mercredi 20 juin 2012 19:00

Marc Thonon, patron d'Atmosphériques : "Le défi ? Survivre à la transition"

C'est une initiative originale et qui lui tenait particulièrement à coeur. Les 20 et 21 juin, le label Atmosphériques dirigé par Marc Thonon ouvre ses portes au public pour faire découvrir l'envers du décor et balayer quelques stéréotypes et idées reçues. L'occasion pour le patron du label indépendant de discuter avec Pure Charts de cette idée inattendue, mais aussi plus globalement de la fameuse crise du disque, du changement des modes de consommation et de de l'avenir de l'industrie. Entretien.


Propos recueillis par Charles Decant.

Pure Charts : Quel est le concept derrière ces deux journées portes ouvertes chez Atmosphériques ?
Marc Thonon : Le concept, c'est très simple : un label, les gens ne savent pas exactement ce que c'est. L'idée c'est d'ouvrir les portes pour désacraliser le label et que les gens puissent être accueillis et rencontrer ceux qui sont dans l'ombre. Ce n'est pas du tout axé sur les artistes, il n'y a pas de showcase, il y a toutefois la possibilité pour les gens qui participent de rencontrer un directeur artistique qui écoutera un titre par personne.

Il y a une certaine ignorance du métier
Qu'est-ce qui vous a poussé à organiser cette opération ?
Je pense que dans ce contexte de crise du disque, il y a une certaine incompréhension, une certaine ignorance de la plupart des gens envers notre métier. On assimile souvent un producteur à sa caricature démodée. C'est soit Eddy Barclay, tout en blanc avec sa chaîne en or soit le cigare, soit Pascal Nègre avec sa veste en peau de léopard. C'est ça aussi, mais en l'occurrence, en ce qui concerne Pascal Nègre, tout le travail qu'il fait avec les artistes, les gens ne le voient pas.

Du coup, vous voulez leur montrer le vrai visage d'un label...
Voilà, l'idée c'est de permettre aux gens de rencontrer les vrais acteurs. A heure fixe, on accueillera les gens par groupe, je ferai une petite présentation du label, je présenterai aussi l'équipe, que chacun explique en deux mots quel est son boulot. Ici, on est producteur et éditeur de musique, il y a le marketing, la promo, une juriste, on s'occupe aussi du live… Les gens vont donc pouvoir vraiment comprendre le métier des uns et des autres. Puis les gens ont une demi-heure, trois quarts d'heure pour se balader en fonction de leurs centres d'intérêt et poser des questions aux personnes concernées, de manière conviviale et informelle.

Si aujourd'hui un neveu, une nièce ou un de vos enfants vous disait qu'il a envie de travailler en maison de disques, vous l'y encourageriez malgré la crise ?
Absolument, oui. On est en crise depuis 2002, puisque est arrivé le haut débit...

... Pour vous c'est vraiment ce qui a causé toute cette crise ?
Ah oui, oui. C'est une date pivot. A partir ce moment-là, la chute a commencé et elle s'est accélérée. Mais les choses vont mieux : en Angleterre au premier trimestre, les ventes ont basculé à 55% digital, 45% physique et le marché a progressé de 2,7% sur un an. On sait que l'Angleterre et les Etats-Unis sont souvent 2 ou 3 ans en avance sur la France - d'ailleurs la France a été impactée plus tard que les pays anglo-saxons. Quand on a relancé le label en 2005, c'était un pari : on était 5, puis grâce à Wax Taylor, Charlie Winston et Louis Chedid on a réussi à reconstruire une activité. On a changé un peu notre approche, en intégrant quelqu'un qui fait de la production de spectacles, on a investi davantage sur les vidéos...

C'est un enjeu clé la vidéo aujourd'hui ?
En fait, Internet fait aujourd'hui qu'on peut dépenser moins d'argent en marketing. C'est plutôt une chance pour les indépendants. Avec peu de moyens, en produisant un contenu intéressant son et image, on arrive à se faire remarquer. D'ailleurs, Gotye au départ est un garçon qui a fait son disque en indépendant avant de trouver refuge, si j'ose dire, chez Universal. Mais l'artiste ne peut pas faire tous les métiers à la fois donc le métier reste indispensable. Il a besoin de gens qui l'aident, qui lui proposent des choses, en son, en image, en stratégie. Certains artistes ont besoin de plus d'aide sur un domaine que sur les autres, mais plus que jamais notre boulot a une légitimité. Et il y a même de nouvelles fonctions : il y a dix ans, le web était absent des maisons de disques et aujourd'hui il n'y a plus de bal sans spécialiste du web.

Le marché physique continue à bien se porter en France
Vous parliez du fait qu'on a souvent 2-3 ans de retard sur l'Angleterre et les Etats-Unis mais on est encore loin des scores en digital que connaissaient ces pays il y a 2 ou 3 ans... !
Oui, mais on a le streaming. On a Deezer, il y a 1,7 million d'abonnés, 4 millions de visiteurs par jour. Il y a, je pense, 150.000 abonnés sur Spotify. Aux Etats-Unis, Spotify vient à peine d'arriver et Deezer n'existe pas. En Suède, c'est essentiellement du streaming parce que tout le monde est sur Spotify. Les marchés sont tous en train d'évoluer mais pas forcément tous dans le même sens. On a aussi une spécifité et une chance en France, c'est que le marché physique continue malgré tout à bien se porter parce qu'on a un réseau de magasins encore sympathique. Aux Etats-Unis, à Los Angeles il n'y a plus qu'un seul magasin de disques ! Moi qui suis fan de musique, je trouve ça fantastique le digital. Ca fait 35 ans que j'achète des disques et avant c'était une galère pour acheter, trouver le bon magasin. Aujourd'hui, instantanément, vous pouvez acheter votre morceau à l'unité, sans être obligé d'acheter tout l'album. Acquérir la musique qu'on aime n'a jamais été aussi facile qu'aujourd'hui.

Dans une lettre que vous avez écrite à Télérama en 2009, vous évoquiez le fait que la musique était un métier d'adhésion. En tant que fan de musique, comment vivez-vous le fait que, justement, l'adhésion ne se fait plus par un achat ?
Est-ce que c'est grave ? Moi, j'ai basculé en 2011. J'étais très attaché au physique mais le magasin où j'achetais mes disques a fermé et du coup je perds beaucoup de temps à aller prendre le métro pour aller dans tel magasin, etc. Donc je me suis abonné à un service de streaming, j'écoute les nouveautés qui m'intéressent le week-end puis j'achète celles que j'ai préférées. 120 euros par an pour un service de streaming illimité, ce n'est pas énorme... C'est le prix d'un jean ! Il faut remettre les choses à leur place !

Vous vous retrouvez souvent confronté aux mêmes arguments de la part de ceux qui piratent. Ce n'est pas parfois un peu décourageant ?
Non, parce qu'on progresse. Et honnêtement, je sais qu'Hadopi est extrêmement critiqué mais ça a un mérite : tous les débats qu'il y a eu ont permis d'expliquer qu'il y avait derrière la musique des vrais métiers. Sur le label ici, il y a onze salariés, trois à quatre stagiaires, et à côté de ça, on a employé 140 intermittents différents l'an dernier avec plus de 600 fiches paye. Sans compter les artistes qui ont été employés par des boîtes de production vidéo ou dans les studios. Donc ça génère toute une activité économique. Et Hadopi est un peu le mot qui met ça en lumière. Les gens savent maintenant qu'il y a un gendarme, qu'on ne peut plus faire ce qu'on veut sur Internet. Ca a rendu les gens plus responsables : ils sont conscients aujourd'hui que si on ne paye pas, à un moment, il n'y aura plus de création.

Quand le public découvre un artiste, il ne réfléchit pas, c'est un achat d'impulsion
Ce changement de discours, c'est quelque chose qui vous remonte aux oreilles lors de débats ? Parce que sur le net, on ne voit pas nécessairement de changement de comportement, on voit des liens de téléchargement illégal qui circulent sur Twitter, Facebook...
Moi j'ai senti un changement oui. Il y a 5-6 ans, le discours était vraiment à charge contre les maisons de disques, il l'est moins aujourd'hui. C'est aussi pour ça que j'organise ces journées portes ouvertes, c'est pour que les gens comprennent et voient qu'on n'est pas des nantis, il y a de l'expertise, du savoir-faire, un peu d'intelligence aussi je crois. Régulièrement, on m'accuse d'être trop optimiste... Mais ce qui est très difficile pour moi, on vient de le vivre avec Charlie Winston, c'est le changement de consommation en fonction du niveau de notoriété de l'artiste. On l'a vécu avec Charlie Winston. Quand le public découvre un artiste, il ne réfléchit pas, c'est un vrai achat d'impulsion. Mais quand l'artiste est installé, on a moins tendance à acheter, on se sert gratuitement. Je pense donc qu'il va falloir instaurer une chronologie de la musique comme ça existe dans le cinéma.

C'est-à-dire ?
Eh bien si c'était à refaire, sur le deuxième album de Charlie Winston, je n'accepterais pas que l'album soit disponible au moment de sa sortie sur le streaming gratuit. D'autant que le streaming gratuit sur Deezer n'est pas extrêmement contraignant. Ca permet d'écouter 5h de musique par mois et on remet les compteurs à zéro le mois suivant, on peut donc écouter l'album autant qu'on veut. Ce qui me rassure, c'est qu'aujourd'hui les artistes aussi posent les bonnes questions. Je crois que les Black Keys ne sont pas sur les services de streaming...

... Adele non plus !
Non, c'est un refus catégorique. Moi, mon intuition c'est de dire qu'un album d'un artiste installé, pendant les trois premiers mois, on peut donner le single en gratuit en streaming mais il faut réserver l'album au payant. En ce qui concerne les artistes émergents c'est différent, on n'a rien à perdre avec le streaming, il faut jouer le jeu.

Ce sont des discussions que vous avez avec les maisons de disques, les services de streaming ?
Non, pour l'heure ce sont des discussions informelles, mais ce sont de vraies discussions de fond. Et je pense qu'après la période de flou, il y aura de vraies règles de mise à disposition.

Pour en revenir à la vision qu'a le public des maisons de disques, vous pensez que ça a pu jouer contre vous ? Que ça a déculpabilisé les gens qui piratent la musique ?
Je pense oui. Tout à l'heure on parlait de 2002 et de l'arrivée du haut débit mais il y a aussi autre chose qui est arrivé à la même époque, c'est la télé-réalité. Dans la tête des gens, le fait de désacraliser par des prime times et des personnages qui ont parfois du talent mais des comportements qui ne font pas toujours l'unanimité, ça a été un cocktail détonnant. Je pense qu'on a pâti pendant très très longtemps de cette facilité affichée du métier à travers ces émissions-là, qui ne correspondaient pas du tout à la réalité.

D'ailleurs, les télé-crochets avaient quasiment disparu jusqu'à l'arrivée de "The Voice"...
Oui, mais juste, je reconnais aussi que la télé-réalité a remis tout un répertoire en avant. La variété avait disparu de la télé avant la télé-réalité. Le fait d'avoir trouvé cette formule a permis de remettre la musique à la télé. A ceux qui disent que la musique ne marche pas en télé, on leur répond maintenant que les scores de "The Voice" prouvent le contraire.

Le succès de "The Voice", je crois que c'est une bonne chose pour la musique !
Le succès de "The Voice", c'est une bonne chose pour la musique ?
Je crois oui. Je ne vais pas me plaindre d'un programme qui réunit 7 millions de téléspectateurs avec des chansons assez éclectiques ! Ca fait vivre du catalogue, redécouvrir du catalogue. Ma fille qui a 13 ans aujourd'hui a découvert "L'orange" de Gilbert Bécaud par la télé-réalité. Ce qui est relativement dommage, c'est que ça n'ait pas été contrebalancé par une autre vision de la musique. Je pense qu'on peut avoir en même temps "The Voice" et un autre programme, pas forcément exclusivement musical d'ailleurs.

Il y a un programme qu'on donne toujours en exemple, c'est "Taratata", mais l'audience est relativement confidentielle...
En même temps c'est difficile de faire de l'audience en la programmant à minuit et demi. Et les prime times, c'était surtout des spéciales, par exemple le "Taratata" consacré à Johnny, qui a priori est un peu l'antithèse de l'artiste "Taratata". On peut aussi se dire qu'il y avait erreur de casting. Je pense qu'on n'a pas facilité la tache à "Taratata". C'est une émission formidable, que les artistes adorent faire. Il y a deux émissions au monde qui accueillent autant d'artistes, c'est "Later with Jools Holland" et "Taratata". Et tous les artistes internationaux le disent, "Taratata" est au moins aussi agréable à faire.

Ce n'est peut-être pas diffusé assez souvent ?
En fait ils ont des contraintes de production qui font que tout est filmé sur deux jours et diffusé sur plusieurs mois. Du coup on ne colle pas à une actualité alors qu'on voit que justement, ça marche très bien la musique sur le "Grand Journal" ou dans "C à vous". Ca permet de recevoir l'artiste du moment au bon moment. La radio commence beaucoup à fonctionner comme ça, à observer ce qui se passe sur le web. A titre personnel, je veux être force de proposition. C'est pour ça qu'on fait ces portes ouvertes et je veux aussi proposer des choses en télé. A nous d'inventer tous ensemble !

En tant que patron de label indépendant, on vous pointe moins du doigt que les majors, non ?
Et pourtant il y a des indépendants qui se comportent mal et des majors qui se comportent très bien ! Et puis il faut remettre les choses à leur place, le marché de la musique en France c'est 650 millions d'euros, c'est le chiffre d'affaires d'un hypermarché de province ! Nous n'avons sans doute pas assez fait d'action de communication. Et je crois que les actions les plus simples sont les plus efficaces, c'est pour ça que je ne rechigne jamais à aller dans des débats, des réunions pour discuter.

Je serais incapable de signer un artiste auquel je n'adhère pas
Et est-ce que, contrairement aux majors, vous ne signez que des artistes que vous respectez artistiquement ? On sait que ce qui se vend le plus n'est pas souvent le plus artistique et il faut des gros succès pour financer les plus petits artistes...
Oui, je serais incapable de signer un artiste auquel je n'adhère pas.

Donc on ne vous verra pas signer les Marins d'Iroise ?
Sauf si j'adorais les Marins d'iroise ! Ca peut être rigolo de faire un tube, mais j'ai créé le label en 1996 pour choisir les artistes avec qui je travaille. Après, je ne juge pas, j'ai juste une ligne éditoriale personnelle qui me correspond et qui correspond à mon équipe : il s'agit de signer des artistes auteurs-compositeurs interprètes qui se produisent sur scène. Ca nous permet de construire des carrières sur le long terme.

Aujourd'hui, en 2012, quel est le défi à relever pour un label indépendant ?
Survivre à la période de transition. On n'a pas de problème de savoir-faire, on n'a pas de problème de talents. Le nouveau marché n'existe pas encore assez, c'est une question de volume. Il faut qu'on puisse garder notre crédit d'impôt, qui pour l'instant n'est pas garanti au delà de 2012. On veut aussi regrouper dans le CNM, le Centre national de la musique, tous les organismes de la filière et qu'il soit doté de nouvelles ressources qui viendraient des fournisseurs d'accès. Je pense que la crise est un problème de société, il faut que la production d'artistes français survive. La société française s'est posée ces questions après la 2nde guerre mondiale pour le cinéma et on a créé le CNC, qui fait que le cinéma français est aujourd'hui le troisième au monde derrière Hollywood et Bollywood. Il y a des spécificités, de la richesse dans la musique française, ne la laissons pas tomber dans la déliquescence !
Pour vous inscrire aux journées portes ouvertes organisées par Atmosphériques, rendez-vous sur le site officiel du label.

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