jeudi 15 avril 2010 0:00

Kery James en interview

En sept albums, Kery James a su devenir un artiste incontournable du rap français. Avant de se retirer pour une pause momentanée ou définitive, Kery James publie "À mon public", un album live CD+DVD pour plus de deux heures de live avec de nombreux invités. De ses débuts à son nouvel opus, en passant par "Réel" et son regard sur la scène rap, l'artiste se confie en toute franchise. Interview.
Bonjour Kery, pourquoi avez-vous fait le choix de sortir ce disque live "À mon public" après sept albums studio ? (Nikolas Lenoir, rédacteur)
Kery James : Je ne pense pas que j’aurais pu le faire avant et il me semble que c’est maintenant le bon moment. Je pense avoir suffisamment d’expérience et je tenais à le faire d’une façon qui me convienne. Il y avait déjà eu une première expérience en ce sens. Il y avait en effet eu une captation vidéo disponible en DVD avec une version collector du dernier album Réel.

« Je souhaitais que ce concert du Zénith soit aussi la fête du rap français. »
On retrouve de nombreux invités sur ce live, de Diam’s à Rim K entre autres. Est-ce une volonté de fédérer la scène rap française ?
Dés le départ, je souhaitais que ce concert du Zénith soit aussi la fête du rap français. Je voulais donc rendre hommage à des artistes que j’apprécie et que l’histoire du rap français soit marqué par ce concert. J’ai même tenté sur un morceau qui s’appelle Ensemble d’avoir Kool Shen et des membres d’IAM mais cela n’a pas pu se faire pour des raisons de planning. Mon ambition était de rendre hommage au rap français.

Au-delà de ses nombreux invités et de cet hommage au rap français, comment avez-vous choisi les textes présents sur ce live ?
J’ai voulu retracer à peu près chaque période de ma carrière, de "Idéal J" à "Si c’était à refaire". Il y a un peu de chaque album.

Est-ce que l’on peut considérer ce disque comme étant au croisement d’un live et d’un Best Of ?
Franchement oui car je l’ai conçu dans cet esprit. J’ai voulu que chacun puisse y retrouver ce qu’il a aimé dans mon parcours. C’est aussi une façon de remercier les personnes qui m’ont accompagné sur mes albums.

À seulement 32 ans, vous avez déjà sorti sept albums. Êtes-vous sans cesse en création ou un boulimique de travail ?
« Je ne sais pas si cette pause sera définitive mais elle va au moins durer deux ans. »
À la base, j’en ai l’envie et je l’ai toujours eue. Ensuite, je me suis adapté à un marché qui est très versatile, où les gens oublient rapidement et pensent tout aussi vite à autre chose. Quand j’ai sorti l’album "À l’ombre du show-business", le suivant "Réel" est arrivé un an après pour bien marquer le coup. J’ai voulu installé la marque Kery James car j’ai voulu ne faire que de la musique. C’est d’ailleurs moins le cas aujourd’hui et c’est pour cela que je vais m'arrêter. Je ne sais pas si cette pause sera définitive mais elle va au moins durer deux ans.

L’album "Réel" est en effet récent et il est encore largement dans les esprits. J’ai donc quelques questions sur ce disque. Est-ce que le titre "Je représente" est une façon de se placer comme un porte-parole de la jeunesse ?
"Je représente" pourrait en fait s’appeler "Je prétends représenter". De toute façon, ce n’est pas vraiment à moi de confirmer si j’ai réussi ou pas mais à l’origine, c’est la vocation de tous les rappeurs que de prétendre représenter une partie de la société. Il faut parler pour ceux qui justement n’ont pas forcément la parole. J’ai voulu revenir à ce fondamental du rap.

Retrouvez le clip de "Je représente" :


Dans "Retour du rap français", vous rappelez que vous êtes dans ce milieu depuis vingt ans. Ayant commencé très tôt, quel regard portez-vous sur l’évolution que vous avez vue et vécue ?
« Le message n'a presque plus rien de social. »
Je trouve que l’évolution du rap français n’a pas forcément été très positive. Il est vrai cependant que l’on a aujourd’hui des producteurs qui font des sons pouvant largement concurrencer parfois les Américains. Par contre, au niveau de la direction de l’esprit, nous sommes très loin de ce que l’on faisait à l’origine. Le message n’a presque plus rien de social et c’est même devenu un message d’autodestruction. La solidarité que l’on pouvait avoir il y a dix, quinze ans n’existe là car le rap a pris le dessus sur le hip hop. Le rap est devenu un enjeu commercial et cela a participé au fait qu’il n’y a plus ce sentiment de grande famille.

C’est pour cette raison que vous dites dans l’album "Réel", "pas de place pour le rap capitaliste" ?
Je ne dénonce pas le fait qu’il faille s’en sortir et que le rap peut permettre de se mettre à l’abri. Je dis simplement qu’il ne faut pas parvenir à cet objectif en étant prêt à écraser les autres et sans se soucier des conséquences de ce que l’on peut dire sur les populations que l’on prétend représenter. C’est cela qui est dangereux et néfaste pour le rap français.

Dans "Réel" justement, vous avez écrit "La plupart des rappeurs racontent des histoires, À toi d’voir si tu veux y croire Mais la plupart sont des mythomanes". En parlant de l’attitude que vous évoquez, vous pensez donc à ces rappeurs ou pseudo-rappeurs ?
Oui car il y en a beaucoup qui vendent du fantasme au public et qui ne maîtrise pas la portée de ce qu’ils avancent.

Est-ce que l’on peut mettre cela en perspective avec le fait que l’on retrouve chez pas mal de rappeurs une écriture parfois similaire et aussi une redondance thématique plus ou moins justifiée ?
« Un courant musical est riche dans sa diversité. »
C’est en effet devenu un fond de commerce pour pas mal de rappeurs et depuis un certain temps. Il y a un manque de créativité mais il ne faut non plus aller vers l’originalité pour l’originalité. À un moment donné, le rap français s’est enfermé dans quelque chose de racailleux. Cette vision n’existait pas, est apparue, a changé les choses puis c’est devenu la vision majoritaire alors qu’en fait, ça ne doit pas fonctionner comme ça. Un courant musical est riche dans sa diversité.

Retrouvez le clip de "Lettre à mon public" :


Vous taclez Nagui et les Victoires de la Musique dans ce disque. Quel regard portez-vous sur cette cérémonie ?
« Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas une vraie Victoire de la Musique spécifique au rap. »
Le système de votes actuel fait que ce ne sont pas vraiment les victoires de la musique mais la victoire de la maison de disques la plus influente et la plus puissante. Chaque maison de disques a des votants et donc celle qui est le plus en forme, qui a le moins subi la crise, a de fait plus de votants qu’une autre. Il y a également des maisons de disques qui donnent des consignes de votes, il y a des arrangements… donc je ne trouve pas que cela reflète vraiment les Victoires de la Musique. Elles peuvent parfois coïncider avec une réalité artistique mais ce n’est pas forcément le cas. C’est pour cela je n’y ai pas été l’année dernière et cette année alors que j’étais nommé pourtant. Ces prix n’ont pas forcément de sens et je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas une vraie Victoire de la Musique spécifique au rap. Qu’ils créent sinon une catégorie Variété sans distinction à l’intérieur de celle-ci.

Comment considérez-vous la Victoire de la Musique d’Oxmo Puccino ?
Je suis content pour lui car c’est un ami et je respecte beaucoup ce qu’il fait.

On retrouve sur "Réel" également le titre "Au pays des Droits de l’Homme" avec un texte assez sombre. Étiez-vous particulièrement pessimiste en écrivant ce disque ?
C’est un album plus noir que le précédent "À l’ombre du show-business". C’est en partie lié à ce qui s’est passé dans ma vie personnelle et à l’évolution des médias. Je n’ai pas eu l’impression que les choses allaient dans le bon sens. Il y en a visiblement qui aiment bien que la France soit divisée en deux, qui n’ont pas envie que les choses changent, qui n’ont pas envie du métissage… Certains en tirent profit et il est aussi là le problème.

"Le Prix de la Vérité" a également un texte fort. Est-il plus difficile de dire les choses de façon authentique que de tenter de les masquer ?
« C'est la défense de la Vérité qui a fait les grands Hommes. »
Cela a toujours été ainsi. La Vérité a toujours eu un prix, un goût amer et en même temps, c’est la défense de la Vérité qui a fait les grands Hommes.

On vous retrouve plus serein sur "En manque de". Aviez-vous envie de laisser entrapercevoir un aspect plus doux de votre personnalité ?
C’est une réalité et cela fait aussi partie de moi.

Est-ce que le titre "Lettre à mon public" est un moyen de faire un bilan et de pouvoir commencer sereinement la pause que vous avez décidée ?
Ce morceau annonçait en effet une retraite momentanée ou définitive. Je n’ai moi-même pas la réponse à ce que je vais faire mais je tenais à remercier le public.

« La vie ne doit pas de se limiter à enchaîner des disques. »
Comment est arrivé ce besoin de faire une pause ?
C’est arrivé simplement. J’ai fait deux albums en trois ans, beaucoup de concerts et je me suis impliqué à tous les niveaux, que ce soit en studio, pour l’image, pour la promo… Je me suis beaucoup investi professionnellement et de fait, j’ai mis de côté des choses qui sont très importantes pour moi. J’ai une foi, une spiritualité et je pense que la vie ne doit pas se limiter à enchaîner des disques, des concerts et à avoir des objectifs un peu plus hauts à chaque fois. J’ai décidé de me laisser un temps pour me recueillir et me ressourcer. Cela va aussi me permettre de mieux considérer les raisons pour lesquelles je fais de la musique.

Vous vous êtes récemment impliqué pour Haïti. Comment avez-vous fait ce choix de créer et de donner une impulsion au collectif "Espoir pour Haïti" ?
C’était pour moi une nécessité et c’était une évidence en tant qu’être humain, en tant qu’Haïtien et il fallait que je me positionne. "Désolé" est un titre que j’ai écrit il y a un certain temps et il correspond pleinement à la situation. J’ai rassemblé des artistes pour soutenir le projet, la cause et surtout le pays. C’était aussi très important pour ma mère.

Retrouvez le clip de "Désolé":


Le texte de "Désolé" est assez particulier pour un projet caritatif. Aviez-vous l’envie d’avoir un message en décalage avec ce que l’on entend plus généralement sur ce genre de chansons ?
« J'ai une écriture directe pour interpeller le public. »
C’est en effet un texte qui prend presque les gens à partie. Je viens du rap et même quand j’écris une chanson, j'ai une écriture directe pour vraiment interpeller le public. Je ne fais pas de la musique pour que cela passe comme ça, comme si de rien n’était.

Avant cette pause, quel message aimeriez-vous adresser au public ?
Je lui dis Merci, sincèrement Merci de m’avoir soutenu.

Pour en savoir plus, visitez http://www.keryjames.com/ et son Skyblog officiel .

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