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mercredi 10 avril 2013 19:00

Jil Is Lucky : "On fait encore la différence entre la musique indé, la Star Ac' et toutes ces merdes"

Il a fallu quatre ans à Jil Bensénior, ce niçois bientôt trentenaire pour donner à son premier album éponyme un successeur. Sorti le mois dernier, "In the Tiger's Bed" n'est pas comme on pourrait le croire un tournant plus pop, plus commercial, mais un retour aux sources, à l'essence même de la musique que l'artiste affectionne. Plus connu sous le nom de scène Jil Is Lucky, il a mis en musique ses plus profondes angoisses et voit l'acte de création comme un fossé qui le distingue des artistes de télé-crochet, avec lesquels il n'est pas très tendre.
Crédits photo : Naïve
Propos recueillis par Jonathan Hamard

Ton premier album a été très bien accueilli, mais tu as fait le choix de prendre des risques en partant dans une toute autre direction, plus synthétique. C'est un pari risqué pour un deuxième album, passage très important dans la carrière d'un artiste...
Jil is Lucky : C'est vrai qu'il y avait une part d'inquiétude en terminant ce deuxième l'album, mais il y avait aussi une certaine part de confiance. Mon premier album, je l'ai fait comme j'en avais envie, sans me poser de questions. Je sortais de nulle part et les gens ont apprécié. Pour moi, ce qui était important, même primordial, c'était de pouvoir continuer à écrire ma musique en étant totalement libre et détaché de toutes les contraintes. J'ai gardé la même liberté, absolue, pour pousser le truc le plus loin possible mais dans un autre registre. Je ne voulais pas refaire la même chose. Le public ne le sait pas, mais le premier album était déjà un vrai tournant pour moi. Quand j'étais étudiant, je faisais de la musique électro. J'enregistrais des trucs très pop dans ma chambre, avec beaucoup de sons synthétiques. J'ai décidé d'arrêter mes études et j'ai revendu tout mon matériel. Je me suis retrouvé avec juste une guitare pour jouer. Je me suis donc lancé dans un truc en guitare/voix et c'est là-dessus que j'ai été repéré. Quelques semaines après, j'étais signé.

" La seule chose qui comptait pour moi, c'était la liberté absolue de créer "
Autrement dit, "In the Tiger's Bed", c'est un retour aux sources plus qu'un virage ?
C'est vrai que j'ai été signé sur un tournant musical, avec un son plus acoustique. Du coup, je m'étais dit à l'époque qu'il fallait laisser de côté ce que j'avais fait auparavant pour aller à fond dans ce sens, avec les violons, les gitans qu'on avait invités, mais en gardant quand même un côté post-rock pour qu'on sache aussi d'où venait Julien. Et tout ça s'est mélangé sur le premier album. Pour ce deuxième album, j'ai eu le droit à beaucoup plus de moyens. Dix fois plus que sur le premier ! C'était donc l'occasion de faire des chansons dix fois plus fortes et qui me ressemblent dix fois plus. On a pu bien finaliser, bien produire et soigner les arrangements. En fin de compte, ce nouvel album représente plus la personne que je suis vraiment. On a donc quelque chose de très personnel, un mélange de pop en gardant le travail mélodique intact. Il y a une prise de risque. Mais la seule chose qui comptait pour moi, c'était la liberté absolue de créer.

Les moyens, c'est le label Naïve qui te les a apportés. Est-ce qu'arriver au sein d'une plus grande équipe a changé ta manière de travailler ?
C'est surtout beaucoup de rencontres ! C'est un réseau qui est différent aussi. Avec mon directeur artistique, quand on a fait écouter les démos, il n'y avait aucun instrument. Ce n'était que du numérique avec une voix posée dessus. Ils ont été très emballés. Ils m'ont demandé comment on allait réaliser ça. J'ai fait une liste des dix albums que j'adorais, et on s'est rendu compte qu'il y avait sur les dix quatre fois le même nom de réalisateur qui revenait. Une vraie coïncidence ! C'est beaucoup quand même sur dix albums (sourire). Et grâce à un label un peu balaise comme celui-là, on peut directement entrer en contact avec des personnes importantes.

Ne crois-tu pas aussi que tes goûts en matière musicales se sont affinés, ce qui t'aurais donné envie de travailler avec Jason Lader ?
Les goûts en matière musicale, je pense qu'ils évoluent tout au long de la carrière d'un artiste. Ce qui a beaucoup changé pour moi, c'est ma manière de composer. J'ai quand même fait un break d'un an et demi. Pendant tout ce temps, je n'ai fait que composer. Alors, c'est vrai, cet album ne compte que dix titres. Mais j'en ai écrit beaucoup plus !

Avec un titre comme "In the Tiger's Bed", on entre dans un univers surréaliste, un peu métaphysique aussi...
C'est exactement ça ! C'est en quelque sorte épouser ses peurs, ses angoisses, des choses que l'on associe au tigre. "In the Tiger's Bed", c'est faire un voyage au fond de soi-même, partir affronter ses propres peurs. C'est une sortie d'introspection si tu préfères. Je suis allé chercher ce qu'il y a avait de plus lumineux au fond de toutes ces choses-là. Et c'est ce qui a donné cet album.

Le tigre, c'est aussi un synonyme de force, d'agressivité et de férocité, et pas seulement de la crainte, de la peur et de la douleur. Mais qui est-il réellement au fond de lui ? Qui est réellement Jil Is Lucky ?
Le tigre, c'est mon double. C'est une part de moi. C'est une part qui est extrêmement forte…

" Les ventes de mon album, ce sont des problé- matiques qui me dépassent "
Y-a-t-il une part qui arrive à prendre le dessus sur l'autre ?
Oui (sourire) ! La nuit souvent ! Ce n'est pas pour le cliché du rockeur animal nocturne. C'est moi la nuit quand je me retrouve face à moi-même et qu'il n'y a plus que la lune pour m'éclairer dans le noir. Je ressens à ce moment-là une profonde solitude qui m'invite à me poser des questions métaphysiques. Je suis un animal nocturne, mais un chat plus qu'une hyène. C'est la nuit que j'observe ce qui se passe, les yeux grands ouverts (sourire). J'ai un chat chez moi. Il me fascine. Moi qui suis insomniaque, je l'observe. Il regarde dans le vide et j'ai l'impression qu'il vit le même questionnement intérieur que moi.

Pourquoi ne pas avoir intitulé cet album "In The Cat's Bed" dans ce cas-là ?
Le problème, c'est que le fait d'avoir un chat depuis longtemps fait que je n'en ai plus du tout peur. Je le maitrise complètement (rire).

Le son du single "The Wanderer", tout le monde le connaît ou presque. Le nom Jil Is Lucky est moins populaire. J'imagine que le but avec ce deuxième album c'est aussi de combler ce fossé.
C'est très marrant comme question parce que j'en discutais il y a quelques jours avec un ami qui est producteur dans le cinéma. On avait un débat sur l'art, l'idée de créer… Savoir s'il fallait faire de l'art pour l'art… Un éternel débat (sourire) ! Et je n'arrivais pas à lui faire comprendre que, entre le moment de la création et le moment où l'œuvre ne nous appartient plus vraiment et qu'elle est réutilisée, ce n'est plus du tout la même chose. Parce que lui me disait que je faisais de la promo, de l'entertainment… A ce moment-là, ce n'était plus de l'art selon lui. Alors que ce sont deux choses qui n'ont absolument rien à avoir. J'ai essayé de lui expliquer ça. Et pour revenir à ta question, je pense que je n'ai pas de but avec cet album. Je ne l'ai pas fait pour dire « Coucou c'est moi ! Je m'appelle Jil Is Lucky » ! A la base, je suis un peintre. Je suis un sculpteur. La création, c'est un besoin vital car je suis quelqu'un qui souffre énormément. Ce que je veux dire, c'est que je ne m'attache pas à ce qu'on fait de moi et de ma musique. Je n'ai pas d'arrière-pensée. Les ventes de mon album, ce sont des problématiques qui me dépassent complètement, au grand dam de mon équipe (sourire).

Regardez le clip du single "The Wanderer" de Jil Is Lucky (2008) :
Le player Dailymotion est en train de se charger...



Mais, et c'est le cas depuis des siècles et des siècles, un artiste a besoin de vendre son art s'il souhaite pouvoir continuer à en vivre. Le peintre doit vendre sa toile s'il veut pouvoir en réaliser une seconde après.
Bien sûr ! Je connais des personnes autour de moi qui sont de véritables génies dans la création mais qui sont totalement incapables de vendre leur toile, de créer un rapport avec le public… De se vendre en fait ! Quand je pars en tournée, je m'éclate. Je fais de la musique mais c'est aussi une manière de me vendre. Là, je suis avec toi mais je pourrais très bien sortir cet album et dire à mon label que je ne veux accorder aucune interview. Ce passage-là, il se différence du moment créateur. Evidemment que j'aimerais en vivre. Et le plus longtemps possible (sourire) !

C'est le cas pour toi mais aussi pour beaucoup d'autres. Les artistes sont de plus en plus liés à la publicité. On a des artistes comme Woodkid qui émergent grâce à ça, Irma qui a été révélée l'an dernier avec Google Chrome, Kavinsky a été acheté par BMW pour une campagne de véhicule électrique… Jusqu'où va-t-on pousser ce processus qui lie intimement musique et succès, musique et publicité ? Pourrait-on assister petit à petit à des dérives avec des rôles inversés et une publicité qui sert la musique et non la musique qui sert la publicité ?
Je ne sais pas. Je pense que c'est un processus qui ira de toute façon plus loin. A tel point que certaines agences de pub créent leur propre label. Il faut faire de la musique au kilomètre ! Des systèmes de diffusion, on en a refusé beaucoup. En ce qui concerne mon implication dans la pub Kenzo, je connaissais le réalisateur bien avant. J'avais déjà pu voir son travail et notamment ses photos. Dans mon cas, je l'ai vu comme une vraie collaboration pour un beau spot. Après, c'est vrai que des fois, on nous demande des trucs bidons.

" Quand je crée, c'est comme si j'accouchais d'une douleur différente à chaque fois "
Et le placement de produits, c'est quelque chose qui peut travestir l'art ?
J'en suis convaincu ! C'est bien pour ça qu'on fait encore la différence entre la musique indé, les gens qui se cassent le cul à la faire, et la "Star Academy" et toutes ces merdes. C'est pour ça que tout le travail des majors et tous ces télé-crochets, je n'accroche pas.

Les télé-crochets ont quand même permis de lancer des artistes de talent, auteurs et compositeurs, comme Nolwenn Leroy et Olivia Ruiz pour ne citer qu'elles.
Oui, en gros ce sont des interprètes ! Je pense que ce sont deux mondes dissociés. Il y a celui des créateurs et celui des interprètes. On ne fait pas du tout le même travail. Ce n'est pas du mépris, juste de la différenciation. On parle de gens qui sont sur les rails de la consommation. Ce sont des gens à qui on dit : « maintenant tu chantes ça » ! Après on les envoie en tournée et pendant qu'ils chantent on cherche des auteurs pour leur écrire des nouvelles chansons. Et dès que la tournée est terminée, on enchaîne sur le deuxième album. Ça se passe comme ça ! Un créateur, pour quelqu'un comme moi qui écris tout du moindre arrangement à la mélodie, il lui faut du temps. J'ai besoin d'un break, d'un an, voire un an et demi, parce que c'est de moi dont il s'agit. Après, je veux bien admettre qu'il y a des interprètes qui sont très doués. Mais ce n'est juste pas le même monde ! On ne parle pas du tout de la même chose. C'est pour ça qu'après le succès de mon premier album, pour répondre à ta première question, j'ai été dragué par des grandes majors… J'ai dit non !

Et quant à l'image, elle occupe une place très importante dans ton univers. On le voit sur la pochette de cet album "In the Tiger's Bed", mais aussi dans le clip du single "Stand All Night". Peux-tu imaginer de continuer ton métier d'artiste sans avoir d'autres supports que la musique pour t'exprimer ?
Pour moi, le graphisme est vraiment très important. Je fais du dessin et de la peinture aussi. Faire un album, c'est l'occasion de réunir toutes ces disciplines. Tant qu'on peut faire des albums physiques, même si ça ne se vend plus, je pense que c'est important de l'accompagner d'un univers visuel, qui doit présenter d'une autre manière sa couleur. Mon rêve, ce serait de pouvoir passer du temps dans une vraie installation, avec des sculptures, des peintures et ma musique dessus. Créer un univers en 3D. Donc, oui, l'image est très importante pour moi. J'ai la main mise dessus. C'est moi qui choisis l'artiste pour la pochette d'un album par exemple.

Il faut aussi savoir apporter une bouffée d’oxygène à son univers en l'ouvrant à d'autres perspectives et d'autres personnes, et éviter ainsi d'étouffer à plus long terme…
Pour ma part, c'est avant tout un besoin d'être dans l'indicible, dans la poésie. Plus on est mal, plus on a besoin de ça. Quand je crée, c'est comme si j'accouchais d'une douleur différente à chaque fois. J'ai des angoisses et il faut que je les fige.

C'est quand même très perturbant !
Ce n'est pas la première fois qu'on me le dit (rire) !

Regardez le clip du nouveau single de Jil Is Lucky, "Stand All Night" :
Le player Dailymotion est en train de se charger...



Cet album a été réalisé avec Jason Lader. Qu'a-t-il apporté à ton travail, toi qui sembles tant attaché à avoir la main mise sur tout ?
Quand on va voir ce genre de mec, on ne se pose pas la question de savoir comment il a fait. Il se pose la question de savoir comment il va faire. C'est quelqu'un qui va se poser des questions sur ce qu'il va pouvoir apporter de neuf à un projet comme celui-là qui mêle de la pop, du R&B, et qui est en même temps très mélodique. Il a apporté un souffle nouveau, quelque chose qu'on n'avait jamais entendu. Il a beaucoup d'expérience et un certain savoir-faire. Je connaissais son travail. Je savais qu'il m'apporterait ce que j'attendais. Pour travailler avec lui, c'était compliqué. Il venait de bosser avec la nouvelle signature de JAY-Z quand on lui a envoyé les démos. C'était comme lancer une bouteille à la mer. On a pris contact avec son manager. On lui a envoyé quatre morceaux. Et là, je dois dire que si les Américains sont plein de défauts, question boulot, ils s'y connaissent. Ils sont d'un professionnalisme fantastique ! Quand tu vois des pauvres réalisateurs français qui se prennent pour des deus alors qu'ils ont réalisé trois trucs pourris, et que tu vois un grand producteur américain comme lui qui te recontacte dès le lendemain en te disant qu'il a écouté les quatre titres, je trouve ça bluffant. Le surlendemain, Jason parlait du projet. On n'avait même pas parlé d'argent. Ça marche au coup de cœur !

" Peut-être qu'un jour je chanterais en français "
Vous-êtes vous rencontrés ?
On a débarqué à Los Angeles, le mec a été super pro. Il a énormément travaillé de jour comme de nuit. On est hyper content du son qu'il a produit ! Il a vraiment réussi à mélanger l'organique avec les sons de batterie et de clavier. Il a vraiment compris comment traiter ça et le mélanger à des structures synthétiques.

Tu chantes en anglais et tu t'es justifié sur ce choix dans beaucoup d'interviews. Ça ne t'irrite pas que, parce que tu es Français, on te demande pourquoi tu chantes en anglais ?
En général, je ne réponds pas trop. Je comprends qu'on me pose cette question. Mais ce n'est pas un sujet sur lequel je botte en touche. Peut-être qu'un jour je chanterais en français. Pour l'instant, l'esthétique musicale dans lequel j'évolue m'impose en quelque sorte l'anglais.
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