Crédits photo : Victoria L. Mas
2010 a été l'année du bleu : "Soleil bleu" pour Sylvie Vartan, "Bleu noir" pour Mylène Farmer, "Bleu Venise" pour Daphné etc. Evidemment, quand l'annonce du titre du nouvel album de la Mas est tombée, la communauté “farmerienne” n'a pu s'empêcher de sursauter. Jeanne Mas s'en explique à nos confrères de "France-Soir" : « Cette coïncidence est plutôt amusante. Je n’ai pas écouté son disque. Elle a sa carrière, j’ai la mienne. Je ne savais pas que son album s’appelait "Bleu noir", sinon, j’aurais peut-être modifié le titre. De toute façon, personne ne peut s’approprier des couleurs. Les gens n’ont rien dit quand j’ai sorti "En rouge et noir", et pourtant Stendhal y avait pensé avant moi! ».

Remettons les pendules à l'heure

Pour en finir avec l'éternel parallèle Mas/Farmer, et leur pseudo-rivalité dans les lointaines années 80, ainsi que la soi-disant prise du trône de Jeanne par Mylène, il s'avère nécessaire de citer une troisième chanteuse qui, malheureusement, fut celle qui paya les pots cassés de ces années-là : Jakie Quartz. Jakie Quartz et Mylène Farmer avaient le même manager entre 1983 et 1989, Bertrand Lepage. En 1986, Jakie Quartz réussit son come-back avec "Vivre ailleurs" (Top 11) exactement au même moment que Farmer avec "Libertine" (Top 10). Puis Quartz sortit "A la vie, à l'amour" qui avait tout pour être un énorme tube avec un clip à gros budget. Le titre se hissa seulement jusqu'à la 30ème place du Top 50, la promotion ayant été interrompue au moment pile où "Tristana" de Farmer sortait du classement, fin septembre 1987. On connait la suite. Il n'y a pas de hasard. Un choix s'est imposé…

L'histoire de Jeanne Mas est toute autre. Si elle enchaîna les tubes de "Toute première fois" (1984) à "La bête libre" (1987), elle revint en 1989 avec un album courageux et engagé intitulé "Les crises de l'âme" incluant "Y'a des bons" (« mais y'a toujours des cons ») et "J'accuse" (écoulé à plus de 400 000 exemplaires tout de même) qui fut mal compris et descendu avec un malin plaisir par la presse. Elle fut malgré tout la première artiste féminine française à remplir Paris-Bercy quatre soirs durant, à la rentrée 1989. On connait aussi un peu la suite, faite de hauts et de bas, mais qui permit à Jeanne Mas de se libérer avec le temps de la pression des maisons de disques, et d'agir en toute liberté depuis son Arizona d'adoption.

"Bleu citron"

"Bleu citron" : 12 plages pour 10 nouveaux titres (la chanson "Ton retour" étant divisée en trois parties) écrits et composés par Jeanne Mas, et arrangés par deux musiciens ukrainiens, Polishchuk et Byelash, renouant avec les thèmes musicaux et textuels fondamentaux de l'artiste, et oscillant tour à tour vers des sonorités électro/pop tendance rock, ou plus acoustiques. Un seul petit regret : le sous mixage de la voix faisant s’échapper certains mots, et l'abandon volontaire sans doute du registre grave et plus puissant de la voix de la chanteuse. « Avec l'intention assassine / Je reviens vers toi » sont les premiers mots du titre d'ouverture, "Petits pas", chanson incisive, sorte de parlé-chanté qui peut rappeler un peu "La geisha" (ouvrant l'album culte "Femmes d'aujourd'hui" en 1986). "Petits pas", single potentiel, boucle entêtante, histoire d'une reconquête… Sur le premier single choisi, "Les dimanches" (au clip réalisé par les soins de la chanteuse), titre festif et ludique, on retrouve les synthés vintage et délicieusement pompiers des titres des débuts, comme "Loin d'ici" (1985).

Ecoutez un extrait du titre de Jeanne Mas, "Petits pas" :


Mais la perle de l'album arrive en troisième place : "Reste". « Reste une seconde / Rien qu'un instant / Dis moi que je compte / Malgré le temps… ». Un titre d'une tendresse infinie qui peut faire écho à l'efficace et délicat "Au nom des rois" (1992) et dans lequel l'artiste touche au thème universel de la peur de l'abandon, sans jamais céder à la facilité ni à l'affectation. Une chanson d'une sincérité poignante que les fans ont d'ailleurs choisi de mettre en image. Bel hommage.

Visionnez le clip réalisé par les fans, "Reste" :


On sera surpris aussi par "Ma photo dans les gares", délire anxiogène qui évoque la folie qu'engendre le désir de célébrité à tout prix, quitte à tuer, s'inspirant des dérives de la télé-réalité et du miroir aux alouettes qu'elle impose aux plus vulnérables : « J'viens de soulager un homme / Du tabouret dessous ses pieds (…) J'viens de flinguer ma voisine / Celle qui m'prend pour une imbécile (…) J'vois ma photo dans toutes les gares / J'suis devenue une star… ». S'ensuivent un bel hymne à la vie et à la liberté intitulé "Un aigle blanc" ainsi que "Ton retour", une douce proposition pudique, presque murmurée « Si tu lui reviens un jour / Elle qui t'attendait peut-être / Le peut-être d'un toujours / Evaporé dans ses lettres ». Des lettres auxquelles on a envie de répondre que nous étions, et que nous serons là.

Ecoutez un extrait du titre de Jeanne Mas, "Ma photo dans les gares" :


Ecoutez un extrait du titre de Jeanne Mas, "Ton retour" :


"Bleu citron" semble donc être un album majeur dans la discographie de l'artiste où urgence et sérénité s'accordent au fil de phrases fulgurantes et énigmatiques qui résistent à l'analyse, mais qui ouvrent la porte à l'interprétation de son choix en harmonie avec des compositions qui tournent en boucle dans nos têtes et nous emmènent loin... Rendez-vous sur scène à la rentrée!

Merci à Philippe Wiazik.

avec Mylène Farmer, Vivien Savage et Axel Bauer (1984)