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dimanche 16 octobre 2016 12:27

Julien Doré en interview : "Le succès ne me rassure pas, bien au contraire"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
A l'occasion de la sortie de son nouvel album "&", Julien Doré a accepté de répondre aux questions de Pure Charts sur la création de son disque, la pression après le succès, la promotion ou encore le vrai sens de "Paris-Seychelles". Interview !
Crédits photo : Goledzinowski
Vendredi 14 octobre 2016. 18h10. ll pleut quand je me rends à l'hôtel Pigalle, dans le neuvième arrondissement de Paris, pour rencontrer Julien Doré. C'est le jour J pour lui puisque sort aujourd'hui son quatrième album "&", sur lequel l'artiste va encore plus loin que sur le précédent, autant dans les mélodies que dans les textes. Dans un coin du café un peu bruyant de l'établissement, l'artiste enchaîne les interviews. Un peu perdu dans son regard quand je m'assoie, le chanteur me salue avant de se connecter avec l'instant. J'ai préparé une vingtaine de questions mais je n'aurais le temps que d'en poser une petite poignée, tant Julien Doré se confie, se perd parfois aussi, mais retombe toujours là où il voulait en venir. Entretien avec un artiste aussi passionné que passionnant.

Propos recueillis par Julien Gonçalves.

A chaque fois, le titre de tes albums ne tient qu'en un mot : "Ersatz", "Bichon", "Love", "&". Pourquoi ? C'est comme une superstition ?
(Il réfléchit) Oui, c'est devenu... Je ne sais pas. Quand j'étais aux Beaux-Arts, j'étais fan des dogmes du cinéma danois notamment. On va dire que symboliquement, c'est une façon de procéder que je me suis imposée. Le dogme a énormément de codes mais là, ça ne me contraint pas à énormément de choses. J'ai fait le choix qu'un seul mot doit définir le travail d'une année ou plus. J'essaie de me tenir à cette idée-là, à cette simplicité-là.

Alors, comment "&" s'est imposé à toi ?
Je pense que c'est la première chanson de l'écriture...

" J'ai voulu appeler mon album "Sublime et silence" "
"Sublime & silence"...
Quand j'ai écrit la première phrase, je ne l'ai pas écrite avec le "et" mais avec "&". Un signe qu'on arrive difficilement à écrire au stylo d'ailleurs ! (Rires) Ensuite, d'autres chansons sont venues. Et je me suis dit que ce petit signe-là, il est très simple. Je me suis posé la question d'appeler l'album "Sublime & Silence". Mais quand je l'ai prononcé dans ma bouche, je me suis dit que c'était d'une prétention lamentable.

Tu as pensé que les critiques ou le public allaient se dire : "Il pense que son album est sublime" ?
Non... Enfin oui. Mais même moi, sans penser à l'après, je me suis dit qu'on ne ferait pas le lien avec la chanson, on aurait pensé que je parlais de mes chansons. C'est justement là tout le problème d'un titre d'album. Il doit venir embrasser le tout. Je trouve que c'est parfois d'une grande faignantise de donner à un album le titre d'une des chansons. Même si c'est une chanson symbolique. Car un album c'est fait de plusieurs chansons. C'est une part de liberté le choix du titre d'un album. Donc il faut l'occuper ! Et vu que je ne l'avais jamais fait, je ne trouvais pas la solution. Ma première idée c'était "Sublime & Silence", mais ce qui résume toutes les chansons, ce n'est pas cette chanson, c'est ce "&". Le fait que deux choses à un moment donné s'additionnent, se lient...

Se délient aussi...
Oui... Et puis ce "&" c'est quelque chose de très ouvert. Je ne sais pas si tu as vu l'objet... Ce "&" il est percé. Le titre de mon album n'est jamais visible, il n'est écrit nulle part. Il est troué dans la pochette. Et c'est au travers de ce titre d'album qu'on regarde les choses, qu'on y glisse des photos. J'ai travaillé dessus pendant des mois. Et j'ai compris que ce titre d'album était une fenêtre. C'est comme une serrure... Ça m'a fait penser à cette oeuvre de Marcel Duchamp, "La mariée mise à nu". Après évidemment, je me suis dit que c'était encore un titre compliqué à expliquer mais c'est un titre qui ne se dit pas, qui se regarde.

" Ce n'est pas la lumière médiatique qui m'attire "
Comment tu te sens alors que sort aujourd'hui ton nouvel album ?
C'est un jour particulier... C'est un mélange de sentiments. Je suis même soulagé en fait. Je suis d'une certaine façon totalement au service de ma musique, de cette chance que j'ai d'écrire des chansons. Parfois, je me sens de trop en tant que parleur. Mais là aujourd'hui si on veut, on n'est pas obligé de m'écouter parler de mes chansons, on peut juste écouter mes chansons. Rien que ça, ça me soulage beaucoup.

Est-ce qu'un jour tu ne feras plus de promo ? Tu te contenteras de sortir ton album en mode "Voilà tout ce que j'ai à dire" ?
(Il rit et marque un temps de réflexion) Si c'est fait avec beaucoup d'humilité et d'intelligence, comme certains artistes que j'aime beaucoup, peut-être. Mais j'ai encore quelque chose que je n'ai pas résolu... Ce n'est pas la lumière médiatique qui m'attire. Franchement, ce que j'aime c'est la lumière de la scène, monter sur scène, avoir le lien avec le public, qu'il se passe des choses et ensuite me retrouver seul ou avec mes potes pour écrire des chansons. Ce sont deux zones assez opposées mais qui finalement se rejoignent. Entre, il y a cette lumière médiatique où je m'exprime, où je me montre...

Regardez le clip de Julien Doré, "Le lac" :



" Le succès ne me rassure pas "
Ce n'est pas quelque chose que tu aimes vraiment on dirait ?
C'est vrai que c'est pas... Et encore ça va beaucoup mieux depuis quelques années. J'ai pris un peu de maturité et je suis plus à l'aise avec moi-même, et mes mots. Mais ce n'est pas ce que je recherche à tout prix. Mais je ne sais pas si je serais capable d'arrêter totalement la promo, comme on dit, car je prends du plaisir aussi. Je rigole, je rencontre des gens, et on a très souvent des échanges nourris et parfois ça déclenche des choses. Je ne sais pas si j'ai réellement envie de m'en passer. Oui, je n'aime peut-être pas trop quand je dois trop parler ou expliquer, mais quand même ce sont des moments chouettes. Et de plus en plus chouettes à vivre, au fil des moments où je me sens plus en confiance, pas avec ma musique, mais avec moi-même.

Est-ce que le succès de "LØVE" te rassure ?
Non, au contraire. Mais ça ne m'inquiète pas, parce que je ne pense pas à ça car sinon...

Tu pourrais te dire que ton public s'est élargi donc qu'une bonne partie sera sans doute là...
Peut-être. Mais ce n'est pas rassurant non plus. Par exemple... (Il sourit) L'été qui a fini la précédente tournée, quand j'ai dit à ma mère que j'allais sans doute me remettre à écrire, la première chose qu'elle m'a dite, c'est : "Ça va être difficile de faire mieux que "LØVE" !". (Il grimace) Tu vois...

Merci maman !
Avec beaucoup de bienveillance et d'amour ! (Il sourit) Mais c'est là que tu te dis : "Ah ouais, merde !". Car toi tu ne t'en rends pas compte. A ce moment-là, c'est comme si les choses sont dans une jolie continuité. Je viens de vivre un album où j'ai halluciné de l'accueil, une tournée où c'était fou... Ça s'arrête, il y a un sas de décompression. Je ne me dis pas : "Comment je vais faire ?". Je ne me retourne pas vers ce qu'il s'est passé, ça fait partie de moi. Au contraire, ça doit me porter. Mais parfois, il y a des moments comme ça où ta propre maman te dit une phrase où tu prends conscience qu'effectivement, ça a été trois ans extrêmement fous !

" Sur cet album, j'ai un peu simplifié les choses "
J'étais présent à la projection du film "Une histoire d'&", il y a quelques jours. A un moment donné, tu dis que tu n'as pas écrit durant plusieurs années. Pourquoi ?
La dernière chanson que j'ai écrite c'était sur "LØVE", donc un peu plus de quatre ans. Entre les deux disques, il y a trois ans. Mais j'ai essayé. En tournée, à des moments, j'avais un petit piano portatif dans la loge. J'essayais mais c'était nul. Il n'y avait pas de coeur, il n'y avait pas quelque chose qui était suffisamment nourri pour être transformé. Il n'y avait rien. J'avais honte des rimes qui venaient. Mes suites d'accords, je les trouvais figées. Quand tu essaies et que c'est nul, là par contre, c'est vraiment un truc que je ressens, tu te dis : "Mais comment je vais faire ?". C'est là que c'est fabuleux d'écrire des chansons... Ce n'est pas de la science, il n'y a pas de mathématiques. Certains, parfois, font des chansons de façon mathématique, ils se mettent au bureau, ils ont un schéma pour écrire une chanson. Un peu comme quand on écrit un scénario. Mais moi je n'ai jamais fait ça. Et, de toute façon, je ne sais pas faire ça. Mais le jour où j'étais au piano et que la première phrase de "Sublime & Silence" est venue, c'est vrai que...

Tu as senti qu'il se passait quelque chose...
Oui, et en plus le texte il est simple. "Sublime & silence, autour de moi tu danses, et moi j'oublie. C'est à toi que je pense, à ta bouche brûlante, quand tu souris". Je me suis dit : "Ouh là, c'est très simple, ce n'est pas du poétique abstrait, et en même temps ça va". C'est un équilibre hyper subtil entre ta voix, tes mains et la mélodie. Peut-être que si cette même phrase, avec plus d'accords, était beaucoup plus chantée, je me serais dit : "Ouh là, c'est pas du tout ce que je veux". C'est un équilibre tellement particulier !

Découvrez "Sublime & silence" de Julien Doré :



Tu parlais de phrases abstraites. Je t'avoue que pas mal de monde, dont moi, n'a pas saisi le vrai sens de "Paris Seychelles"...
(Il sourit) Complètement !

Mais j'imagine que pour toi tout a un sens...
Oui... "Paris-Seychelles", elle signifie vraiment quelque chose pour moi.

Est-ce que parfois c'est juste pour la rime, parce que ça sonne bien ?
Ah non...

" Je n'ai jamais pris de cours de chant "
Car tu utilises beaucoup de noms de villes, de pays dans tes textes... Donc parfois, le sens peut être un peu abstrait pour nous...
Oui mais surtout sur l'album précédent. Si on compare les textes des deux albums, c'est comme si j'avais ouvert, un peu comme si j'avais soufflé sur la brume abstraite. J'ai un peu simplifié les choses. Mais c'est chouette car ça veut dire que plus j'écris et je compose, plus je vais un peu plus directement aux choses. Les premières chansons que j'ai écrites sur mon premier album... Il y en a une qui s'appelle "Piano Lys". Je défie quiconque de comprendre un sens. (Il sourit) Moi, j'ai le mien... Mais je l'ai tellement mêlé de dérivés de sens abstraits pour protéger mes mots. Parce que j'avais peur de chanter en français ! Je venais des bars, je faisais des chansons en anglais. J'étais terrorisé par le fait de rater, d'écrire comme un texte de CM2. Je ne voulais pas écrire des chansons de CM2 ! Il m'a fallu du temps.

Ça s'est fait petit à petit...
Sur le deuxième album, il y a "Bleu canard" par exemple, qui est abstraite mais qui s'ouvre un peu. Et ainsi de suite. Ce cheminement-là, je commence à en avoir conscience que très récemment. Mais c'est chouette parce que ça veut dire que j'ai bien fait de faire confiance à mes mots, à mes mélodies, à mon groupe de potes avec qui je travaille. Ce ne sont pas mes musiciens, c'est mon groupe. Il y a quelque chose d'artisanal et en même temps qui est joli dans notre histoire. Mais pour revenir à "Paris-Seychelles"... "Te sourire dehors à Angoulême", c'est un moment très précis. On est en résidence à Angoulême pour le deuxième album. Il y a ce sourire-là, et tout part de là... La suite, c'est le voyage avec cette amoureuse entre Paris et les Seychelles. Tout a un lien.

" J'ai voulu tendre la main à l'enfance "
Sur tes deux derniers albums, on sent un vrai virage. Ta voix n'est pas la même, ta façon de chanter est plus suave, plus chuchotée. Tu t'en es rendu compte ?
Non... En fait, je ne connais pas le solfège donc quand je compose, je n'adapte pas ma composition à ma ligne de voix. Les artistes de variétés par exemple, quand ils reçoivent une chanson, ils ont les paroles et la musique, du coup ils vont chercher la tonalité parfaite pour que ça corresponde à leur voix. Donc on va reconnaitre à chaque fois leur identité vocale. Moi, comme je compose en même temps que j'écris mes mots, et que les mots viennent souvent avec telle mélodie, quand je pose mes doigts sur le clavier ce n'est pas par rapport à ma tessiture. Je n'ai jamais pris de cours de chant, je ne sais pas où je me situe en termes de tessiture. Donc ma voix s'adapte. C'est vrai que sur ce disque, il y a quelque chose de plus susurré. Mais je ne me l'explique pas trop...

Et chanter en italien sur le tite "Romy", c'était un kiff ?
L'italien, c'est ma famille du côté de mon père. C'est ce chalet, où j'ai enregistré l'album.... Pendant toute mon enfance, c'était l'endroit où toute la famille italienne se retrouvait avec la famille du sud de la France. Forcément, quand j'ai remis les pieds là-bas... Et c'est aux portes de l'Italie, c'est au coeur des Alpes.

Tu parles couramment italien ?
Oui, oui. Et je le comprends. Mon père a vécu en Italie quand j'étais petit pendant longtemps. Je connais bien ce pays. Et sa maman, ma grand-mère, est italienne. Cette chanson, "Romy", au départ, je l'avais écrite en français. Elle est destinée à une petite fille qui a 4 ans. Je lui parle de ma vision du monde, et je m'excuse presque de ce que - peut-être - ma génération ne réussira pas à faire pour la sienne. Un jour, on est au chalet avec Antoine Gayet, le réalisateur de l'album, et je m'amuse à chanter le refrain en italien. Et il me dit : "Putain mais c'est marrant, ça pourrait vraiment fonctionner". Mon père était là, et ma grand-mère est venue déjeuner au chalet ce jour-là. Alors, l'après-midi, on s'est amusé à la traduire. Le soir ou le lendemain, on a enregistré la voix et on s'est dit qu'elle resterait en italien. Cette chanson, elle traverse quatre générations : celle de Romy, la mienne, celle de mon père et de sa mère.

Encore un travail d'équipe !
Oui, un travail d'équipe et de famille. Ce qui est rare pour moi, car je suis extrêmement pudique avec tout ça. C'est un moment rare qui fait connexion avec le sens que je ne mesurais pas en retournant dans ce chalet, qui est celui de tendre la main à l'enfance, que j'avais peut-être un peu oubliée... C'est une jolie boucle. Et cette chanson qui est au coeur de ce disque est peut-être un peu le symbole de cette boucle-là, entre cette enfance, mes 34 ans et cet album.

Crédits photo : Goledzinowski .
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