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dimanche 19 décembre 2021 14:00

Gregory Porter en interview : "Je regarde en arrière pour voir qui j'étais et qui je suis"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Gregory Porter fait le bilan de sa carrière sur "Still Rising", un album qui contient ses tubes passés, ses duos et quelques nouvelles chansons. De passage à Paris, la star du jazz et de la soul revient sur ses 10 années de carrière et comment la mort de son frère a motivé ce projet.
Crédits photo : Decca Records
Propos recueillis par Théau Berthelot.

D'où est venue l'idée de ce nouveau projet "Still Rising" ?
Durant la pandémie, on a eu beaucoup de temps pour réfléchir. J'ai eu besoin de musique pour élever mon esprit. Mon frère est mort du Covid et je me suis rendu compte de l'importance qu'a la musique, et même la musique qui est déjà sortie. J'ai replongé dans mes souvenirs, j'avais besoin d'entendre les paroles pleines de confiance de ma mère dans mon écriture, j'avais besoin d'entendre "No Love Dying". J'avais besoin d'entendre ça pour me sentir mieux. Et ça doit probablement être la même chose pour la plupart des gens. Sur cette compilation, j'ai essayé de rassembler et de mettre en forme l'arc de ma carrière, de mes thématiques sur lesquelles j'ai travaillé durant toutes ces années. Les thèmes de l'exaltation, de l'amour irrépressible, de la régénération de l'amour... Ce n'est pas que je reviens sur les choses parce que je n'ai pas d'idées, j'en ai plein des idées. Ce sont même ces idées-là et ces vérités-là qui sont les plus fortes.

" Mon frère est mort du Covid "
Vous dites que ce disque n'est ni un véritable album, ni un best of. Comment le décrivez-vous alors ?
Eh bien... En général, un best of arrive en fin de carrière, c'est pourquoi je l'ai appelé "Still Rising". Même si je sais que c'est une compilation des chansons que j'ai sorties ces 10 dernières années, ce n'est pas la fin de l'histoire. J'espère que je ne suis qu'au milieu de ma carrière et que j'aurais encore beaucoup de choses à dire et à faire. C'est pour cela que je dis que ce n'est pas vraiment un best of. Si j'avais dit que c'était mon "Greatest Hits", j'aurais mis d'autres chansons dessus...

Et pourquoi donc ne pas avoir fait un véritable album, vu qu'il y a pas mal d'inédits sur l'album ?
Déjà parce que ça va bientôt arriver, mais surtout parce que ça a été une époque tellement terrible après la mort de mon frère. Je pouvais aller au studio mais si je faisais comme d'habitude, si j'avais vraiment fait cela avec ce que j'ai de plus profond dans mon coeur, ça aurait été quelque chose de vraiment très personnel. Pour exprimer la plus grosse douleur dans votre vie, vous devez le faire assez délicatement et sur une période précise. Il faut le faire sur une certaine période et mesurer la valeur de la chanson que j'aurais écrite pour mon frère. Et c'est une chose que les critiques ne peuvent pas critiquer. Il y a des chansons que j'écris qui sont plus pour moi. Je n'ai pas d'autre meilleure explication. (Sourire)

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" Ce disque, ce n'est pas la fin de l'histoire "
A cause de la crise sanitaire, vous n'avez quasiment pas pu défendre votre album "All Rise" sur scène. C'est pour cela que vous avez voulu enchaîner rapidement avec ce nouveau projet ?
Exactement ! Et pour moi, "All Rise" est toujours un disque aussi fort et viable. En un sens, ce projet "Still Rising" y est connecté. Encore une fois, le message, les thématiques sont tellement importantes. Une chanson comme "Dry Bones" peut être liée à "Liquid Spirit", "No Love Dying" ou "Revival" car ce sont des histoires musicales qui parlent de notre amour, et de notre désir de s'élever à nouveau.

Le précédent album se nomme "All Rise", celui-ci "Still Rising", mais "Still Rising" par rapport à quoi ? Votre carrière, votre engagement ?
"Still Rising", c'est la pensée que, dans votre carrière, vous gagnez assez de confiance en soi, d'amour, de force, de pouvoir, d'énergie et de sagesse... C'est de ça dont je parle. La sagesse, l'empathie... Toutes les choses qui font de vous une personne et un artiste plus complet. Je ne suis pas au déclin de ma vie, de ma force et de ma carrière.

Sur le premier single "Dry Bones", vous opérez un virage plus pop. C'est dans cette direction que vous souhaitez aller désormais ?
Pour moi, c'est toujours le message qui compte. Le message, le message, et rien d'autre ! L'idée de genre musical est une chose intéressante car chaque genre reprend des choses d'un autre, par exemple la pop qui emprunte au blues ou au gospel. Donc il y a beaucoup de ça. Mais surtout, le message est le plus important. Mais j'adore la chanson et je danse aussi. (Rires) La musique dansante est aussi quelque chose d'important, je peux aller en club... J'y pense quand, par exemple, je suis à un festival à Ibiza avec Disclosure devant 80.000 jeunes personnes qui dansent sur "Holding On". Il y a une chose quasiment sociale dans la musique, qui est très importante et que j'ai appris avec le temps, c'est de ne pas rejeter la musique parce qu'elle a un certain rythme, un certain beat. C'est le message qui prime. Mais quand je vois cette foule à Ibiza qui saute sur une chanson qui est inspirée par les sermons de ma mère, des dizaines de milliers de personnes qui sautent là-dessus (il fait le geste avec ses mains), sur ce thème de l'amour qui tient bon, c'est juste incroyable. "Dry Bones" parle d'un renouveau de l'esprit de l'amour après que celui-ci ait été vaincu. Et si on pouvait avoir des milliers d'autres personnes qui bougent et sautent là-dessus, ce serait génial. (Sourire)

Des inédits, c'est finalement le seul morceau qui soit dans cette direction pop, les autres restent plutôt jazz/soul...
Oui je ne change pas de genre. En vérité, tout l'album explore des genres différents, de Renée Fleming à Nat King Cole en passant par Jamie Cullum, et moi je suis entre tout ça. Je pense que c'est une marque de respect pour la musique. Je ne pense pas manquer de respect en changeant de genre dans mes chansons.

Regardez le clip "Dry Bones" :


" Pour moi, c'est toujours le message qui compte "
Vous vous verriez faire un véritable album pop ou ce n'est pas quelque chose qui vous intéresse ?
Je dirais pas que ça ne m'intéressais pas. Si vous mettez toutes mes chansons cote à cote, peut-être que vous verrez des influences pop, et vous aurez peut-être cet album pop. Mais je pense que ça me vient organiquement, quand je pense que c'est la bonne chose à faire au bon moment. Je suis un chanteur de jazz et je ne veux pas abandonner ça, ni la soul music et encore moins les influences gospel, ça ce sont mes racines.

Il y a la chanson "1960 What?" qui est très forte sur la question de l'égalité raciale. C'est important pour vous de s'engager ?
Oui ! Nous sommes toujours des artistes qui essaient d'écrire et de chanter des choses, en étant influencés par notre environnement et par ce qui nous entoure. On essaie de transformer ça en mélodies. Et j'espère que c'est ce qui se passe avec cette chanson "1960 What ?". La chose intéressante avec cette chanson, c'est qu'elle peut être utilisée comme un hymne pour certaines personnes, dans des marches. Je me souviens avoir vu des gens la chanter et être inspirés et se sentir valorisés par elle.

"Love Runs Deeper" est une chanson pour Disney et la fondation Make-a-Wish. Est-ce différent de faire une chanson dans ce cadre-là plutôt qu'une chanson "normale" ?
En réalité, je n'ai pas écrit cette chanson, on me l'a proposée. La raison pour laquelle j'ai accepté de chanter ce titre, c'est qu'il s'agit d'une chanson que j'aurais pu très bien écrire. C'est une chanson qui parle de rassembler les familles, de respecter les traditions, du fait de se retrouver tous ensemble. Je suis dans le rôle du beau-père dans cette chanson et j'ai pensé que ce serait un point de vue intéressant. J'adore les points de vues inhabituels dans une chanson, et c'en est un. Les premières paroles m'ont tout de suite parlé : "Quand tu ouvres la porte, je serai là". C'est une métaphore pour tant de choses. Quand tu t'écroules, je te relèverai, quand tu te sens faible, je serai là. C'est basiquement le message.

" Il y a une chose quasiment sociale dans la musique "
Le deuxième disque compile tous vos duos. Quel est celui que vous préférez ?
C'est une question qui est dure, mais je dirais le duo avec Nat King Cole. C'est vraiment une idole de mon enfance. C'était incroyable d'être dans les locaux de Capitol Studios, de tenir les masters de ses albums incroyables, de voir son écriture sur certaines notes... C'est incroyable, c'est un rêve devenu réalité. Je dirais même que c'est un rêve que je ne pensais pas être atteignable. Je ne pensais pas que c'était possible.

Parmi ces duos, il y en a quelques-uns avec des légendes comme Nat King Cole, Ella Fitzgerald et Buddy Holly. Ça vous fait quoi de "collaborer" avec ces légendes?
On doit faire attention car ce sont des légendes de leur propre époque. On ne peut pas surchanter, on doit matcher avec le ton de la voix. C'était un challenge, mais un challenge assez doux car c'était vraiment incroyable de chanter avec Nat King Cole. Et s'il était encore vivant et que nous chantions ensemble, c'est quelque chose que je ferais quand même, le fait de faire matcher nos voix, nos intensités... Dans un duo, il y a toujours un leader. Et pour moi, Ella Fitzgerald est la leader de cette chanson et moi, j'essaie juste de suivre le groove pour que les gens puissent se dire qu'on est amoureux. Le ton de sa voix est tellement parfait que parfois, on peut agir comme un contrepoids à ces voix talentueuses.

Regardez le clip "Revival" :


" Il faut exprimer délicatement la plus grosse douleur dans votre vie "
Ça a été évident de faire ces duos "virtuels" ?
Ce n'est pas quelque chose auquel j'ai pensé car en réalité, j'ai toujours chanté avec Ella Fitzgerald... mais depuis mon salon. Maintenant qu'on est en studio, il y a une petite pression en plus, mais ça ne me semblait pas si hors de propos. On imagine toujours l'artiste quand on écoute tous ses grands albums, à quoi ils ressemblent, comment ils sonnent, de quelle façon ils étaient en studio... On a besoin quand même besoin d'un peu d'imagination tout de même...

Quel est l'artiste avec lequel vous rêveriez de collaborer ?
(Il réfléchit) Je dirais Nina Simone. Elle a tellement un pouvoir spirituel que j'adorerais chanter avec elle. Vous savez, j'avais une liste à un moment donné sur laquelle il y avait Lalah Hathaway, Liz Wright, Ledisi et Dianne Reeves et j'ai pu travailler avec chacune d'entre elle, donc pour moi, ça c'est déjà fait. (sourire)

" Ça fait 100 ans qu'on dit que le jazz est mort et il est toujours là "
En regardant les 36 titres qui composent l'album et qui passent en revue votre carrière, 11 ans après votre premier album, qu'est-ce que vous vous dites ?
Quand ils ont rassemblé tous les titres, les duos de cette compilation, je me suis dit "Wow !". Je ne me rendais pas compte qu'il avait Nat King Cole, Buddy Holly, Julie London sur un même disque... Chanter avec toutes ces idoles est une chose puissante, mais quand on pense à ce projet comme d'un tout, c'est bien de voir et d'entendre la qualité de cette musique. Je suis reconnaissant envers mes équipes, de faire partie de cette histoire. Je suis reconnaissant, car en cette période de bilan, c'est moi qui regarde en arrière pour voir qui j'étais et qui je suis. Quand mon frère est décédé, les gens sont venus nous voir en nous parlant de ce qu'il était, de ce qu'il a laissé comme trace ou ce qu'il a dit. Et moi, c'est ce que je dis avec ces 36 titres.

Vous avez été l'un des rares artistes internationaux à venir faire un concert en France malgré la pandémie. Pourquoi avoir tout de même tenu à venir ?
Pour plusieurs raisons mais surtout parce que j'en avais tellement besoin. Je devais m'exprimer face à un public. J'avais l'impression d'être un hommage en cage qui ne pouvait pas communiquer avec les gens et être capable de faire ce que je fais normalement avec la musique. C'était vraiment une période difficile.

Vous êtes aussi l'un des artistes jazz et soul qui cartonne le plus dans le monde, ce qui est assez rare de nos jours. Ça vous met une certaine pression sur les épaules ?
Vous savez, parfois je ne connais pas du tout les chiffres. Je ne fais pas ça pour les chiffres de toute façon, quand j'entends les chiffres je suis surpris et reconnaissant, mais j'essaie de faire la musique que j'aime faire. Et je suis heureux que les fans écoutent ma musique.

Regardez le clip "I Will" :


" Je ne fais pas ça pour les chiffres, je fais la musique que j'aime "
C'est de plus en plus rare de voir des albums de jazz / soul avoir du succès comme les vôtres...
C'est un grand honneur d'avoir du succès. Parfois, le fait d'être dans les charts, pas seulement dans la partie jazz mais dans les charts classiques, ça veut dire quelque chose sur la sophistication des auditeurs. Ils ne pensent pas qu'il y a un message qui soit plus mineur qu'un autre. On peut entendre d'où Beyoncé puise ses influences, c'est de la soul. Pareil pour les artistes pop ou de R&B moderne. J'espère que les gens peuvent m'entendre et me voir comme une inspiration.

Je vois à vos pieds des disques d'or et de platine pour vos albums, c'est la preuve que le public français est toujours au rendez-vous !
Je suis toujours reconnaissant, c'est tout ce que je peux dire. Quand je suis en studio, je n'essaie pas de faire un disque qui puisse plaire à certaines oreilles, je fais juste ce que j'aime faire. Je suis reconnaissant parce que parfois, certains artistes talentueux ne sont pas assez écoutés ou connectés à leur public Et j'ai été cet artiste pendant des années !

On dit souvent que le "rock est mort" vous pensez que c'est la même chose avec le jazz ou la soul ?
Il y a un flux régulier dans le jazz, ça c'est vrai ! Mais c'est vrai pour toutes les musiques. Mais ça fait 100 ans qu'on dit que le jazz est mort et c'est toujours là !

Est-ce peut-être à cause du streaming ? Quand un album de jazz marche bien, ça devient ainsi l'énorme succès du genre...
Ça peut arriver... Ce n'est pas vraiment une stratégie mais si "Hey Laura", "Liquid Spirit" ou "Revival" s'étaient vendus à seulement quelques exemplaires, ça ne m'aurait pas dérangé. Pour moi, ce qui reste le plus important, c'est encore et toujours le message.
Toute l'actualité de Gregory Porter sur son site internet officiel et sa page Facebook.

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