’Emilie", "La demoiselle de déshonneur", "Le dernier slow", entre autres. En tout, j’ai écrit 130 chansons pour Joe…

Visionnez les premières réactions du public sur le spectacle "Il était une fois Joe Dassin" :


Visionnez des extraits de la Générale du spectacle "Il était une fois Joe Dassin" :


« Joe a flashé sur une de mes amies, Vava »
Pouvez vous nous raconter la naissance d’un de ces titres ? Une petite anecdote sur celui qui vous a le plus marqué ?
S’agissant de cette dernière, je dînais chez une amie, la comédienne Amarande, et Joe était en studio. J’avais eu la mauvaise idée de laisser le numéro de mon hôtesse sur mon répondeur. Nous buvions l’apéro tranquillement lorsque le téléphone a sonné. C’était Joe, évidemment !... «Claude, la deuxième phrase du refrain, ça ne va pas, il faut que tu me la changes…». C’est ainsi que pendant une heure, j’ai dû l’appeler une fois toutes les 5 minutes, à la grande stupéfaction d’Amarande, de sa fille, Brigitte, et de Guillaume Hanoteau, qu’elle avait invités. A chaque fois, j’essuyais un refus… Enfin, vers 21 heures, j’ai trouvé la formule qui lui convenait : «Et si ce soir on dansait le dernier slow / Comme si l’air du temps se trompait de tempo». Il a acquiescé, il a raccroché et il ne nous a plus embêtés !... Nous avons pu dîner tranquillement. Heureusement !... Je ne me voyais pas prendre un apéro de plus... (rires) !

Quel souvenir, quelle émotion gardez vous du premier titre de Joe Dassin quand vous l’avez écouté pour la première fois à la radio ?
A vrai dire, la véritable première grande émotion, je l’ai ressentie au studio 10, 10 rue Washington à Paris (dans le 8ème). Joe venait d’enregistrer le premier texte que j’avais écrit pour lui : "Hello hello", et entendre sa voix sur mes mots, dans des conditions d’écoute optimales, a été un choc et une joie intenses !...

« Il était pudique, et j'étais timide »
Quelle relation aviez-vous avec Joe Dassin ?
De professionnelles, nos relations sont peu à peu devenues amicales. Nous nous voyions très souvent, en dehors des séances de travail. On a passé des vacances et des réveillons ensemble, on sortait beaucoup, au restaurant ou en boite. Ainsi s’est construite, petit à petit - car il était pudique et j’étais timide, une amitié très solide, très intime, où chacun était le confident de l’autre.

Je crois savoir que vous avez écrit une biographie sur Joe Dassin ?
C’est exact. J’ai écrit en 2005 un livre intitulé "Puisque tu veux tout savoir", publié chez Albin Michel, où je raconte Joe à son fils cadet, Julien. C’est pourquoi le sous-titre du bouquin est : "Confidence à Julien Dassin". Beaucoup de bêtises et de clichés se colportaient au sujet de Joe, et j’avais envie d’offrir à son fils et au public ce qui, pour moi, était le vrai visage de mon ami…



« Beaucoup de bêtises et de clichés se colportaient au sujet de Joe, j’avais envie d’offrir le vrai visage de mon ami »
Vous êtes cette année de nouveau élu Président du conseil d’administration de la SACEM. En quelques mots, qu’est ce que la SACEM ? Quel est son fonctionnement ? Quel est votre rôle ?
La SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique) est une société chargée de percevoir et de répartir les droits qui reviennent aux créateurs dont elle gère le répertoire, et à leurs partenaires éditeurs. Elle présente cette caractéristique originale d’être autogérée puisque c’est un Conseil d’administration formé d’auteurs, de compositeurs et d’éditeurs élus par leurs pairs qui prend les décisions. Ce Conseil s’appuie sur une administration formée de spécialistes compétents chacun dans des domaines très variés (juridique, financier, culturel, social, communication, etc.). A la tête de cette administration se trouve un Directoire formé de six membres et présidé actuellement par Bernard Miyet, ex n°2 à l’ONU. Mon rôle consiste, au-delà même des présidences de séances elles-mêmes, à être, en quelque sorte, le trait d’union entre les sociétaires, le personnel, voire les utilisateurs, et le Conseil. J’essaie d’avoir le maximum de proximité avec les uns et les autres, ce qui n’est pas simple car il y a 130 000 sociétaires, 1 450 employés, et des centaines de milliers d’utilisateurs de musique ! Mais je fais de mon mieux (sourire)...

« La mise en concurrence des sociétés d’auteurs rêvée par l’Europe est une absurdité »
La SACEM récolte de l’argent. Comment est-il rétribué aux auteurs/compositeurs ?
L’argent perçu est réparti aux créateurs des œuvres et aux éventuels éditeurs, après retenue des frais de gestion qui sont en moyenne de 15%. Ce qui n’est vraiment pas excessif, au regard de la complexité des opérations. Il faut savoir aussi que 80% des sommes sont réparties aux programmes - record mondial, et seulement 14% aux sondages, et 6% par analogie. Dans beaucoup de nos sociétés sœurs étrangères, c’est le sondage qui l’emporte nettement et qui, évidemment, favorise les “gros”. La philosophie de notre société a toujours été d’aller chercher les droits le plus loin possible, quitte à ce que la gestion en soit un peu plus coûteuse. C’est dans ce sens que la mise en concurrence des sociétés d’auteurs rêvée par l’Europe est une absurdité.

Vous aidez aussi les artistes en démarrage, comme on a pu le voir lors de la soirée du Chantier des Francos.
Oui, le budget culturel de la Sacem est très important et il nous permet de proposer aux jeunes créateurs des aides à l’auto-production - si importante actuellement, des primes à l’écriture, des mises en résidences, des accompagnements de carrière, etc. C’est essentiel pour nous, surtout à un moment où les jeunes créateurs sont souvent livrés à eux-mêmes, en raison des difficultés rencontrées par beaucoup de petits producteurs et de petits éditeurs, qui ont dû mettre la clé sous la porte faute de retour sur investissement.



Comment se passe l’accompagnement ? quelles formes cela peut-il prendre ? Aidez-vous d’autres structures ?
Oui, bien sûr, nous aidons des salles de spectacle, des festivals, des tournées, des centres de formation d’artistes, etc. J’invite vos lecteurs qui voudraient avoir un panorama vraiment complet des possibilités offertes par notre budget culturel à consulter le portail sacem.fr.

« Là-bas, plus personne n’est en mesure d’investir pour produire un CD »
Avez-vous l’impression que la filière du disque est sinistrée ? Est-ce que les ventes ont encore reculé depuis la crise de 2008 ?
Il faudrait être une autruche planquant soigneusement sa tête dans le sable pour ne pas le voir ! Bien sûr, les ventes ont encore reculé et c’est tragique pour les jeunes artistes qui ont de moins en moins de chance de trouver un producteur, qu’il soit gros ou petit. J’ai visité, au mois de juin, les trois départements français d’outre-mer de l’Atlantique (Guyane, Martinique et Guadeloupe), et les auteurs, compositeurs et interprètes sont désemparés là-bas : plus personne - ou presque, n’est en mesure d’investir pour produire un CD… Alors, ne parlons même pas d’investir dans une carrière : c’est devenu une chimère...



« Se les approprier gratuitement revient à dire qu’elles sont sans valeur »
Peut-on s’attendre à des annonces de la part de la SACEM sur la loi Adopi, le téléchargement, le nomadisme des machines (iPod, etc.)
La Sacem s’est, je crois, déjà largement exprimée sur le sujet. Hadopi se met en place : il est trop tôt pour juger de son efficacité. Personnellement, j’en attends plutôt un effet pédagogique. Il faut absolument qu’une prise de conscience ait lieu s’agissant des œuvres de l’esprit : se les approprier gratuitement revient à dire qu’elles sont sans valeur. Or, une société qui accepterait que cette idée pernicieuse domine, que le travail des créateurs soit considéré comme nul, serait pour moi une société perdue. Lorsque j’étais très jeune, j’étais tout fier de pouvoir mettre 20 francs de côté pour pouvoir m’offrir le dernier Brel ou le dernier Beatles. Il me semblait normal de rémunérer, avec mes modestes moyens, ces créateurs qui me donnaient tant d’émotion et de bonheur !
Il faudrait également que cesse la confusion intellectuelle entre liberté et gratuité. Libre accès à la culture, certes ; mais il est un droit encore plus vital, c’est celui de se nourrir. Or, ce n’est pas parce que cette liberté d’accès à la nourriture est essentielle que l’agriculteur donne sa récolte, l’éleveur, sa viande, le boulanger, son pain. Je suis un peu surpris et triste, enfin, lorsque je vois quel est le mode de consommation actuel de la musique. C’est l’utilisation kleenex : on prend, on jette. Où est la passion, où est cet attachement si essentiel à la construction d’un idéal, celui qui vous unit étroitement à tel ou tel artiste dont on aime à s’imprégner de l’humeur, de l’humour, de l’humanisme, qui constitue une référence, voire un modèle, et qui aide à se construire soi-même... ?

Vous étiez l’an dernier sur l’écriture d’une comédie musicale dont le livret avait été écrit par Boris Vian. Vous deviez écrire 12 chansons. Où en est le projet ? Est ce compliqué de se glisser dans la peau d’un artiste comme Boris Vian ?
Mon travail est terminé et ce ne sont pas 12 textes que j’ai écrits, mais 23 (sourire). Pour leur part, Alain Goraguer et Patrick, son fils, ont composé les musiques. Il ne reste plus, à présent, qu’à trouver une bonne distribution, et cela prend un peu de temps car nous sommes ambitieux, les héritiers de Boris Vian, les deux Goraguer et moi-même, sur ce plan-là : nous voulons des artistes de tout premier plan et, évidemment, ceux-ci sont, par définition, très pris !...

« J’aimerais écrire une chanson avec Julien Clerc, et un texte pour Chimène Badi »
On l’a évoqué vous avez écrit pour les plus grands, Dassin, Reggiani, Sardou, Hallyday, Bécaud Fugain, Carlos, Mouskouri… Parmi les artistes de la jeune génération pour qui aimeriez vous écrire ? Avez vous des envies ?
Mais j’écris déjà pour Willy Denzey, Jonatan Cerrada, Siân Pottok, Aude Henneville, Julie Darnal et d’autres… A vrai dire, je suis comblé… Simplement, j’aimerais bien, au moins une fois, écrire une chanson avec Julien Clerc et, peut-être aussi, un texte pour Chimène Badi qui chante vraiment très bien...


Merci Claude.
Merci à vous, et à Charts in France.
Pour en savoir plus sur Claude Lemesle, visitez gpclaudelemesle.free.fr.
Pour en savoir plus sur le spectacle "Il était une fois Joe Dassin", visitez coullier.com, ou le Facebook officiel.
Pour réserver vos places de concert, cliquez sur ce lien.
Pour écouter et/ou télécharger la compilation "Les 100 plus belles chansons de Joe Dassin", cliquez sur ce lien.
Visionnez le Making Of du clip "Il était une fois nous deux" :

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