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jeudi 12 mars 2015 12:41

Julien Doré en interview: "Pourquoi devrait-on avoir honte d'aimer Larusso et K. Maro ?"

Par Matthieu RENARD | Rédacteur
Quel plébiscite ! Sacré Artiste interprète masculin aux dernières Victoires de la Musique, Julien Doré défend sur les routes de France depuis des mois son dernier album, "LØVE", son plus grand succès à ce jour. A l'occasion de la sortie de l'album "LIVE LØVE", l'artiste a accordé à Pure Charts une interview où il se livre sur sa façon d'appréhender la scène, les reprises, le succès, et la hype.
Crédits photo : DR
Propos recueillis par Matthieu Renard.

L'album "Love", plus d'un an après sa sortie, s'est écoulé à 300.000 exemplaires. Comment tu analyses ce succès avec le recul ?
L'analyse ne m'appartient pas trop, c'est pas à moi de faire le bilan... Mes réflexions se situent plus au niveau de mon travail, comment mon spectacle a évolué, comment faire grandir mes chansons, comment continuer de les interpréter alors que je les ai écrites il y a plusieurs années... Mais sentir qu'un rendez-vous s'est fait entre un disque et le public c'est très touchant. Je le perçois, non pas en tant que chiffre, mais en tant que lien lorsque je monte sur scène, ou qu'on m'arrête dans la rue pour me parler des chansons. C'est ça qui compte, c'est palpable et vivant.

Tu as l'impression que c'est la première fois que le public s'approprie autant un de tes albums ?
Lors de la tournée avec "Bichon", mon deuxième album, c'était déjà le cas. Les salles étaient pleines, grâce au bouche-à-oreille. On a fait une tournée d'un an et demi déjà. Les gens qui venaient avaient entendu parler du spectacle, il savaient qu'ils trouveraient de la théâtralité, de la poésie scénique... On venait voir le spectacle même si on ne connaissait pas le disque. Le lien s'est fait avec le public chaque soir, le public a commencé à vouloir écouter ce disque, et s'est approprié les chansons très vite. Dès les premiers concerts j'ai vu que certains de mes refrains avaient voyagé. Il y a eu ce rendez-vous, c'était simple.

" Personne ne m'a jamais forcé à écrire quoique ce soit "
La scène a fait évoluer ta façon d'écrire ?
C'est marrant parce que dans les premières interviews, on me parlait d'impudeur. On est dans une société où n'importe quel mec sort une autobiographie pour parler de sa famille ou de ses amours. Moi les textes que je fais, je les mets en musique, en forme poétique. Je leur mets un voile de jolies choses. Et j'en fais des chansons, il n'y a rien d'impudique là-dedans. La réponse, c'est que les gens dans la salle ont l'impression que la chanson parle d'eux, de leur histoire. J'avais pas compris ça avant de monter sur scène. Je me suis dit que d'un joli souvenir, ou d'un souvenir douloureux, j'en ai fait une forme, qui est devenue une chanson, et je vois devant moi que cette forme ne m'appartient plus. Cette chanson, c'est celle de chacune des personnes qui est en face de moi en concert.

C'est ça pour toi, une chanson réussie, quand les gens se l'approprient ?
Je ne sais pas. Cet album-là je l'ai fait de façon très égoïste, car je n'ai pensé à quiconque d'autre que moi en le faisant. Quand on fait un disque on le fait d'abord pour soi et on espère que le lien se fera après. Sinon ça revient à faire une chanson de façon forcée. Personne ne m'a jamais forcé à écrire quoique ce soit. Après, ce rendez-vous-là, que j'ai vécu avec ce disque, je ne peux pas savoir d'où ça vient. Dans ce monde de l'art, heureusement, il n'y a rien de mathématique et de scientifique.

Regardez la vidéo de "Corbeau blanc" de Julien Doré


T'es sûr qu'il n'y a pas de recette pour faire une bonne chanson ?
Il n'y a pas de recette... Après c'est vrai que certains essaient de trouver des recettes et de les user jusqu'à la corde. En l'occurrence, toutes les chansons que j'ai écrites et composées sur mes trois albums je les ai faites de façon viscérale et instinctive. Après, j'avais bien conscience qu'il y avait plus de cohérence dans l'interprétation en écrivant tout. Il y avait du liant dans ce disque parce que j'avais tout écrit. Ça c'était important, ce sentiment de ne pas avoir une chanson après l'autre, mais une chanson qui parle déjà de la suivante, qui elle-même chute dans celle d'après etc... Cette cohérence-là, parfois dans le disque on la cherche uniquement dans la prod, dans le son. Là c'était l'histoire.

" Les gens veulent voir un artiste dans tous ses états "
C'est vraiment complet comme concert, on passe par plein de phases, il y a plein de bonnes idées...
Un spectacle, c'est une forme vivante, qui voyage, que je ne contrôle pas, qui est nourrie par les gens qui viennent. Un artiste, on a absolument besoin d'avoir une émotion, une idée pour le résumer. "Ce chanteur fait des chansons tristes", "ce chanteur fait des chansons gaies"… Mais en tant qu’être humain, dans une journée de 24 heures, on est fait de milliers d'émotions diverses. On peut se réveiller avec le sourire et un quart d’heure après ressentir de la mélancolie. Sur scène, j'ai un espace de liberté pendant deux heures chaque soir. Mettre ma barrette dans les cheveux et sortir mon ukulélé dans un cadre pré-mâché, c'est prendre les gens pour des cons. Je montre juste qui je suis en tant qu'être humain. J'aime faire une vanne trois secondes après avoir chanté une chanson dans laquelle j'ai mis tous mon cœur au point moi-même d'avoir des frissons et des larmes aux yeux. Quand les gens vont voir un artiste sur scène, ils ont juste besoin de voir que la personne qui monte sur scène leur donne qui il est exactement, dans tous ses états.

Pourquoi il n’y a pas plus d’artistes qui envisagent la scène comme ça ?
Il y en a plein ! Les repères dont on a tous besoin, sont des repères de confiance. Ça ne veut pas dire rester bien assis avec un spectacle et de la nourriture artistique prémâchée. Quand on s'enferme dans une salle avec moi, les repères se font très vite. Je ne suis jamais en rupture avec le public, à aucun moment. La connivence c’est pas crier "Vous allez bien ?" et la salle pleine répond "Ouais !". C’est un quart de sourire, un regard rassurant avec mes musiciens qui montre qu'on est ensemble, ça peut être le moment où je quitte la scène et que je me mets à la place des spectateurs pour observer mes musiciens jouer. Les repères rassurants sont abstraits. Parfois on est rassuré par quelqu'un uniquement avec sa présence, juste en étant là. Ensemble, avec le public chaque soir, c'est le sentiment que j'ai. Ce que je donne c'est ce que je suis. J'ai beaucoup de peur et de stress et ce lien-là me rassure beaucoup.

" "Mon meilleur concert ? Bashung" "
Ton concert tu l'as construit comment ?
Mon spectacle est structuré, je me sers de ma mise en scène. De longs mois, avant les répétitions, j'ai commencé à réfléchir, à la forme théâtrale dans laquelle je voulais me glisser. Aussi, je n'enchaîne pas les concerts de façon classique comme on le fait dans les concerts. Je me sens parfois tellement bien sur scène que je me dis pas "alors je me retourne, je sors de scène, je bois un peu d’eau, je reviens et j’explique que 'alors je vais chanter cette chanson parce que blablabla'". Je vais très peu voir de concerts, parce que ça m'intéresse assez peu. Ce qui m'intéresse c'est le spectacle vivant. J'aime quand les corps sont vivants, quand les corps n'ont pas besoin de voiles pour se protéger. C'est souvent dans le théâtre que j'ai trouvé des idées que j'ai ramenées dans mon spectacle de musique. Quand je vais voir une pièce de théâtre comme "Bartabas", je ressens un ensemble de trucs indéfinissables. Il y a un cheval, il y a un costume, il y a des musiciens en live, tu ne peux pas définir mais les émotions sont là. Tu ne comprends rien mais tu ressens des choses, tu ne peux pas lutter contre. Ces moments-là alimentent ce que je fais.

Crédits photo : Yann Orhan
Tu as des exemples de concerts auxquels tu as assisté qui t'ont marqué ?
Je pense à un concert de Bashung que j’ai vu à l’Olympia. Il était extrêmement malade, c'était un de ses derniers concerts. Ce soir-là, tout le monde était figé. J'ai ce souvenir qui sans doute a déclenché l'idée de ma fin de spectacle. Il avait son chapeau et un verre d’eau sur une petite table. Le morceau se termine. Il dit "merci" ou "au revoir". Il se tourne et s'en va. Et au bout de quelques pas, les musiciens se remettent à jouer la chanson qui venait de finir. J'ai vu Bashung sortir de scène avec une humilité et une telle prestance. Il n'y a pas de jeux, de personnage... Ce que tu ressens à ce moment-là, c'est très difficile à répéter, c'est un instant suspendu. Ces choses-là, ça existe.

" Quand on triche, ça ne dure pas. "
Quand tu choisis de reprendre "Femme Like U" de K.Maro, c’est de la dérision totale où tu l’aimes quand même un peu ?
Alors à l’âge que j’avais quand c’est sorti, je mentirais si je disais que j’écoutais Neil Young et Dylan. Je les ai découverts plus tard. A cette époque-là, j’avais une petite voiture, une polo rouge. Je travaillais beaucoup en parallèle de mes études. J’écoutais des radios qui diffusaient pas mal de tubes. Et j’ai fait partie des personnes qui ont acheté le single "Tu m’oublieras" de Larusso et "Femme Like U" de K. Maro. Donc forcément, 10-15 ans après, je ne sais pas pourquoi, un jour je me lève, je prends ma guitare et je me dis "Tiens c’est quoi les accords de ce truc ?". Je sors le ukulélé et je le joue en arpèges très lent avec une voix deux octaves en dessous de la sienne. Les mots du couplet font presque un texte bien. Je travaille le truc pour moi en me disant "Tiens je le ferais peut-être sur scène ou avec des potes. On était en concert à Namur, sur un toit, avec une équipe super. On a essayé ça, avec une contrebasse, des chœurs. Il s’est passé un truc joli. Et c’est resté. Aujourd’hui je ne la joue plus, le passage acoustique est différent. J’ai eu le même raisonnement de réincarnation d’une chanson que j’avais à "Nouvelle Star". C’est pas mieux ou moins bien.

Regardez Julien Doré interpréter "Femme Like You" de K-Maro



" Personne ne peut me juger "
Ça me fait penser à Brassens qui expliquait qu'il était fan de Claude François ! Tu crois qu'on a un problème en France avec ça ?
Oui on a un problème. Il y a eu vraiment une période très étrange… Il ne faut pas oublier que c’est très géolocalisé autour d’une ville que je découvre depuis 8 ans qui est Paris. On se pose beaucoup moins la question d’oser dire ou non ce qu’on aime, ce qu’on a aimé, ce qu’on est. C'est très assumé en province. J’ai jamais connu ça dans le sud. Si un mec me dit "Mon kiff c’est Michel Sardou, j’aime ses chansons, les textes me touchent", il n’y a aucun problème de jugement. On ne se pose pas la question pour savoir si on est jugé pour tel ou tel goût. Ça n’existe pas. On a d’autres soucis que de savoir si l’apparence de nos goûts est satisfaisante pour la personne que l’on rencontre en face et qui pourrait potentiellement nous être utile.

Mais ça change quand même, non ?
Les gens plus jeunes que moi, que je rencontre ces derniers temps, même s’ils lisent Mallarmé ou Rimbaud, il n’ont aucun problème à se mettre à danser dans une soirée, une petite fête chez eux, sur une chanson qui leur fait du bien. Assumer certains goûts qui créent un bien-être rassurant dans votre ventre. J’ai l’impression que c’est de moins en moins problématique d'aimer Larusso et K. Maro. Et je ne vois pas pourquoi j'aurais honte de ça.

On t'a déjà reproché une sorte d'opportunisme par rapport à ce côté décalé ?
Je sais que ça existe. Je suis bien placé pour ça. Si je fais un duo avec Chico et les Gypsies, je suis en surkiffe car je passe une journée en studio avec des mecs que j’adore. Et le lendemain je fais un truc qui n’a rien à voir. On me dit que c’est pas compatible. Mais personne ne peut me juger, ça m’appartient. Et à aucun moment ça me bouleverse. Si on pense que là-dedans du cynisme et de la moquerie, j’en ai rien à foutre. Dès mon premier clip, "Les limites". J’ai invité Rémy Bricka et je l’ai filmé en noir et blanc. Une mélancolie de beauté de cet homme se dégageait à l’image. Et là on me dit "Ouais mais en fait, le mec c’est trop un décalé car il a fait venir Rémy Bricka et en fait il se moque, parce que machin". J’en ai rien à foutre de ce que vous pensez. Mais rien à foutre. J’ai travaillé avec Yvette Horner sur le deuxième album et je sais exactement la rencontre que j’ai faite, les après-midis qu’on a passés ensemble… Je sais en quoi je me suis nourri de ces rencontres là. Quand on triche, ça ne dure pas.
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